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Le Temps qu'il reste, d'Elia Suleiman
Du temps physique au temps cinématographique : la symbolisation du retour
critique
rédigé par Meriam Azizi
publié le 25/08/2009
Meriam Azizi
Meriam Azizi
Elia Suleiman
Elia Suleiman
The Time that remains
The Time that remains
The Time that remains
The Time that remains
The Time that remains
The Time that remains
Intervention divine
Intervention divine
The Time that remains
The Time that remains
Chronique d'une disparition (Segell Ikhtifà), 1996
Chronique d'une disparition (Segell Ikhtifà), 1996
The time that remains
The time that remains
Cannes 2009
Cannes 2009

Avec sa dernière création d'inspiration autobiographique Elia Suleiman affirme un penchant pour une dimension qui n'a cessé de travailler artistes, philosophes et physiciens : le Temps. En témoignent les titres qu'il a accordés à ses films précédents. Chronique d'une disparition (1998), Intervention divine (2002) prix du Jury au festival de Cannes, récompense qui lui a valu une réputation internationale et pour boucler la trilogie, Le Temps qu'il reste, se présentent en somme comme autant de questionnement sur l'actualité. La Palestine, comme topos filmique, n'exclut pas un discours universel, bien au contraire c'en est un appel, un appel à l'éveil des consciences, un constat à la facture tragi-comique dont le réalisateur a fait sa propre marque.

Le mérite que l'on peut attribuer au film Le Temps qu'il reste c'est de transformer un temps passé personnel et historique voire épique en un temps cinématographique. Ce qui définit l'essence même de l'invention filmique. Les procédés de la transformation sont d'ordre esthétique et narratif. Le film, se présentant en une mise en abyme de deux récits au passé, (celui de sa famille et celui, en toile de fond, du pays depuis la proclamation de l'Etat d'Israël jusqu'à la première Intifada), est embrassé du récit principal du retour après l'exil. Le présent qui démarre et boucle le film entoure un grand flash-back. Cette structure narrative circulaire, engendre l'effet d'une malléabilité de l'entité temporelle. Ce nouveau choix narratif qui impose un montage propre à cette organisation du temps épouse en réalité le jeu de la mémoire. La transposition du souvenir en film est une idée qui découle des notes que le cinéaste a conservées de son père Fouad. Mais à croire la magie du cinéma, le retour de son esprit en arrière prend acte avec le basculement spatio-temporel qui nous emmène de nos jours par une nuit frappée d'une pluie diluvienne dans un taxi israélien à Nazareth en 1949.

À l'instar des autres films suleimaniens, le regard qu'affiche Elia le personnage, observateur, enfant et adulte, d'une réalité absurde, est à la fois empreint d'amertume et de sarcasme. Cette attitude pourrait s'entendre comme une réaction identitaire. Se voulant presque autiste, une sorte de mise à ban volontaire devant l'incompréhension du désordre régnant, elle trouve son répondant dramatique dans un usage massif de saynètes construites sur le mode du comique de situation. Plus l'histoire évolue vers le présent actuel, plus l'humour s'intensifie. La devise d'Elia Suleiman contre la gravité des conjonctures politiques actuelles est détournée son fond tragique. Sa méthode consiste à faire émerger, dans l'image souvent fixe, un élément insolite ou un comportement qui dérègle la logique sur laquelle repose la composition du tableau. Qu'on se rappelle la scène où les gestes et déplacements d'un jeune palestinien, l'oreille collée à son portable, sont suivis à un millimètre de distance par un char d'assaut. La situation est d'autant plus surréaliste que devant l'immense engin, le jeune continue à parler imperturbablement comme si le danger était absent alors qu'il est imminent. Est-ce une manière de symboliser l'insensibilité du peuple palestinien, qui après tant d'années de vie anormale n'a plus d'autre issue que de co-habiter avec le risque. Une autre scène où la mimésis avec la réalité est ébranlée malgré la nullité du mouvement de la caméra qui signifie en général une volonté d'imiter le réel : devant le mur de séparation, Elia le personnage, se tient debout. Suit un moment de mutisme qui fait remonter le suspense. Action inattendue : il court vers le mur et saute par-dessus. Cette image muette est pourtant chargée de discours. Et le film regorge de scènes de la même veine matérialisant la vision surréaliste et les diverses manifestations imaginatives du réalisateur. Si l'on s'aventure à schématiser le principe de ce mécanisme de rire, comme dirait Bergson, la structure serait : dans une image fixe, un corps fixe ou en mouvement dans un espace-temps vraisemblable adopte une certaine action qui fait basculer la séquence dans l'atemporel. Le tout dans un silence ambiant qui suggère l'attente éternelle d'une quelconque providence.

Dénoncer un déséquilibre atteignant la dignité humaine serait donc amener le spectateur à en rire. C'est ici que réside la différence avec l'esthétique télévisuelle qui emprunte le mode des reportages transcrivant en direct l'horreur et la tragédie pour attirer plus d'audience. Le cinéma de Suleiman, en se forgeant sa propre esthétique, en creusant dans un imaginaire personnel, rend au 7ème art ses lettres de noblesse. Le Temps qu'il reste est tout d'abord une œuvre cinématographique c'est-à-dire un ensemble de prise de position esthétique et narrative pour raconter une histoire. L'ancrage du lieu en Palestine stimule chez le spectateur toutes les informations relatives à cette partie du monde. Il sera donc en attente de satisfaire la justesse de ses connaissances. Cette posture confrontée au langage cinématographique ne jouerait pas en faveur de l'accès à l'illusion ; inversement elle le bloquerait. Il ne s'agit pas de vérifier si l'œuvre transpose fidèlement les événements. Ce qui est sûr c'est qu'avec Elia Suleiman plus qu'aux références, c'est aux sens et à l'intuition qu'il faudrait faire appel. Merci E. S. !

Meriam AZIZI

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