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Matthias Luthardt, réalisateur du documentaire autour des "Faiseurs de paix" en Côte d'Ivoire
"Je ne voulais pas faire un film folklorique"
critique
rédigé par Fortuné Bationo
publié le 17/01/2010
Fortuné Bationo
Fortuné Bationo
Mathias Luthardt
Mathias Luthardt

C'est un concept en guerre contre les idées répandues. "Peace counts project" a sillonné la Côte d'ivoire pour dénicher les personnes qui luttent pour éteindre des conflits, avec des sceaux d'eaux puisés au fond de leur désir de changer les choses. Cinq journalistes africains et autant de photographes ont investi différentes régions de Côte d'ivoire pour côtoyer ces anonymes lancés dans des batailles qui se gagnent parfois à coup de tractations houleuses et de chaleureuses poignées de main. Ce projet audacieux a vu le jour grâce au réseau des journalistes allemands "Peace counts project" et le Goethe-Institut Côte d'ivoire. Le réalisateur allemand Mathias Luthardt, auteur deux fictions saisissantes, a fait un documentaire sur le sujet. Entretien.

Quelles sont les motivations qui vous ont poussé à rejoindre le projet ?
La motivation principale est venue de mon contact avec Tilman Wörtz, l'une des têtes fortes du projet "Peace counts", que je connais depuis l'enfance. Quand il m'a informé de l'initiative, je suis tombé sous le charme. J'ai aussi trouvé l'idée très simple mais forte et efficace. C'est pourquoi je me suis engagé dans ce projet qui me tenait à cœur parce qu'il m'offrait encore l'opportunité de travailler en Afrique, après l'Ouganda où j'ai séjourné dans le cadre d'un autre travail.

On vous a vu beaucoup tendu et très concentré pendant le tournage. Aviez-vous des appréhensions quant au résultat de ce documentaire ?
En fait, c'était très complexe. Au cours de cette tournée, tous les soirs, les choses se répétaient un peu pour nous mais aussi pour vous journalistes. On découvrait une nouvelle ville mais avec le même programme. Mais pour le film, on ne voulait pas que ce soit redondant. Donc il fallait trouver des petites histoires à coté. Ma seule inquiétude, mais qui était assez légère, c'était de trop filmer ; une situation qui aurait pu compliquer les choses au montage. Parce qu'on a toujours le choix, je savais qu'il fallait se concentrer pour trouver l'essentiel pour les 20 minutes dans lesquelles le film devait tenir.

Quelles ont été les difficultés au cours du montage ?
Le montage est toujours un choix à faire. Ce n'est pas facile de faire ce choix. On a couvert plusieurs différents reportages et on aurait pu tous les montrer dans le film mais pour les téléspectateurs, c'aurait été trop. Il faut toujours faire un choix pour que le sujet soit bien digéré. Si on veut raconter trop de choses à la fois, ce n'est pas très intéressant.

Quelle est la différence entre ce travail et celui de réalisateur de fiction que vous menez habituellement ?
D'abord c'est un documentaire, ce n'est donc pas pareil que dans une fiction. J'ai beaucoup plus de contrôle quand je fais une fiction parce que c'est moi qui choisis les acteurs, qui les dirige. Ici, pour le documentaire, c'est une langue qui n'est pas la mienne. J'ai travaillé avec un cameraman qui ne parlait pas correctement le français mais qui a eu l'intuition de distinguer ce qui était important pour le documentaire. Il fallait donc établir la communication entre lui et le monde qu'on montre. Je ne voulais surtout pas que ce soit un film folklorique. C'est vrai qu'on était reçu au village avec des danses et des scènes de liesse, mais je voulais me concentrer sur le sujet journalistique, c'est-à-dire le message de la paix. Mais ce n'était toujours pas facile de rester concentré. C'est très impressionnant d'avoir des images de danseuses et de villageois mais en même temps, ça distrait du message essentiel.

Croyez vous que ce genre d'initiative peut aider à changer la perception de l'Afrique en Occident ? Tilman par exemple, l'un des responsables du projet, avait souligné toute la difficulté qu'il avait à glisser les articles dans les organes de presse allemands.
Oui, en fait parce qu'il est plus facile de vendre le sensationnel et le conflit, aussi bien aux lecteurs qu'aux téléspectateurs. On est comme des vampires. On veut voir du sang, on veut boire du sang. Mais dans ce cas-ci, c'est la promotion des modèles. En l'occurrence, des êtres humains qui s'engagent au profit de causes qui ne sont pas sues de tout le monde. Pour rendre compte de leur histoire et leur travail attrayant, il faut faire ressortir un conflit pour accrocher le lecteur. Par exemple cette femme qui s'occupe des orphelins, ce n'est pas très intéressant de louer simplement son travail. C'est plus intéressant de savoir pourquoi elle le fait, sa motivation. Mettre en lumière le mal qu'elle a vécu, c'était le grand défi. Dans les villages traversés par la caravane, deuxième étape du projet pour conter aux spectateurs les différentes histoires des "Faiseurs de paix", on a vu, à travers les réactions, que le message passe, pas seulement de façon intellectuelle mais émotionnelle.

Je reviens sur ma question : croyez-vous que ce genre de film peut aider à construire d'autres images sur l'Afrique ?
Oui, c'est pourquoi j'ai décidé d'y participer parce que l'image de l'Afrique qu'on a chez nous c'est la souffrance, la pauvreté, la maladie, la mort, la guerre. C'est donc une bonne idée de montrer des personnes qui ont beaucoup d'énergies malgré leur pauvreté, leur manque de soutien, et qui s'engagent dans l'ombre. Chez nous, l'image la plus répandue est celle des Blancs qui viennent aider les Africains. Mais ce projet démontre qu'il ne faut pas envoyer les Blancs pour faire bouger les choses. Les Africains peuvent le faire eux-mêmes. On a montré qu'il y a des personnes qui le font mais qu'on ne voit pas dans les médias ici. Et cela change beaucoup l'image de l'Afrique, pas seulement un peu mais beaucoup.

Pensez-vous qu'un tel projet peut avoir une suite et comment l'entrevoyez-vous ?
À mon avis, ça devrait continuer. Le terme "Faiseurs de paix" sonne un peu comme le prix Nobel de la paix. Sous ce vocable se trouvent rassemblés tous ceux qui font des petits pas qui font bouger les choses. Il reste encore de nombreuses personnes à qui un tel projet devrait rendre hommage. Donc il faut que ça continue. J'ai bien vu que ça marche, que ça passe.

Vous avez réalisé deux fictions, Ping Pong et Memory. Deux films aux scénarios originaux qui soulèvent la question de l'absence avec une acuité dérangeante, et qui se terminent par une tragédie. Est-ce une parabole de notre vie où pour acquérir un semblant de paix, on est appellé à commettre des sacrifices douloureux ?
Je ne veux pas confirmer en généralisant. Mais, évidemment, je crois que la paix et le développement d'un esprit humain ne se réalisent pas sans sacrifices. Et les sacrifices sont, parfois, assez douloureux, dépendant des obstacles qui nous empêchent de vivre une existence sincère et indulgente.

Vous étiez récemment en Tanzanie où vous avez donné des cours de documentaire, à l'initiative du Goethe-Institut. Vous vous êtes aussi rendu au Nigeria pour les mêmes raisons. Pouvez-vous nous dire un mot là dessus ?
En Tanzanie, c'était un cours sur le travail d'acteurs (Directing Actors). Les participants m'ont dit qu'ils voulaient apprendre à créer un monde crédible et naturel devant la caméra - comme contrepoids à ce qu'ils voient à la télé en Tanzanie - donc, principalement, des Soap Operas. Ma façon de mettre en scène des acteurs est basée sur la crédibilité et l'intuition individuelle. Le cours que j'ai donné au Nigeria avait quant à lui pour thème : "Spirit and Spirituality in Nigeria".

Interview réalisée par Fortuné Bationo

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