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Une femme pas comme les autres
Tout feu, tout femme
critique
rédigé par Thierno Ibrahima Dia
publié le 22/07/2009
Thierno I. Dia
Thierno I. Dia
Abdoulaye Dao
Abdoulaye Dao
Abdoulaye Dao, Fespaco 2009
Abdoulaye Dao, Fespaco 2009
Mahamat-Saleh Haroun
Mahamat-Saleh Haroun
Georgette Paré (Mina)
Georgette Paré (Mina)

Le 21ème Fespaco s'est terminé le samedi 07 mars 2009. Le lendemain, la production du téléfilm de Abdoulaye Dao organise la projection d'Une femme pas comme les autres qui parle d'une femme riche qui décide d'avoir des co-époux. L'occasion était trop belle : le 08 mars est la journée mondiale de la femme.
En France par exemple, les médias en parlent, des associations font des manifestations : les femmes africaines de Gironde organisent depuis quelques années sous l'égide de l'association des Sénégalaises de Bordeaux une journée de la femme avec conférence, théâtre, animation musicale.
Au Burkina, la journée de la femme est dans les rues. Les femmes portent presque toutes des vêtements cousus d'après un tissu où il est imprimé : "journée des femmes et des filles". Dans le ballet des motos et vélos, difficile d'échapper au spectacle. Un peu partout, la musique tonitruante et le sourire aux lèvres des Burkinabèes (ainsi que de ces messieurs) achèvent de conforter que les trois cents soixante quatre jours de l'homme sont vraiment de peu d'éclat.

Abdoulaye Dao veut assurément rendre hommage aux femmes à travers Mina, une riche femme d'affaires (PDG), qui décide de prendre un co-époux, un second mari et dans la même maison où vit son mari, Dominique. Ce dernier l'a trompé avec Aïcha, la jeune femme du voisin, Pierre.
Ici l'acteur ivoirien Bakary Bamba (célèbre pour son rôle de Demi-Dieu dans Bal Poussière d'Henri Duparc, 1988) joue le cocu : un policier policé. Si sa matraque est bien rangée dans la rue, avec des mercis et s'il vous plaît à la bouche, dans l'intimité le brigadier Pierre peine à servir son garde-à-vous conjugal à la belle Aïcha. Cette dernière est câblée avec Dominique : à l'heure du téléphone portable et des textos, elle réussit à égayer le lit de son voisin dès qu'elle peut. Jusqu'au jour où Mina rentre inopinément.

Le jeune réalisateur burkinabé pose très vite le cadre de cette relation adultérine et utilise à l'envers les ficelles du drame amoureux où l'infidélité sert à infliger une leçon à l'autre. Le ton est assez truculent, l'humour est de sortie, même si parfois la mise en scène est poussive (les personnages qui parlent dans leur barbe) et la réalisation sans génie.

Le suspens

Le rythme alerte retombe dès que le second mari s'installe dans la maison. À l'égal du premier époux qui ne sait comment gérer la situation, le scénario s'essouffle. Face à Georgette Paré (Mina), tout en nuance, excellente en femme blessée et digne, Serge Henry (Dominique) en fait des tonnes et même Bakary Bamba en perd lui aussi sa sobriété.
Filmé en vidéo, l'éclairage montre vite ses limites, surtout que le cadre aurait pu être mieux travaillé (l'effeuillage de faux raccords laisse nue la mince fleur). Quant au son c'est parfois carrément épique : notamment une conversation au bord de la route péniblement captée au micro omnidirectionnel, bravo l'ambiance.


Un film d'homme

Mina étant à la tête de sa propre entreprise, cela pèse dans sa marge de manœuvre face à Dominique qui semble vivre à ses crochets. Le réalisateur pose une ceinture de chasteté sur cette relation de dépendance, obstruant ainsi toute analyse du poids de l'argent dans la domination masculine (et ici son revers féminin).
En n'osant clairement opter pour la radicalité de son propos, Abdoulaye Dao finit par épouser une vision rétrograde de la femme. L'épouse qui décide de sa sexualité choisit évidemment l'infidélité. La femme qui veut s'octroyer le droit d'avoir des co-époux ne le fait finalement qu'en réaction.
Si on s'attend ici à des femmes d'actions, c'est la débandade, car de fait c'est encore les hommes qui sont le moteur de la réaction. Le mari policier travaillant trop (tard), son épouse va le tromper ; l'époux étant infidèle, sa femme décide de s'offrir un autre homme dans son lit.
La dernière séquence (la simulation et la parentèle) glisse dans un consensuel qui excise totalement la bien mince parcelle militante du film, en dépit de l'évidente bonne volonté du réalisateur.

On ne peut qu'être heureux pour le réalisateur qui a été couronné de trois Prix au Fespaco. Cependant, face à des téléfilms autrement plus travaillés et dont l'interprétation ne souffre de la moindre faille comme Sexe, Gombo et beurre salé (Mahamat Saleh Haroun, France/Tchad), on voit bien les méfaits d'une sélection pléthorique. Il y a manifestement une certaine complaisance qui peut être due autant au sujet (audacieux, en surface) qu'au pays (le Burkina, hôte du Fespaco, qui engrange allégrement les prix), à moins que le coup de coeur soit la raison à ce raz-de-marée.
Après tout les jurys sont souverains même s'ils peuvent être pris au piège des bons sentiments (les leurs et celui des films qu'ils jugent).

Après le Festival, c'est toujours le Fespaco avec "Demi-Dieu"

Après la projection du film, le 08 mars au cinéma Burkina (Ouaga), Bakary Bamba monte sur la scène et souligne combien ce film traduit le rapprochement entre la Côte d'Ivoire et le Burkina. En effet, un grand froid politique soufflait entre les deux pays. La Côte d'Ivoire accusant le Président burkinabè Blaise Compaoré de permettre aux Forces Nouvelles (considérées comme des Rebelles par le Président ivoirien Laurent Gbagbo et ses partisans) de circuler librement au Burkina.
Sous le rire, les enjeux sont donc bien multiples.

Après cette journée de projections exceptionnelles (plusieures dans la même journée), Une femme pas comme les autres est sorti en salles au Burkina en juin 2009.

Thierno I. DIA

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