AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
25 004 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
Amours voilées, de Aziz Salmy
Le voile qui dévoile
critique
rédigé par Mahmoud Jemni
publié le 02/02/2010
Mahmoud Jemni
Mahmoud Jemni
Aziz Salmy
Aziz Salmy
Amours voilées
Amours voilées
Amours voilées
Amours voilées
Amours voilées
Amours voilées
Hayat Belhalloufi dans Amours voilées
Hayat Belhalloufi dans Amours voilées
Sâadia Ladib et Younès Megri dans Amours voilées
Sâadia Ladib et Younès Megri dans Amours voilées
Aziz Salmy
Aziz Salmy
Aziz Salmy
Aziz Salmy

Dès le début du film, un cadre socio-culutrel se trace à travers une scène qui porte à l'écran une bande de dames, fougueuses et pleines de vie. Tout laisse à croire qu'elles appartiennent à une classe aisée. Les tenues vestimentaires au diapason de la mode en vigueur, la quasi-totalité des décors et des lieux confirment cette assertion. Mais un bout d'habit fait fausse note. Il s'agit du voile porté, uniquement, par l'une des principales protagonistes : Batoul.

Cette dernière du haut de ses vingt-huit printemps a tous les atouts : la beauté, la culture et l'opulence. Pédiatre de carrière, elle en est arrivée en intériorisant des modèles dont l'amour de la lecture, la droiture et le travail. Cette fille, d'emblée n'est pas en manque ni d'éthique ni de déontologie. Outre son signe ostentatoire, on la voit s'acquitter de ses devoirs religieux, lire le Coran et entreprendre moult actes dignes d'une pieuse personne. Tout concorde pour juger "un comportement idéal" et lui octroyer le meilleur discernement.

Toutefois, une "déviation" s'installe avec l'intrusion de Hamza dans sa vie. C'est un homme raffiné, attentionné et charmant. Son côté play-boy l'a bien intriguée. Désormais, il est l'homme de sa vie. Elle s'est donnée à lui sans hésitation, sachant qu'elle transgresse tous les principes qu'elle a revendiqués auparavant.
La transgression des valeurs sociales incombe, entre autres, aux hâbleries de ses quatre copines. Ces dernières ne cessent de la taxer de pure et vierge dans l'espoir de la pousser à vivre, comme elles, des aventures sexuelles afin d'assouvir sa libido. Une carence psychoaffective pourrait, éventuellement, expliquer cette "sécession" : à la disparition de son père quand elle avait seize ans s'ajoute le décès du garçon à qui elle vouait un amour sincère.
Étant son aînée de vingt ans, le surgissement de Hamza ne fait qu'amplifier un phénomène d'identification et attiser des souvenirs péniblement enfouis. Ce nouvel homme représente surtout le père disparu et l'amour perdu très tôt. La voilà, maintenant, Batoul la schizophrène, trouvant toujours un équilibre entre ses devoirs moraux, religieux et ses désirs sexuels. Prise dans le tourbillon de l'amour, Batoul n'a pas pu freiner le tourbillon de l'aventure avec Hamza, malgré l'ultimatum adressé à ce dernier pour qu'ils régularisent leur situation avant le Saint mois de Ramadan. Au contraire, c'est elle qui veille, coûte que coûte, à profiter de sa rencontre avec l'homme de sa vie dans une villa cossue. Le tabou et/ou le péché a une autre définition pour Batoul. Elle n'est pas forcément celle de la société ni celle de ses copines. Cette distinction par rapport au commun se fait valoir quand la jeune pédiatre repousse le conseil d'une de ses amies. Outre Hamza, il y a Anas qui n'a d'yeux que pour elle.

Aziz Salmy, par le biais de l'attitude de la protagoniste principale, a le mérite de dénoncer l'hypocrisie de nos sociétés arabo-musulmanes qui se prétendent puritaines et chastes. Ces sociétés n'ont jamais pris en considération que les êtres humains, hommes ou femmes, ont leurs désirs, leurs fantasmes, leur érotisme et leur humanité. Les femmes, même voilées, ne dérogent pas à cette règle. Leurs habits distinctifs n'enlèvent ou n'ajoutent rien à ce qui fait leur appartenance à l'humanité. Elles ne sont pas des machines dépourvues de sensation. Il leur arrive, comme tout être, d'avoir du faible et un penchant vers quelqu'un, d'aimer et de se sentir aimé. Toute la vie repose sur ce noble échange de sentiments, en conséquence, de reconnaissance et de considération.

Le réalisateur a déploré, aussi, l'attitude de l'homme macho et sournois qui ne considère pas la femme comme une partenaire à part égale mais comme élément de désir qu'on abandonne dès que le besoin vient d'être satisfait. Les filles n'endossent pas toutes seules la responsabilité du port du voile.
L'homme, qu'il soit père ou partenaire, est le premier responsable. Le premier, parce qu'il se fige derrière une sacro-sainte éducation et une interprétation sur mesure de la Charia. Le second, parce qu'il croit qu'une fille voilée est beaucoup plus protégée. Il oublie très vite ses propres sorties avec des filles non voilées. Dès qu'il pense à l'institution du mariage il devient amnésique. On a qu'à désapprouver l'encouragement de certaines filles à se plier aux représentations voire aux caprices et l'égoïsme de l'homme.

Le réalisateur d'Amours voilées a subtilement traité d'un phénomène de société laissant au spectateur la possibilité de lire en filigrane. Le voile, ce morceau de tissu, de par sa profonde symbolique, nous a fait l'économie, de voir sur l'écran tous les symboles d'une idéologie obscurantiste. Ni barbus, ni toute autre représentation les distinguant. Comme si le voile, et c'est certain, n'est l'affaire que d'une frange de la société. Il est l'affaire de tous.
Il est temps que les amours voilées soient dites et reconnues en plein jour. Qu'elles soient dévoilées pour chacun, les femmes en premier lieu, retrouvent la liberté. Que le voile soit dévoilé à l'échelle individuelle et collective ! Voilà le message central que veut nous passer Aziz Salmy à travers son premier long métrage, avec des rôles campés par de superbes comédiens. Les jeux sont pertinents, ils ont été haussés par une belle image, une bande son irréprochable et montage traduisant à la perfection le rythme du film. Merci de nous avoir donné, hommes et femmes, la possibilité de nous dénuder intellectuellement et nous regarder dans un grand et joli miroir ! À bon regardeur...

Mahmoud JEMNI

Films liés
Artistes liés
événements liés