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Décès du cinéaste malien Adama Drabo
Un conteur humaniste interrompu
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 17/07/2009
Michel Amarger
Michel Amarger
Adama Drabo
Adama Drabo
Adama Drabo
Adama Drabo
Adama Drabo et Ladji Diakité (avec le bonnet)
Adama Drabo et Ladji Diakité (avec le bonnet)
Finzan, de Cheick Oumar Sissoko
Finzan, de Cheick Oumar Sissoko
Cheick Oumar Sissoko
Cheick Oumar Sissoko
Maïmouna Hélène Diarra dans Taafe Fanga (Pouvoir de pagne), 1997
Maïmouna Hélène Diarra dans Taafe Fanga (Pouvoir de pagne), 1997
Fantan Fanga (Le pouvoir des pauvres) 2008
Fantan Fanga (Le pouvoir des pauvres) 2008

La perte est cruelle. Comme une saignée pour le cinéma malien. En succombant le 15 juillet 2009, à une courte maladie, à l'hôpital de Bamako, Adama Drabo emporte la promesse d'une œuvre cinématographique en devenir. Pourtant l'homme s'est battu pour arracher ses visons de cinéma aux contingences du quotidien et les porter sur grand écran avec humilité et panache. Car ses films, même s'ils sont peu nombreux, posent des pierres solides dans le champ fertile du cinéma malien. Adama Drabo aimait le monde rural, les cultures ancestrales et son entourage à qui il prodiguait des conseils bienveillants, et parfois malicieux.

Fils de Bamako où il naît, en 1948, l'artiste est d'abord un pédagogue. Il accomplit un métier d'enseignant de 1968 à 1978, en y rodant son goût des histoires exemplaires. À partir de 1979, Adama Drabo se consacre au 7ème art. Ses études au Centre National de Production Cinématographique du Mali précédent son engagement dans la structure. Il fourbit ses armes en assistant son compatriote Cheick Oumar Sissoko sur Nyamanton (La leçon des ordures), en 1986. Ce dernier créé Kora Films pour développer des productions plus indépendantes et pousser le cinéma malien. Adama Drabo partage l'aventure. Lui aussi envisage le cinéma comme une manière de tendre vers la démocratie, en prônant les valeurs de l'héritage culturel du Mali. Les vues des deux cinéastes convergent avant de prendre des chemins différents.

Adama Drabo réalise Niéba (La journée d'une paysanne), en 1986. Ce moyen documentaire, tourné en bambara, retrace la journée exemplaire d'une femme, en montrant les multiples tâches qu'elle doit accomplir sans négliger son rôle d'épouse et de mère. L'attention au rythme de la campagne, à la sagesse des femmes, au respect de la nature se retrouve dans Ta Dona ! (Au feu !), 1991. Avec ce premier long-métrage de fiction, tourné également en bambara, Adama Drabo frappe fort et juste. Il imagine les activités de Sidy, un jeune ingénieur des Eaux et Forêts dans un village de la région sahélienne. Il travaille à la reforestation tandis que les notables sont occupés à s'enrichir. Quand la saison des pluies cesse, la situation est dramatique. Les feux de brousse se multiplient au grand désespoir de Sidy qui essaie de provoquer une prise de conscience parmi les paysans. Ce que les politiques locaux ne pardonnent pas.

Sidy s'éloigne au fond du Sahel. Il part à la recherche du septième canari, le plus haut degré du savoir. Un voyage qui l'introduit dans les mystères de la société bambara jusqu'à sa rencontre avec une vielle femme qui l'éclaire. Avec cette quête initiatique, Adama Drabo met aussi en scène une charge politique contre le régime de Moussa Traoré, le chef de l'état du Mali qui est renversé peu de temps après les premières projections du film. Le réalisateur s'affirme comme un visionnaire, un artiste engagé qui ne mène pas sa lutte sociale comme un pamphlet mais comme un spectacle à clé, ouvert à l'irrationnel, aux forces occultes. Cette approche force le respect et Adama Drabo est reconnu dans plusieurs festivals internationaux. Il voyage mais s'impatiente toujours de retrouver le Mali où l'attend sa famille.

C'est en retrait, entre ses occupations domestiques, qu'il peaufine son deuxième long-métrage, Taafé Fanga (Pouvoir de pagne), 1997, adapté d'une de ses pièces. Ce conte se déroule en pays Dogon, près des falaises où des villageoises, profitant de la découverte d'un masque qui donne le pouvoir, prennent la place attribuée aux hommes. Ce renversement des valeurs suscite des scènes cocasses où les villageois, vêtus de pagnes, ramassent le bois et cuisinent à grand peine. La situation souligne la dureté de la condition des femmes. La fable est mordante, enlevée. Une fillette qui reste à sa place, établit le contact entre les communautés rivales, comme une promesse de conscience à encourager. Et le public malien fête avec entrain cette comédie qui ravive l'éclat de son cinéma.

Mais le chemin suivi par Adamao Drabo est ardu. Les difficultés de produire au Mali, le freinent. C'est pour la télévision qu'il réalise Kokadjè, 1997, une série de 13 films de 26 minutes qui augmente sa popularité. Il doit se battre pour faire aboutir Fantan Fanga (Le pouvoir des pauvres), co-réalisé avec Ladji Diakité en 2009. Adama Drabo l'accompagne au Fespaco. On y mesure sa détermination mais aussi son amertume sur l'évolution des cinémas africains en dix ans.

Les moyens lui ont manqué pour développer une œuvre plus complète. Occupé par sa famille, à l'écart des mondanités, il a cultivé l'écriture et la fidélité aux siens. Car derrière ses films marquants, Adama Drabo reste un artiste discret, attaché à une éthique héritée de ses ancêtres. Un socle sur lequel son regard s'ouvre au monde pour le sensibiliser à la complexité des forces en présence. Aujourd'hui, son cinéma pénétrant, subitement interrompu, s'inscrit comme un sillon durable dans la culture malienne.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)

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