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Nos lieux interdits
Représenter la mémoire marocaine
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 25/09/2009
Michel Amarger
Michel Amarger
Leïla Kilani
Leïla Kilani
Nos lieux interdits
Nos lieux interdits
Mémoire en détention
Mémoire en détention
Jillali Ferhati
Jillali Ferhati

LM Documentaire de Leïla Kilani, Maroc/France, 2008
Sortie France : 30 septembre 2009

La société marocaine semble avoir pris un tournant en 2000. Après le règne sans partage de Hassan II, interrompu par sa mort en 1999, la succession assurée par Mohamed VI, a paru ouvrir des portes. Les langues se sont déliées, rappelant la dureté du régime passé, l'oppression, prononçant des noms interdits comme Tazmamart, l'une des prisons secrètes construites pour écarter les dissidents présumés. L'évocation des "années de plomb" qui ont vu disparaître des centaines d'opposants entre 1960 et 1980, est relayée par plusieurs formations politiques à la faveur de l'embellie esquissée par le nouveau roi. Le cinéma est au diapason et des auteurs réputés comme Jillali Ferhati (Mémoire en détention, 2004), ont pu baser des histoires sur le passé occulté. La nouvelle génération, avide de redéfinir l'histoire du Maroc, contribue à l'émergence de sujets en prise avec ces traumatismes. Ainsi Leïla Kilani après avoir abordé le désir d'exil chez les jeunes dans Tanger, le rêve des brûleurs, 2001, et signé Zad Moultaqa, passages, 2003, tente de réévaluer la trace des pères disparus dans Nos lieux interdits, 2008.

"L'enjeu du film est de faire exister des gens qui ont été effacés politiquement au point de disparaître au sein de leurs familles", annonce la réalisatrice. Elle bâtit son documentaire en suivant l'action de l'Instance Équité et Réconciliation, mise en place par Mohamed VI pour enquêter sur les violences d'État afin d'indemniser les familles victimes, entre 2004 et 2007. Le travail de la commission est d'engranger les doléances. Le film suit sa progression au sein de quatre familles où Leïla Kilani retient des personnages représentatifs, consentants à son approche. Les images sont près d'eux, le cadre resserré, à l'écoute des paroles. Ce sont elles qui réveillent la mémoire des disparus en contant leur fonction passée, leur disparition, leur donnant peu à peu une nouvelle place dans le cercle familial. Les témoignages révèlent l'impossibilité du deuil, faute de corps restitués, abordant le rôle de prisons tabous telles Dar al Mokri, Tazmamart dont la réalisatrice a accumulé des images rares avant de les écarter au montage.

La force des témoignages dessine les constructions détruites qu'on ne peut aller voir mais dont on peut maintenant parler. Le salon où se pose la famille devient l'espace de la révélation. La gêne, les silences disent la difficulté de faire remonter la douleur. Faire le deuil des disparus débouche parfois sur des ruptures familiales. Nos lieux interdits part alors de la parole des victimes pour glisser vers un dialogue inédit entre générations au sein d'une famille. Car Leïla Kilani valorise des personnages et non des théories sur un problème de société. Pourtant au fil des années d'action de l'Instance Équité et Réconciliation, émergent les limites de l'initiative qui n'apporte pas de réponses concrètes aux victimes. "J'ai choisi de travailler sur le système politique et ses traces dans la famille", commente la réalisatrice. Avec son équipe réduite, son tournage étalé dans le temps, elle capte les confidences, semblant chercher avec ses cadres parfois hésitants, à traquer une réalité fuyante.

Nos lieux interdits reste un film sobre, porté par l'écoute, évitant d'illustrer les propos par les nombreuses images d'archives accessibles à Leïla Kilani. Elle a bénéficié d'une coproduction de l'Institut National de l'Audiovisuel, en France, qui s'est associé à son projet en obtenant l'accord de l'Instance Équité et Réconciliation. Le résultat est enrichi par un volet "archives", composé de centaines d'heures des témoignages recueillis, remises à l'Ina, stockées au Maroc, au Conseil Consultatif des Droits de l'Homme, et accessibles aux chercheurs. Ce travail de mémoire, mené parallèlement au documentaire, constitue une contribution à la question de la réparation du passé. En complément, Nos lieux interdits vise à faire surgir un dialogue par les multiples projections organisées au Maroc. Mais c'est aussi un film qui invite à creuser la représentation de la mémoire, réfléchie et mise en scène à partir des mots d'aujourd'hui.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)

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