"On ne piétine pas deux fois les testicules d'un aveugle" dit un proverbe béninois. La deuxième fois, l'aveugle sait toujours prendre les précautions pour éviter la douleur. Avec près de 10 minutes de rêve, le personnage principal de ce court métrage vit en prémonition sa mésaventure de la journée qui s'annonce.
Ingrid Agbo fait preuve d'une certaine habileté scénaristique, en filmant le rêve de son personnage pour toucher la sensibilité de son public. Alors qu'elle n'a pas pu jusque là régler toutes les factures de ce film, "Une journée d'enfer" lui donne assurément toutes les chances de sélection et de prix dans les festivals de cinéma.

Michael doit se rendre au bureau pour défendre un dossier important pour sa société. Mais il n'hésitera pas à laisser son véhicule à sa femme Erica qui doit aller à l'hôpital, pour des soins. Le gentleman opte pour un taxi qui risque de lui causer un retard irrémédiable. Sur son chemin, il trouve son véhicule à l'arrêt et sa femme bien aimée en train de flirter avec son amant blanc. Supportera-t-il de perdre dans la même journée son boulot et sa femme ?

La structure du scénario tient le spectateur en haleine jusqu'au climax. L'issue ne sera donnée qu'au dernier plan du film. La jeune réalisatrice Ingrid Agbo signe une belle et agréable comédie pleine d'ironie. Elle pointe ici le rôle éducatif du cinéma en Afrique qui opère à plusieurs niveaux dans cette oeuvre de 10 minutes réalisée en 2008 au Bénin.
Les premiers cinéastes africains comme Sembène Ousmane, Souleymane Cissé, Idrissa Ouédraogo, Oumarou Ganda, Gaston Kaboré pour ne citer que ceux-là, ont évoqué, montré et dénoncé des faits, afin de servir d'exemples et mieux se conduire dans l'avenir, sur le plan social et politique. Sur cette même lancée du rôle instructif du cinéma, Ingrid Agbo introduit le rêve ; elle enseigne que ce dernier projette l'avenir et prépare les individus à l'affronter. Les travaux du psychanalyste Sigmund Freud sur le rêve sont éloquents à ce sujet.

Cette fiction marque le début de la carrière de la jeune étudiante en réalisation et la consacre aux côtés des autres excellentes cinéastes : Fanta Nacro Régina, Monique Phoba, Angèle Diabang. Ce film de qualité a permis à sa réalisatrice d'être sélectionnée pour un atelier de formation à l'écriture de scénario au Mali à Bamako en 2009. En juillet dernier, elle figurait parmi la cinquantaine de jeunes cinéastes africains pour le programme de Talent Campus du festival international du film de Durban en Afrique du Sud. À Clap Ivoir 2009 en Cote d'Ivoire, elle a reçu le prix de la deuxième meilleure fiction ainsi que le prix de la meilleur photographie.
"Une journée d'enfer" est un film d'études en réalisation produit au sein de l'Institut Supérieur des Métiers de l'Audiovisuel (Isma-Bénin). La reconnaissance gagnée par Ingrid Agbo augure de bons auspices pour le futur du cinéma africain

Souci du professionnalisme

Dans cette oeuvre de l'étudiante en réalisation, il y a un effort visible de faire un film professionnel.
Premièrement, c'est la construction du scénario qui sort d'office d'une simple narration et renferme une bonne partie de cinémacité de cette fiction. Entre flash forward et flash back, le rêve s'y situe avec une certaine sobriété et philosophie dans l'histoire.
Ensuite, la jeune réalisatrice fait un bon usage du silence. Des scènes silencieuses mélangeant gestes d'acteurs et images portent bien le message du film au spectateur. Un héritage du cinéma muet qui a servi à Ingrid Agbo de mettre du professionnalisme à son œuvre. Aussi, utilise-t-elle des ellipses qui ont le mérite de raccourcir son film et de ne pas ennuyer le public.
Enfin, on retrouve dans le casting Félicité Gounon, Miss Campus Bénin 2006. Cette dernière a su bien porter son rôle, avec son expérience théâtrale au sein de l'Union Culturelle et Artistique des Étudiants du Bénin (Ucae-Bénin). Même si certains acteurs du court métrage n'ont pas pu traduire la psychologie de l'histoire, il n'en demeure pas moins vrai que les deux principaux interprètes ont donné de l'épaisseur et du tonus aux scènes.

Espéra G. Donouvossi