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Décès d'Adama Drabo, réalisateur malien
La trilogie inachevée d'un réalisateur engagé
critique
rédigé par Moussa Bolly
publié le 20/07/2009
Moussa Bolly
Moussa Bolly
Adama Drabo
Adama Drabo
Adama Drabo
Adama Drabo
Ta dona
Ta dona
Finzan, de Cheick Oumar Sissoko
Finzan, de Cheick Oumar Sissoko
Cheick Oumar Sissoko
Cheick Oumar Sissoko
Maïmouna Hélène Diarra dans Taafe Fanga (Pouvoir de pagne), 1997
Maïmouna Hélène Diarra dans Taafe Fanga (Pouvoir de pagne), 1997
Fantan Fanga (Le pouvoir des pauvres)
Fantan Fanga (Le pouvoir des pauvres)
Adama Drabo, sur le tournage de Fantan Fanga (Le pouvoir des pauvres)
Adama Drabo, sur le tournage de Fantan Fanga (Le pouvoir des pauvres)
Michel Amarger
Michel Amarger
Adama Drabo et Ladji Diakité (avec le bonnet)
Adama Drabo et Ladji Diakité (avec le bonnet)
Salif Traoré
Salif Traoré
Assane Kouyaté
Assane Kouyaté

Ce mercredi 15 Juillet 2009 sera marquée d'une pierre blanche comme l'une des plus tristes du cinéma malien. En effet, ce jour, s'est éteint un passionné du 7e art à qui il a contribué à donner ses lettres de noblesses au Mali et en Afrique. Un homme qui a souvent poussé l'engagement à la témérité : Adama Drabo ! Ce monstre sacré laisse le cinéma malien et son public orphelins de ses belles œuvres comme Ta dona, Taafé Fanga ou Fanta Fanga. Mais l'héritage est assez riche pour permettre aux jeunes de réaliser le Pouvoir du Savoir qui est le maillon manquant de la trilogie.

Le talent permet à l'artiste de réaliser ses rêves, mais pas de réécrire le scénario de son propre destin. Si ce n'est le Tout-puissant, qui aurait pu empêcher Adama Drabo de réaliser le dernier acte de sa trilogie qui démystifie le pouvoir en faveur de ceux qui en sont le plus souvent les victimes de son exercice arbitraire ? Hélas, de la trilogie, le destin a voulu que ce réalisateur ne nous livre que le Taafé Fanga et Fantan Fanga, c'est-à-dire le Pouvoir du Pagne (Femmes) et le Pouvoir des Pauvres. Adama Drabo a été arraché à notre affection le 15 juillet 2009 dès suite d'une courte maladie à l'hôpital du Point G de Bamako.
Nous le savions malade suite à une crise de tension, il y a près d'une année. Mais, même face à la maladie, le réalisateur ne s'est jamais avoué vaincu. Ceux qui connaissent l'homme, l'ont curieusement trouvé très réservé à la dernière édition du Fespaco (du 28 février au 7 mars 2009). Le plus souvent, il s'est éclipsé laissant Ladji Diakité (coréalisateur de Fantan Fanga) défendre l'œuvre, face à la presse.

Ouagadougou est le lieu de ma dernière rencontre avec Adama Drabo. "J'espère que maintenant nous nous reverrons régulièrement à Bamako", m'a-t-il lancé avec son sourire humain. Hélas, nous ne nous sommes plus revus.
Je n'oublierais jamais ma rencontre avec Drabo. C'était le 06 mars 2001 à la suite du décès d'un autre monstre sacré du cinéma africain : Balla Moussa Kéita qui venait de succomber des suites d'une maladie pulmonaire. Jeune reporter, je me suis rendu au Centre national de la production cinématographique (CNPC, actuel CNCM) pour avoir le témoignage des uns et des autres sur cet illustre disparu.
Ce jour, j'ai été profondément marqué par la sincérité et l'humanisme de son témoignage. Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois après pour parler de ses œuvres, du cinéma malien, de son évolution… C'est en ce moment que j'ai pu découvrir toute la passion de Drabo pour le cinéma. Ce qui le révoltait le plus, c'était de voir qu'il n'y avait aucune politique cohérente de développement de la culture, notamment du cinéma, au Mali.

Un homme dévoué au cinéma

Quand cet humble et modeste réalisateur parlait de cinéma, ce n'était pas pour attirer l'attention sur lui, mais sur l'ensemble des acteurs de ce pan prestigieux de la culture malienne. C'est dire que l'hypocrisie et la jalousie n'étaient pas de sa nature. "Le cinéma malien ne peut se limiter à une seule personne, à un seul réalisateur. C'est comme un film qui est une œuvre collective. Et il faut que chacun soit conscient que le succès repose sur son apport", me disait-il lors d'une récente discussion à Ouagadougou.
"Les réalisateurs maliens ne manquent pas d'idées, les comédiens sont talentueux… Mais, ce n'est ni le talent ou la détermination qui font un chef d'œuvre. Il faut des moyens. Et nous en avons pas", avait-il alors déploré. Un manque de moyens qui a fait sans doute qu'il n'a pas pu boucler sa trilogie comme il l'avait planifié. Il lui a fallu toute sa détermination pour boucler le budget et réaliser le second film de la trilogie, Fantan Fanga. C'est presque aux forceps qu'il est arrivé à la 21e édition du Fespaco comme s'il avait la prémonition que ce serait la dernière pour lui.

Malgré le succès populaire, Fantan Fanga n'a pas été récompensé comme il se devait. Mais, le fait seulement d'avoir pu participer contre vents et marées à cette édition qui marquait les 40 ans du festival était déjà une grande victoire pour lui ainsi que son équipe. Le Fespaco, Adama Drabo y tenait beaucoup parce que c'est ce festival qui l'avait révélé aux cinéphiles, lors de l'édition de 1991, avec son premier long métrage Ta dona (Au feu !).
Une œuvre bien accueillie et qui a ouvert la voie du grand succès aux films suivants comme Taafé Fanga (en 1997) et Fanta Fanga (2009). L'impitoyable ange de la mort l'a fauché alors qu'il mettait la dernière main au lancement de sa série télévisée appelée Kokadjè ou Transparence ! Un autre symbole de son engagement car celle-ci dénonce les maux qui entravent le développement du pays comme la corruption, la délinquance financière, la gabegie…

De l'école au cinéma

Né en janvier 1948 à Bamako, Adama Drabo a exercé le noble métier d'enseignant (1968-1978) avant d'embrasser celui plus engagé de cinéaste au sein du Centre national de production cinématographique (CNPC) du Mali qu'il intégra en 1979. Il fit notamment ses armes aux cotés de son compatriote Cheick Omar Sissoko dont il fut l'assistant réalisateur sur son film Nyamanton (La leçon des ordures, 1986) qui a mis ce dernier sur l'orbite du succès.

En plus du talent, ce qu'on retient d'Adama Drabo, c'est l'engagement. Un engagement à la limite téméraire parce que l'homme ne reculait face à aucun menace pour exprimer ses opinions. Il avait le courage de ses convictions. À travers ses différentes œuvres, il n'a pas seulement démystifié le pouvoir, mais il a aussi brisé des tabous socioculturels comme la marginalisation des femmes, les sacrifices rituels pour le pouvoir ou la fortune. L'engagement, Drabo l'a souvent poussé à la témérité. En effet, il fallait vraiment être téméraire pour s'attaquer au Mali à la bourgeoisie militaro-cleptomane au cœur de son système. Et c'est pourtant ce que fit Adama à travers Ta dona.

Comme l'écrit mon confrère Michel Amarger, sur le site d'Africiné, "Adama Drabo emporte la promesse d'une œuvre cinématographique en devenir". Et son mérite, en plus d'un fabuleux héritage légué à la postérité, c'est de s'être toujours battu pour imposer ses visons de cinéma aux contingences du quotidien et les porter sur grand écran avec l'humilité et le panache qui caractérisent les grands artistes.
L'histoire du cinéma malien et africain retiendra sans doute qu'Adama Drabo a été cet artiste discret qui a nourri ses œuvres de l'éthique héritée de ses ancêtres. L'influence du passé, le poids du présent et les incertitudes de l'avenir ont été le socle d'une exceptionnelle filmographie destinée surtout à nous "sensibiliser" à la complexité des forces en présence.
"Aujourd'hui, son cinéma pénétrant, subitement interrompu, s'inscrit comme un sillon durable dans la culture malienne", témoigne Michel Amarger, membre de la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique (FACC). Il ne pensait pas si bien dire. Un sillon déjà fertile pour permettre aux nouvelles générations comme Ladji Diakité, Salif Traoré, Hassan Kouyaté… de parachever son œuvre engagée !

Moussa Bolly
Président de l'Association malienne des Critiques
(AMACRI)

FILMOGRAPHIE ADAMA DRABO
1988 : Niéba, la journée d'une paysanne
1991 : Ta Dona (Au feu)
1997 : Taafé Fanga
2003 : Kokadjè (Série 13 x 26 mn)
2009 : Fantan Fanga, coréalisé avec Ladji Diakité

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