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L'intertextualité dans Out of Africa de Sydney Pollack (1985)
critique
rédigé par Savrina Parevadee Chinien
publié le 04/04/2010

"Et c'est bien cela l'inter-texte : l'impossibilité de vivre hors du texte infini [...]."
Roland Barthes, Le Plaisir du texte.

L'intertextualité

Chaque œuvre est un "objet" culturel qui est intégré à réseau de signifiants et de signifiés. Un texte peut toujours en lire un autre : le phénomène de transtextualité est souvent présent. Gérard Genette, dans Palimpsestes, définit ce concept comme étant une transcendance textuelle du texte, c'est-à-dire "tout ce qui le met en relation, manifeste ou secrète, avec d'autres textes" [1].

Selon Genette, le premier type de relations transtextuelles est l'intertextualité (notion explorée par Julia Kristeva) qu'il définit comme une relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes, notamment par la présence effective d'un texte dans un autre [2]. Quant à Michel Riffaterre, il le définit de manière beaucoup plus vaste : "L'intertexte est la perception, par le lecteur, de rapports entre une oeuvre et d'autres qui l'ont précédé ou suivi" [3]. La question d'intertextualité est très prégnante dans le film Out of Africa [4], réalisé par Sydney Pollack en 1985, avec à l'affiche Meryl Streep and Robert Redford.

Le scénario étant "un texte virtuel ou une histoire condensée" [5], peut être comparé au texte littéraire qui a servi d'inspiration première. Le scénariste du film Kurt Luedtke s'est basé sur trois ouvrages : l'autobiographie Out of Africa and Shadows on the Grass [6] de Isak Dinesen, nom de plume de Karen Von Blixen-Finecke ; la biographie de Karen Blixen par Judith Thurman : Isak Dinesen: The Life of a Storyteller [7] ; et Silence Will Speak, d'Errol Trzebinski [8]. L'adaptation de Kurt Luedtke est plutôt libre car ce sont les histoires d'amour de Blixen qui sont mises en exergue : celle avec son mari, le Baron Bror von Blixen-Finecke et avec Finch Hatton. Toutefois certains épisodes de la narration chronologique des années de Karen Blixen au Kenya et toute l'atmosphère coloniale africaine dans les dernières décennies de l'Empire britannique apparaissent dans le film. De même, la plupart des personnages principaux sont identifiés par leurs vrais noms mais leurs rôles sont souvent "romancés". Plusieurs éléments entrent en conjonction dans ces deux œuvres (littéraire et cinématographique) et créent ainsi une intertextualité.

Une adaptation au cinéma

Les deux textes (dans le film c'est la voix-over de Meryl Streep qui débute l'histoire) commencent en utilisant exactement la même phrase : "I had a farm in Africa at the foot of the Ngong Hills..." [9]. Alors que les Blixen avaient décidé d'investir dans l'élevage des animaux bovins, Karen Blixen découvre, à son arrivée, que son mari a créé une plantation de café. La maison qui figure de façon proéminente dans le film a été acquise avec les bénéfices du prix élevé du café pendant la Première Guerre mondiale. Bror Blixen se révéla un mari infidèle et le couple divorcera : Karen prendra en main la responsabilité de la ferme. Elle était indépendante, efficace ; elle aimait la terre et "ses" employés kikuyus. Toutefois, ses terres n'étant pas adaptées pour la plantation de café et le prix fluctuant de ce produit entraînèrent des dettes jusqu'à ce que Karen fût obligée de vendre la ferme.

L'intertextualité est aussi présente à travers les personnages principaux dans les deux œuvres (l'autobiographie et le film). Denys Finch Hatton est dépeint par Blixen et représenté au cinéma comme un homme philosophe, proche du peuple et respectant la nature. Il entreprit d'amener Karen en safaris plusieurs fois (aussi en avion) pour lui faire découvrir la beauté des paysages. Si dans le film, Denys devient l'amant de Karen, dans l'autobiographie, l'écrivaine ne définit jamais clairement la nature de leurs relations. Le serviteur Farah acquière toute la confiance de Karen et à la fin quand celle-ci vend la ferme, le film reprend un des titres des chapitres de l'ouvrage : "Farah and I sell out". Le jeune Kamante Gatura fut effectivement guéri sur l'insistance de Karen qui l'amena voir un médecin à la Mission chrétienne. Celui-ci devient son cuisinier. Les apparitions du mari de Blixen ne sont pas fréquentes dans le film et cela correspond aussi au fait que Karen Blixen ne l'évoque presque pas dans son écrit, sauf une ou deux fois. Elle n'utilise d'ailleurs jamais son prénom mais se réfère à lui comme "mon mari".

Si le film suit une suite d'évènements chronologiques, l'ouvrage de Karen Blixen, est divisé en cinq parties qui sont pour la plupart non-linéaire avec aucune chronologie particulière. Les deux premières parties se focalisent sur les Africains qui venaient à la ferme, la troisième partie décrit certains personnages hauts en couleurs, dans la quatrième partie, Blixen reflète sur la vie d'une colonialiste blanche en Afrique et ce n'est qu'à la dernière partie que l'ouvrage devient de plus en plus linéaire quand la ferme devient endettée. La toute dernière image du film comme dans l'ouvrage de Blixen c'est la protagoniste qui regarde, de son train, avec nostalgie les collines de Ngong disparaître.

Bestiaire du cinéma

La représentation des peuples africains (Masai, Somali, Kikuyu) par Karen Blixen et par extension dans le film relève aussi d'une certaine intertextualité en condensant et en reprenant certains grands traits de la littérature occidentale [10] et du cinéma hollywoodien, notamment : l'Afrique comme un décor, une nature féroce et cannibale ainsi qu'une population à qui on accorde une certaine "bestialité". Blixen sera critiquée pour sa condescendance par de nombreux auteurs, tels le romancier et critique kenyan Ngugi Wa Thiong'o ; même le personnage de Blixen [11] dans le film se verra reprochée son paternalisme par Denys (Robert Redford).

Le titre même du film est emprunté d'une autre textualité. C'est la célèbre formule de Pline l'Ancien : "Out of Africa, there is always something new" (en latin - "Ex Africa semper aliquid novi" ; en français : "Il y a toujours quelque chose de nouveau qui sort de l'Afrique").

Sydney Pollack adapte au cinéma un texte mais aussi deux méta-textes, un écrit par Judith Thurman qui est aussi co-productrices du film. Ce foisonnement intertextuel installe le film au milieu d'un faisceau de références. Il est intéressant de noter que l'Afrique était doublement portraituré à la 58ème cérémonie des Oscar. En effet, le film La Couleur pourpre de Steven Spielberg, dont une bonne partie de la fin se passe en Afrique a été nominé onze fois sans remporter la moindre statuette. De teneur totalement différente, les films de Spielberg et de Pollack entrent en résonance intertextuelle car ils participent tous deux d'un régime narratif global dont les cinémas coloniaux européens ainsi que la littérature et la peinture se sont aussi nourris : exotisme et fantasmagorie du (bon) Sauvage.

Savrina Parevadee Chinien

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