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Teza
Rosée amère en Ethiopie
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 28/04/2010
Michel Amarger
Michel Amarger
Haile Gerima
Haile Gerima
Sankofa, de Haïle Gerima
Sankofa, de Haïle Gerima

LM Fiction de Haïlé Gerima, Ethiopie/ Allemagne / France, 2008
Sortie France : 28 avril 2010

La distribution de Teza rappelle la fougue et la profondeur des auteurs africains lorsqu'ils cultivent leur indépendance. Car Haïlé Gerima est un combattant du cinéma, soucieux de préserver sa voix en maîtrisant ses productions. L'accueil de Teza, lauréat de prix prestigieux aux Journées de Carthage 2008, au Fespaco 2009, confirme l'impact de Gerima pour interpeller les spectateurs. Depuis l'Éthiopie où il naît en 1946, jusqu'aux États-Unis où il émigre en 1968, le réalisateur questionne la condition des Noirs. Il dénonce l'exploitation des paysans dans La moisson de 3000 ans, 1976, défend l'engagement d'une femme du ghetto de Watts par Bush Mama, 1976. Il prend un tournant significatif avec Sankofa, 1993, télescopant les époques pour investir la mémoire africaine et la traite, puis revient vers l'Ethiopie avec Adoua : une victoire africaine, 1999, sur la résistance à la colonisation italienne, et Teza (La rosée), 2008, dédié "à tous les Noirs battus et tués parce qu'ils sont seulement noirs."

Le film éprouve les mouvements de Anberber, revenu dans son village natal, en Ethiopie, après un parcours douloureux. Parti étudier en Allemagne de l'Est après 1970, ce médecin chercheur est initié à la cause noire en fréquentant la belle Cassandra. Son ami Tesfaye fonde un foyer avec une Allemande avant de regagner l'Ethiopie pour servir le nouveau régime qui a renversé Haïlé Sélassié. Anberber le rejoint à Addis-Abeba, en 1980, pour mettre ses connaissances au service du pays. Mais le régime du colonel Mengistu devient dogmatique. Tesfaye qui pense fuir, est éliminé et Anberber renvoyé en Allemagne. Il renoue avec la compagne de Tesfaye, découvre son fils puis subit une agression raciste. Lorsque Anberber en réchappe de justesse, une jambe meurtrie, il revient en Ethiopie après 1990. Usé, désenchanté, il se reconstruit peu à peu aux cotés de sa mère et de Azanu, une femme mise au banc de la société pour avoir tué son bébé lorsque le père s'est marié avec une autre. Alors que les forces armées traquent les enfants pour les enrôler, Anberber entame une nouvelle étape avec Azanu, porteuse de vie et d'espoir.

Ces époques ne sont pas contées de manière linéaire mais présentées comme des blocs qui se heurtent au fil des émotions d'Anberber. Ce personnage écartelé sert d'axe au film. Sa tension est reflétée par un montage rude, amplifié par Gerima. "Il ne peut pas revenir en Europe d'aujourd'hui et il ne va pas être en mesure de revenir en arrière", explique t il. "Chaque réalité dans laquelle il est projeté détermine la forme de mon film." Poussant le choc de ses séquences où jaillit la violence, la mort ou la communion des êtres, le réalisateur se fait l'écho d'une conscience bousculée par les pouvoirs. "Quand le contenu est brutal, votre forme est brutale. Ils sont liés", insiste Haïlé Gerima. Il puise sa force poétique dans l'utilisation des symboles qui irriguent les rapports entre les personnages. L'eau sourd dans les scènes clés, soulignant la puissance des femmes dont la mère protectrice, et les amoureuses, de Cassandra à Azanu, qui orientent le héros vers une meilleure connaissance de son empreinte dans le monde. Sensible aux marginaux, aux exclus dont il partage la condition, en Europe puis dans son pays, Anberber reflète les pulsions d'un esprit qui s'éveille. Le feu qui brûle comme une résistance fait écho au soleil rouge de la fin du film.

Teza est aussi une incursion dans les tourments politiques de l'Éthiopie. Les blessures du héros s'apparentent aux désillusions d'une génération qui a cru profiter d'un changement de régime pour appliquer un socialisme concret, renvoyé aux limites de l'utopie. "Nous avons été mal guidés. La réponse a toujours été au nez du peuple. Nous avons pensé le convertir à une religion, une doctrine, une structure socialiste. Cela n'a pas marché. Cela n'a apporté que chaos et catastrophes", déplore Gerima qui oriente son propos vers l'autocritique. La fiction prend alors la forme d'un exorcisme inspiré pour ce chrétien déterminé. "Le film exorcise le manque de connaissance, le savoir arrogant", commente Gerima. "Nous pensions savoir et nous ne savions pas." Alors le cinéaste a pris du temps pour accomplir Teza, filmé en Super 16mm et Haute Définition (gonflé en 35 mm), en gardant le contrôle de la production. En proposant un héros en doute dont le nom signifie "courage", capable de changement et d'évolution, il s'inscrit dans un mouvement de contre-culture où les valeurs africaines tendent à créer un futur viable pour chaque individu.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France / Africiné)

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