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Tu n'as rien vu à Kinshasa…, de Mweze NGANGURA
Des vies sans corps !
critique
rédigé par Martial Ebenezer Nguéa
publié le 04/12/2009
Martial E. Nguéa
Martial E. Nguéa
Tu n'as rien vu à Kinshasa…
Tu n'as rien vu à Kinshasa…
Mweze NGANGURA
Mweze NGANGURA
Katanga Business, Thierry Michel, 2008
Katanga Business, Thierry Michel, 2008
Kinshasa Palace, Zeka Laplaine, 2006
Kinshasa Palace, Zeka Laplaine, 2006
Jean Marc Ela (1936-2008)
Jean Marc Ela (1936-2008)
Les Habits neufs du gouverneur
Les Habits neufs du gouverneur
Zeka Laplaine
Zeka Laplaine
Thierry Michel
Thierry Michel
Tu n'as rien vu à Kinshasa…
Tu n'as rien vu à Kinshasa…

Le dernier film du réalisateur Congolais est un documentaire qui traduit le côté obscur de la République Démocratique du Congo. Il donne à voir les laissés-pour-compte des guerres qui écument les quartiers de la Kinshasa, la capitale.

Le cinéma de Mweze Ngangura ne manque pas visiblement d'éclats. Chacune de ses sorties est un moment cinématographique particulier. Partagé entre la fiction et l'entropie du documentaire, le réalisateur congolais de la République démocratique est revenu sur un sujet qui lui ouvrit les portes au cinéma. Kin-Kiesse ou les Joies douces-amères de Kinshasa-la-Belle (1983) sur les ambiances enivrantes de la capitale Zaïroise. Il emprunte une célèbre réplique du film de Jean Resnais dans Hiroshima mon Amour (1958), pour déclarer à son tour au monde : Tu n'as rien vu à Kinshasa...
Un retour sur la célèbre république située derrière le Congo que forment les populations de la 25ème commune de Kinshasa.

Kin, Rebelle

Le propos du film se construit sur la parole et l'image. Un paysage, une population hétéroclite, un langage : la misère. C'est dans ce terreau que Mweze Ngangura loge le corps de son documentaire. Il s'intéresse d'emblée à une population marginale qui, dès le plan d'ouverture au stade, présente un visage diversifié. Il s'enchaîne une galerie de personnages aux conditions effroyables. Cette image kaléidoscopique expose un paysage humain confronté aux répercussions chaotiques des multiples guerres qui ont eu cours dans ce pays. Derrière le Kinshasa politique et ses 24 communes, une population abandonnée à elle-même a établi un gouvernement pour trouver les solutions à ses préoccupations quotidiennes. Elle a élu président, vice-président, secrétaire général et autres conseillers politiques, sociaux, un modèle calqué sur le parti unique, institué par Mobutu, qui permettait de croire que tous les militants sont tous des citoyens égaux. C'est ce système qui permet de réguler la vie alors que l'État pénètre en Brousse [1].

Mweze a beau jeu de montrer un Congo enivré dans la joie de ses gorges de rossignols, il est un Congo mort, visiblement enseveli dans les guerres. En lingala, l'une des langues officielles du pays et aussi en français "congolisé", chacune des communautés se lâchent, y va de son verbe pour dire tout son mal. Expression directe, portrait direct, les filles disent leur mal dans ce pays. On les viole. Elles violent. Elles volent. L'esprit de la loi prend corps en fonction du statut de ceux qui doivent l'appliquer. Plus loin, c'est les Shégués, les Makelele, ces monstres enfants de la rue, êtres humains en errance, à la recherche d'une plausible stabilité. Dans les déchets de Kinshasa, épidémies, Kinshasa est un porte-tout. Bonheur alambiqué dans l'option que ces populations ont encore de croire en la vie, dire le sursaut d'orgueil qui peut être le leur, lorsqu'on a la chance de mettre une chemise propre.

Voyeurisme et mise en abîme, le regard pathétique que lance le réalisateur contraste avec l'orgueil mal placé des sujets. Et c'est justement là, l'autre côté fort de la suggestion proposée par Mweze Ngangura, le côté pernicieux de tout Congolais "qui croit que le centre du monde se situe autour d'un beau vêtement ou d'une belle femme" qui fait l'image. En caméra directe, à la manière d'un reportage in live de télévision, le cinéaste s'immerge lui-même dans le film et se laisse parfois surprendre dans les débats avec les interviewés. Cela renvoie à une préoccupation qui peut être celle d'une élite intellectuelle soucieuse du devenir de sa population. Cinéaste gardien de mémoire, il a connu Kinshasa et sa douce amère vie qui faisait la joie ainsi que les contraintes de son attrait.

Comment reconnaître cette ville ? Qu'est-ce qu'elle devient ? Le réalisateur sensible au cœur de la frange des communautés marginalisées de Kinshasa, nichées dans quelques quartiers populaire : Pont Ngabi, Gambela, Rond point Ngaba, Avenue du 20 mai, Beach etc.… En s'impliquant dans les interviews avec une voix off, et quelques jets d'images de lui, il nous renvoie à sa préoccupation non seulement d'intellectuel mais surtout de fils de Congo, concerné par le sort des siens. Mweze se propose de jouer les exorcistes, en donnant la parole.

Espoir mal poli

Pendant 90 minutes, le spectateur reçoit un véritable un coup de froid dans son dos. Il entre simplement dans le film par une note de tableau d'artistes au stade, qui suscite sa sympathie ; pour progressivement se trouver presque contraint au cœur d'une réalité. La vie des gens hors de la ville. Le débat s'ouvre alors à lui au fur et à mesure que le film se déploie. Des lors, il s'installe au centre des préoccupations du réalisateur à savoir : que deviennent les victimes de nos guerres, même les plus infimes ? Le réalisateur expose une couleur vernie qui s'enlaidit dans les avatars de la guerre, il se glisse une petite ironie dans les portraits de se sujets. Dans cet environnement où on a subverti le destin en remettant en doute la métaphore de la vie. Des êtres pris dans une nébuleuse marquetée de désirs, de dégoûts d'amours, prostituées, de douleurs, de cruautés, de plaisirs.

Passant d'un corps à un autre, le récit se déroule aux poches des communautés en mal de parole, d'écoute. Ici le cinéaste renseigne que le cinéma n'est pas que distraction, il porte un discours qui ne concerne pas singulièrement la conscience politique mais le corps tout entier. Comment construire un pays sous les ruines, avec tant de blessures béantes ? À quand le retour de la paix dans cette cité? La hantise du mal nous emporte pendant que les égoïsmes politiques continuent à se mouvoir sur des trajectoires parfaitement tracées. La suggestion est forte et porteuse. On en ressort avec un lot d'interrogations. Pourquoi ; choisir de donner uniquement la parole à cette couche ? Ne fallait-il pas le faire ?

Soucis de formes et d'équilibre de genre

La critique peut lui trouver des soucis de formes et d'équilibre de genre. Probablement entre le reportage et le documentaire. Tout cela n'est que de l'histoire et conception. La force évocatrice des images et le discours animeraient encore plus le débat. Le documentaire est avant tout une question de choix, de point de vue et d'engagement social de chaque réalisateur.

Comme le Belge Thierry Michel dans Katanga Business ou son compatriote Zeka Laplaine dans Kinshasa palace, le cinéma de Mweze Ngangura, loin de remettre en cause la situation entrevue dans Les habits neufs du Gouverneur, revient sur une réalité qui aura tout le mal du monde à s'enrayer au plus tôt. Il renoue véritablement avec une œuvre qu'il commença il y a près de 20 ans avec Kin-Kiesse ou les Joies douces-amères de Kinshasa-la-Belle.

Avec Tu n'as rien vu à Kinshasa, témoigne de la puissance évocatrice de la mémoire en recourant autant à la force du verbe, à la force de l'image et à la densité de son repérage. Contrairement à Hiroshima mon Amour, qui renvoie à un retour en mémoire, le cinéaste congolais interroge le présent. Kin-la Belle est loin d'être la belle carte postale musicale qu'on lui connaît elle est aussi un cimetière des vies sans corps.

Martial Ebenezer NGUEA

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