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Disgrâce
Liens de sang en Afrique du Sud
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 07/02/2010

LM Fiction de Steve Jacobs, Australie / Afrique du Sud, 2008
Sortie France : 3 février 2010

L'histoire de l'Afrique du Sud et ses transformations inspirent des approches troublées. Les traumatismes de l'apartheid et ses suites sont lisibles dans Disgrâce, un livre de 1999, dû à J.M. Coetzee. L'écrivain sud-africain, auteur de dix romans réputés dont Michael K, sa vie, son pays et Disgrâce, récompensés du Booker Prize, a cultivé une œuvre imprégnée des années d'apartheid. Titulaire du Prix Nobel de littérature en 2003, il s'est installé en Australie d'où est né justement l'idée de porter à l'écran le récit de Disgrâce. "Nous tenions à ce que le film soit fidèle au magnifique roman de Coetzee, en dépeignant l'Afrique du Sud comme une société complexe qui doit faire face au contrecoup de l'apartheid", explique le réalisateur Steve Jacobs. "Ce point de vue est perceptible à travers l'intrigue." Adepte d'un cinéma attrayant, Jacobs a fait un détour à Londres avant d'entamer une carrière de comédien en Australie dans les années 80. Il y signe deux longs métrages, The man you Know et La Spagnola, en s'appuyant sur la société de production qu'il anime avec Anna-Maria Monticelli, puis tourne Disgâce en 2007.

David, afrikaner professeur de poésie romantique à l'Université du Cap, séducteur impénitent, est compromis par ses relations avec une étudiante. Pour fuir le scandale, il démissionne et se réfugie dans la ferme de sa fille, Lucy, qui cultive des fleurs en solitaire, à l'intérieur des terres. Leur tête-à-tête est difficile. Leur présence ranime le ressentiment de l'apartheid auprès des fermiers noirs qui les entourent. Au cours d'une agression, le professeur est le témoin impuissant du viol de sa fille. Le choc lui ouvre les yeux sur la violence subie par les femmes mais aussi sur le nouvel équilibre des rapports entre Noirs et Blancs. "Leur tragédie intime fait écho aux réactions très diverses suscitées par l'événement atroce qui est la clé de voûte du film", commente le réalisateur. "Dans un paysage somptueux de montagnes et de vallées, nos personnages sont en plein désarroi et se demandent s'ils peuvent aller de l'avant. Le cadre spectaculaire qui les environne fait partie intégrante de leur trajectoire personnelle. Une trajectoire qui reflète une Afrique du Sud à la fois moderne et traditionnelle."

Pour mettre en scène les tourments de Disgrâce, Steve Jacobs cultive une atmosphère intimiste, aux cadres bien composés. "Je n'ai pas voulu adopter un style moderne où la caméra est constamment en mouvement", précise t il. "J'ai préféré laisser au spectateur le soin de se forger son propre point de vue et, du coup, la caméra se tient à distance des personnages." Cet objectif est approfondi par un travail sur la profondeur de champ qui ouvre de larges perspectives sur les terres sud-africaines. "La présence charnelle de l'Afrique habite le film", confirme le cinéaste australien. "Il est essentiel de rendre compte de la puissance et de la beauté de cet univers naturel si nous voulons comprendre pourquoi, envers et contre tout, Lucy décide de ne pas partir. Les Sud-africains sont quotidiennement confrontés à des choix semblables : il fallait que l'on explique, dans Disgrâce, pourquoi ils décident parfois de rester sur place."

Le film tisse ainsi l'empreinte des rapports entre un pays et ceux qui en sont issus. Il souligne les traces des blessures en s'appuyant sur un duo d'acteurs touchants. La star internationale John Malkovich campe le professeur tandis qu'à ses côtés, Jessica Haines débute au cinéma en jouant Lucy. On remarque la prestation de Eriq Ebouaney dans le voisinage. L'acteur français aux origines camerounaises, remarqué dans le rôle titre de Lumumba de Raoul Peck, a été repéré par Jacobs durant la promotion de Frontline de David Gleenson qu'il interprète. Le tournage en Afrique du Sud où la ferme de Lucy a été construite, était favorisé par la participation de Emile Sherman, producteur australien d'origine sud-africaine qui s'est associé au projet. Pour lui, Disgrâce devrait inviter à "accepter la réalité et ce qui nous échappe." Mais cette fresque romanesque aux images éclatantes, évoque aussi les marques d'un passé douloureux dont on voudrait s'affranchir.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)

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