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Dowaha, de Raja Amari
Les petits secrets qui grandissent
critique
rédigé par Hassouna Mansouri
publié le 06/01/2010
Hassouna Mansouri
Hassouna Mansouri
Dowaha, الدّواحة
Dowaha, الدّواحة
Dowaha, avec Hafsia Herzi au premier plan
Dowaha, avec Hafsia Herzi au premier plan
Raja Amari durant un débat au Festival d'Apt 2009
Raja Amari durant un débat au Festival d'Apt 2009
Raja Amari en interview, Apt 2009
Raja Amari en interview, Apt 2009
Hafsia HERZI
Hafsia HERZI
Abdellatif Kéchiche
Abdellatif Kéchiche
www.cinema-tous-ecrans.ch
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Dowaha, le nouveau film de Raja Amari est le film qui fait parler de lui le plus parmi les films tunisiens en ce moment. Après une sélection à la dernière biennale de Venise, ensuite une participation en compétition à Abu Dhabi, le film est de retour en Europe où il participe aux côtés de treize autres films, à la compétition pour le Reflet d'Or dans le cadre du Festival Tous Écrans de Genève qui s'est déroulé de 02 au 08 Novembre 2009. Après le grand succès de Satin Rouge, le premier long métrage de la cinéaste tunisienne, son second est très attendu. "Ce n'est pas elle qui a fait Satin rouge" pouvions-nous entendre dans les coulisses du festival.

Disons d'emblée et tout simplement que Dowaha s'inscrit dans la continuité de Satin rouge du point de vue du thème et du point de vue du style de la mise en scène. Raja Amari introduit cependant une nouvelle dimension à l'atmosphère du film qui gagne dans Dowaha un peu plus en abstraction. On dirait que le souci de la réalisatrice a été de faire un film de genre entre le fantastique et l'horreur. Ceci est très nouveau dans le contexte du cinéma tunisien. Rares sont, en effet, les cinéastes qui pensent d'abord en termes de forme cinématographique et dont le projet d'un film s'inscrit dans une recherche formelle. C'est plutôt le contenu qui, en général, décide de l'essentiel. Si le film par la suite, s'oriente plus vers ce genre ou l'autre, ce sera secondaire.

Bien sûr Dowaha est un film de femme. Il traite d'une sorte de piège existentiel dans lequel trois femmes se sont trouvées par la force de circonstances énigmatiques qui ne sont révélées qu'à compte gouttes et partiellement. Cette façon de cultiver le mystère permet d'entretenir le suspens jusqu'à la fin du film. L'idée n'est peut-être pas nouvelle chez Raja Amari. Dans l'un de ses courts métrages, Avril (1997), elle avait déjà construit une histoire autour de deux femmes âgées et une jeune fille placée à leur service. Là aussi le mystère était très grand.

Mais les intentions, les circonstances et la conception sont très différentes. Il ne s'agit pas seulement des facettes multiples de La Femme confrontée à des sorts multiples. Chacune des femmes de Dowaha porte sur ses épaules le poids très lourd d'un secret, d'une condition. Sans livrer ces secrets d'une manière frontale, la cinéaste les laisse percer à l'occasion d'un mot lancé de façon anodine, d'une conversation sans rapport directe avec l'idée, ou même de façon très subtile à travers une physionomie.
C'est à des moments pareils que nous apprenons que Radhia a été violée par son propre père et que celui-ci a été tué par la mère.
C'est d'une façon très détournée que nous apprenons que Selma est obligée de mentir à ses parents pour se permettre une échappée amoureuse avec Ali, pourtant elle donne l'air d'être issue d'une famille moderne. Son secret devient encore plus lourd à l'apparition des signes d'une grossesse très problématique. Quant à la mère dont la présence ne se manifeste que par des injonctions au sens d'interdiction pour la plupart, elle porte son mal jusque dans les traits de son visage.
Aicha, elle, porte son mal dans ses gènes. Issue, apparemment d'un inceste, élevée dans l'austérité et l'emprisonnement, elle est destinée à se révéler comme monstre à la fin.

L'arrivée de Selma et Ali perturbe l'ordre du trio familial. Au départ, les trois femmes ont peur de se voir obligées de sortir de la maison et de révéler leurs secrets. Ensuite, lorsqu'elles kidnappent Selma, chacune d'elles est révélée à elle-même. À la faveur d'un moment d'intimité, la mère laisse voir une part de sa féminité en fumant une cigarette en face du miroir, mais loin des regards de ses deux filles. Radhia semble retrouver le souvenir de la jouissance sexuelle alors qu'elle se touche dans les toilettes. Mais, avec elle, surgit le mal qu'elle a eu dans son propre corps et dont la sectatrice ne s'est jamais fermée. Quant à Aicha la plus petite, elle voit en Selma une confirmation des désirs de libido et de liberté qui grandissaient en elle. Toute cette dynamique provoquée par ce personnage, plus proche du fantasme que du réel, va mettre la machine du destin en marche et la fera aboutir au meurtre. [...] La métamorphose de la petite Aicha la fait passer soudain de la douce niaise jeune adolescente inoffensive à un petit monstre déchainé contre celles qui l'ont aimée et protégée et qui constituaient tout son monde.

À ce dispositif psychologique correspond celui de la construction du récit. Là encore, le personnage de Selma est la clé. À partir du moment de son apparition mais plus lorsqu'elle est en compagnie des trois femmes, l'action du film est orientée vers deux directions différentes. D'une part elle joue le rôle de catalyseur qui pousse les trois femmes à exhumer leur passé mystérieux. D'une autre part, elle devient le centre de l'action qui tend vers une libération possible qui se laisse voir à tout moment. De cette double orientation, naît une grande tension qui tient le film par le milieu et le pousse vers les deux extrêmes comme dans le sens d'une explosion.
Ceci va se faire à la faveur d'une forme d'alternance de moments de tension et d'autres de relâche. Les premiers coïncident avec ces moments où Selma essaye de s'échapper. Les seconds correspondent à des échappées lyriques et joyeuses qui laissent percer même une forme de complicité qui laisserait croire à une paix salvatrice. Mais les personnages ne tardent d'être rattrapés par la machine tragique qui est en marche.

Par ce dispositif hitchcockien, Raja Amari espérait relever le défi de maintenir le suspens le long du film. La profondeur psychique des personnages et le processus dramatique dynamique mis en place ne manquent certes pas d'entretenir l'attention du spectateur. Mais cela pourrait être trahi par la prestation des actrices qui n'arrivent pas à élever le niveau de jeu à celui de l'écriture. Même Hafsia Herzi reste loin en-deçà de sa prestation dans La Graine et le mulet de Abdellatif Kéchiche. Mais ceci est un problème qui dépasse Dowaha. La question de l'acteur incapable de porter toute la profondeur d'un scénario et toute l'épaisseur des personnages, reste l'un des handicaps majeurs de notre cinéma.

Hassouna MANSOURI

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