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Interview de Dieudonné Mweze NGANGURA
"Mettre mon doigt dans une situation qui pourrait être explosive"
critique
rédigé par Martial Ebenezer Nguéa
publié le 04/12/2009
Martial E. Nguéa
Martial E. Nguéa
Mweze NGANGURA
Mweze NGANGURA
Tu n'as rien vu à Kinshasa…
Tu n'as rien vu à Kinshasa…
La vie est belle, de Mweze Ngangura
La vie est belle, de Mweze Ngangura
Papa Wemba dans le documentaire musical de Jimmy Glasberg, Papa Wemba Chance eloko pamba, 1996.
Papa Wemba dans le documentaire musical de Jimmy Glasberg, Papa Wemba Chance eloko pamba, 1996.
Pièces d'identité, 1998, avec Gérard Essomba
Pièces d'identité, 1998, avec Gérard Essomba
Gérard Essomba dans Pièces d'identité
Gérard Essomba dans Pièces d'identité
De gauche à droite : Cecilia Kankonda, Tshilombo Lubambu, Mwanza Goutier dans Pièces d'identité
De gauche à droite : Cecilia Kankonda, Tshilombo Lubambu, Mwanza Goutier dans Pièces d'identité
Les Habits neufs du gouverneur
Les Habits neufs du gouverneur
Tu n'as rien vu à Kinshasa…
Tu n'as rien vu à Kinshasa…
Benoît Lamy (1945-2008)
Benoît Lamy (1945-2008)

Dieudonné Mweze Ngangura est né le 7 octobre 1950 à Bukavu. Après ses humanités littéraires, il bénéficie en 1970 d'une bourse d'études du gouvernement belge pour apprendre la réalisation cinéma à l'Institut des Arts de Diffusion (IAD) à Bruxelles d'où il sort diplôme en 1975. C'est au cours de ces études à Bruxelles qu'il découvre sa passion pour le cinéma et réalise en 1973 deux court-métrages dans le cadre de ses études à savoir "Tamtam Electronique" (25 min.) et "Rythm and Blood" (20 min.)
De retour à Kinshasa en 1976, il devient professeur à l'Institut National des Arts (INA) et donne des cours à l'Institut des Sciences et Technique de l'Information (ISTI) où parallèlement, il poursuit la réalisation de quelques documentaires.
En 1986, son film "La vie est belle" qu'il co-produit et co-réalise avec le cinéaste belge Benoît Lamy et dont l'acteur principal est Papa Wemba le consacre définitivement comme un réalisateur de talent.
Auteur de plusieurs films à succès consacrés à son pays natal notamment "La vie est belle", "Les Habits neufs du gouverneur", etc... En Belgique, où il réside actuellement, il continue à nourrir le paysage audiovisuel et cinématographique congolais des œuvres de qualité qui parlent pour l'essentiel de la vie politique et social. Son dernier film "Tu n'as rien vu à Kinshasa" a reçu la distinction de l'écran d'argent lors de la 13è édition du festival Écrans noirs au Cameroun. Il parle ici de ce film. Évocation.

Le titre de votre film est inspiré d'une réplique du film Hiroshima mon amour de Alain Resnais, cela a quelque chose de confidentiel. Est-ce votre sentiment à la fin qui a suggéré cette réplique ?

J'ai vu qu'il y a très longtemps Hiroshima mon amour d'Alain Resnais qui est un classique. Tous ceux qui l'ont vu gardent en mémoire ce personnage qui dit "tu n'as rien vu à Hiroshima". Et comme ce film se déroule sous forme d'une situation catastrophique - en l'occurrence les bombardements de Hiroshima - j'ai voulu faire ce film qui présente lui aussi, la ville de Kinshasa. Comme ville sinistrée en faisant référence à ce titre. En même temps, Tu n'as rien vu à Kinshasa c'est surtout la réalité de Kinshasa. Celle qui n'est pas visible de prime abord. En réalité, je présente les communautés marginales de cette ville.

Justement, à travers ce choix, en quoi pensez-vous qu'ils soient plus importants que les autres ?

On voit la manière avec laquelle ces gens parlent de leurs réalités, surtout qu'il s'agit d'une tranche de la population qui n'a pas l'habitude d'avoir la parole dans les médias, et ils manifestent un intérêt très évident de s'exprimer. Je leur accorde cette possibilité à travers ma caméra. Je ne voudrais pas qu'on croie que j'ai profité de leur vulnérabilité. C'est surtout cette envie de leur donner la parole qui m'a motivé et a stimulé ma démarche.

La rencontre se fait quasiment caméra à l'épaule avec une importante présence du réalisateur que vous êtes.

Il y a beaucoup de cas où j'ai effectivement tourné sans prévenir le sujet. C'est parce que je souhaitais que la situation soit la plus vraie possible. Dans ce type de travail, je voulais des gens qui disent toute la véritable réalité, telle qu'elle vient à l'esprit. Il faut faire gaffe aux discours. Quand le sujet est prévenu à l'avance, il est capable de vous servir un langage de bois.

Mais est-ce un fort engagement politique ou un simple exposé des faits ?

Cela ne relève pas de moi. C'est plutôt la conséquence de ce que les gens disent. Je pense plutôt que j'ai été sensible à la réalité humaine de mes personnages. En fait, pour moi, il y a un aspect qui m'a beaucoup fasciné dans le film. Ce que j'ai récolté des hommes et des femmes qui vivent dans ces conditions, presqu'animales. Et malgré tout, je constate, à travers leur sens de l'humour, leur intelligence et aussi la prise de conscience de leur situation. Ils ont gardé intact leur humanité. Et quelque part, c'est une leçon de vie qu'ils nous donnent.

Cependant, dans votre démarche, vous ne donnez pas aussi la parole à l'État indexé. Que recherchiez-vous finalement ?

L'État n'est pas écarté dans ce débat. Il est sans cesse présent dans la mesure où toutes ces communautés invoquent la présence de l'État dans la gestion de leur quotidien. Ils l'appellent à l'aide. Et comme l'État n'est pas là, les populations se constituent en microcosme de l'État. Ainsi vous trouvez une nomenclature propre à un fonctionnement étatique d'où des titres de président, secrétaire général, chargé de la condition féminine etc… C'est de tous petits états qui s'autogérent.

Dans un tel champ de pensée, peut-on croire, en tant que fils du Congo, à un espoir pour ces communautés ?

Il peut y avoir de l'espoir si l'État central agit plutôt. Une ville comme Kinshasa compte environ 8 millions d'habitants. Ces communautés constituent une poudrière prête à exposer. Lorsque vous regardez ces enfants de la rue de plus en plus nombreux, leurs parents, tous ces gens, vont être difficiles à gérer à la longue. Vous ne savez pas quel sera le visage de cette ville dans une quinzaine d'années. Si j'ai fait ce film, c'est que je me considère comme un témoin de mon époque. Dans un certain sens, je pense qu'il est de mon devoir de citoyen de mettre mon doigt dans une situation qui pourrait âtre explosive.

Propos recueillis par Martial Ebenezer NGUEA

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