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Yousry Nasrallah fait son cinéma
critique
rédigé par Ilhem Abdelkèfi
publié le 09/05/2010
L'Aquarium
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Yousry Nasrallah est né au Caire en 1952. Il poursuit des études en Sciences Politiques à l'université du Caire, avant d'opter pour des études cinématographiques en s'inscrivant à l'Institut du Cinéma du Caire en 1973.
Il est au Liban pendant la guerre civile et collabore comme journaliste au journal "al- Saphir".
En 1982, il devient l'assistant de Youssef Chahine sur le film "La Mémoire" puis en 1984, sur "Adieu Bonaparte" et en 1990 sur "Alexandrie encore et toujours".
C'est en 1987 qu'il réalise son premier long métrage de fiction, "Sarikat sayfeya" (Vols d'été) suivi de "Mercedes" en 1993, "Al Médina" (la ville) en 1998, "Bab el Shams" (La Porte du soleil) en 2004, "Guéneinet Al-Asmak" (L'Aquarium) en 2007 et "Ehki ya Schéhérazade" (Raconte Schéhérazade) en 2009.
Il réalise aussi un court métrage "Une journée particulière avec Youssef Chahine" en 1994 et un documentaire en1995 "Sobyan wa Banat" (A propos des garçons, des filles et du voile) pour la chaîne Arte.

Yousry Nasrallah est considéré comme le chef de file de la nouvelle génération de cinéastes égyptiens. Artiste et intellectuel à la parole libre, il se dit idéaliste encore et toujours dans le sens où il continue à croire que le monde peut s'améliorer.
Il affirme qu'il fait des films pour mieux se comprendre lui-même et que sa préoccupation première est la connaissance de soi et non pas la compréhension mutuelle laquelle est pour lui un fantasme : "Si par compréhension mutuelle, nous entendons aveuglement mutuel, alors j'espère que le cinéma ne contribue pas à cela."

Son cinéma

Youssef Chahine a été souvent présenté comme son père spirituel, mais il s'en défend. Il affirme, à ce propos, qu'avant de l'avoir comme père spirituel, il a eu un vrai père avec lequel il a eu beaucoup de problèmes, sans oublier tous ces pères de la Nation, cette tradition de leaders qui représente, à ses yeux, un vrai problème. Ainsi cette question de la filiation telle qu'elle est présentée dans le monde arabe est-elle une question délicate et politique.
Pour lui, Youssef Chahine se pose toujours le problème de l'individu face au pouvoir et il lui reproche cette attitude de défense. L'enjeu pour moi, dit-il, n'étant pas l'individu, mais le social. Dans son cinéma, il plaide pour l'individu d'une manière presque militante, en essayant toujours de réduire au maximum l'arrière fond politique. C'est le rapport de l'individu avec l'Histoire qu'il essaie d'aborder, en montrant comment un individu agit pour ne pas se faire écraser par cette dernière et comment il peut lui résister.

Il cherche à pousser le spectateur à se poser quelques questions sur son existence et surtout à tenter de casser, briser la haine et la honte de soi.
Dans son cinéma, il veut montrer ce que l'on ne raconte jamais, la joie de l'insoumission par exemple comme dans "la Porte du soleil". Il dit que la révolte est très sexy.
Ses films sont toujours basés sur une philosophie ou une manière de voir personnelle, Yousry Nasrallah n'ayant jamais été un adepte du concept du "sujet chaud". Ce qui compte pour lui, c'est l'Homme.
Il n'aime pas le mot "racines", car il veut être continuellement dans le mouvement en tant que cinéaste, dans une sorte de survie dynamique. Il dit se sentir parfois comme un "spéléologue" qui creuse sans cesse et à qui il peut arriver des choses totalement inédites.

Ses thèmes

Le style de Yousry Nasrallah est de prendre des éléments, des trames et des personnes connues et de les présenter au spectateur de manière à lui faire découvrir des rapports qui lui donnent l'impression de voir tout cela pour la première fois.

Le corps
Pour lui, un personnage a un corps, donc il existe. C'est pourquoi il filme le corps jusqu'à ce qu'il dégage "une sensualité" et raconte "notre histoire" comme le dira Nahila à Younes dans "La Porte du soleil". Alors, "pourquoi refuse-t-on ce corps ?". La modernité consommatrice, selon lui, a des exigences auxquelles les gens ne peuvent pas répondre dans les conditions d'aujourd'hui. Dans ce sens, le cinéma est au centre de ces questions, car "il n'y a pas de cinéma sans corps".

Dans "La Porte du soleil", le corps " réel ou fantasmatique est présent tout au long du film". Il y a celui de Nahila "corps désirant quand nous la voyons enceinte. Puis corps nié, quand elle refuse de nourrir son second enfant à la mort du premier". Celui des Palestiniens en fuite "pour échapper aux massacres". Ou encore, celui des hommes "assassinés puis alignés dans une fosse commune". Celui, également, de Younès "se tatouant la date du 15 mai 1948". Celui du soldat israélien "tué par Younès" et enfin le corps de la Palestine, "le pays perdu qui hante les habitants du camp de Chatila".

Le pays
L'Egypte contemporaine apparaît, quant à elle, dans ses contradictions. Dans le documentaire "À propos garçons, des filles et du voile", Yousry Nasrallah dit avoir voulu parler du voile. Cependant, pour un chrétien d'Egypte, comme lui, tourner un film sur un sujet aussi délicat ne pouvait pas être quelque chose de facile. Il a donc choisi de filmer des gens qu'il aime et de démystifier le voile plutôt que de le "dédramatiser", car pour lui, poser un phénomène social comme étant uniquement un phénomène idéologique ou de croyance religieuse lui semble stupide. Il cherche à user d'un langage qui soit en rapport avec le réel. "Je racontais que je faisais un film sur le voile, mais qu'il s'agissait aussi d'un hommage aux femmes qui travaillent puisque 75% des foyers dépendent du travail des femmes".

La jeunesse
Dans "Mercedes", Yousry Nasrallah a voulu filmer un jeune idéaliste d'aujourd'hui, mais un jeune dans le Caire de 1990, année où l'Egypte perd le match de foot contre les Anglais au Mondial à Rome, où la crise du Golfe éclate, où le bloc socialiste s'effondre et où l'intégrisme prend des allures un peu plus violentes. Un jeune vit une histoire dans laquelle la violence que l'on sentait dans l'air pouvait éclater parce que venant d'incompréhensions et de malentendus. Aussi son objectif est-il de faire l'éloge de la différence religieuse, sexuelle, politique, raciale.
A la question qu'on lui posait à propos de la description d'une vie homosexuelle "tolérée" dans le film, il répond que la vie homosexuelle décrite était loin d'être vécue au grand jour, elle est décrite comme fascinante mais aussi comme très clandestine.
Et de préciser que toute forme de sexualité hors mariage est très mal vue et que dans un contexte où on excise les jeunes filles, où on discute encore de savoir si c'est bien ou mal de battre les femmes, et où l'éducation est délabrée..., pourquoi aurait-il envie de parler spécifiquement de l'homosexualité ?
Il est vrai que, pour lui, les orientations sexuelles ne doivent en aucun cas être un sujet tabou, qu'il n'a jamais caché les siennes, tout en étant conscient que cela est loin d'être normal ou simple dans une société comme la sienne. Mais dire les tares de cette société où l'amour est coupable forcément, c'était possible et dans son film, c'est le couple homosexuel qui vivra, pour un temps seulement, avant l'assassinat de l'un des deux garçons, une sexualité heureuse car Yousry Nasrallah pense que " fin du monde ou pas, il en restera toujours deux pour s'aimer dans une arche de Noé".

Ses contraintes

La censure


Yousry Nasrallah déclare que la censure n'est pas son problème, les censeurs étant "de petits fonctionnaires dont on s'accommode". Mais le vrai problème pour lui, entre hier et aujourd'hui, c'est la société civile. "C'est au niveau du public que les problèmes commencent dans un climat de guerre larvée. La société est prête à exploser à cause de la corruption et du manque de démocratie. Tout se fragmente, tout se traduit par une ère de grande peur et les gens deviennent conservateurs".
C'est donc la société civile qui censure le créateur et qui transforme le cinéma égyptien en un cinéma conservateur destiné à un public familial.
Yousri Nasrallah préfère donc que ce soit l'Etat qui censure car au moins, dit-il, il a en face de lui un ennemi clair et net : "C'est très chic d'avoir l'Etat comme ennemi, c'est moins chic d'avoir son voisin".
Il y a bien sûr une censure en Egypte. Sur scénario, puis sur film fini. Les sujets tabous sont la politique, le sexe et la religion. Ce qui fait que tous les films égyptiens tournent précisément autour de ces trois sujets !
"Qu'est ce qui est le plus perfide dans une dictature ? C'est que vous êtes constamment dans l'illégalité, mais vous faites ce que vous voulez".
Pour Yousry Nasrallah, toute forme de fiction se heurte à un code qui n'est pas consensuel. Le cinéma a besoin d'un consensus. Ne serait-ce que pour s'y opposer en prenant position par rapport au consensus. Et en Egypte, c'est le flou total et ça mine la société.

La coproduction

La coproduction est, pour lui, un moyen d'échapper justement au marché traditionnel et à la censure. "Ces coproductions, souligne-t-il, se sont réalisées au moment où l'industrie cinématographique égyptienne était en déclin total. Pendant un certain temps, les films étaient en effet financés par l'Arabie saoudite, pays où la publicité était interdite à la télévision. Notre cinéma était donc dépendant du marché saoudien de la vidéo, où nos films servaient de supports à la publicité. Puis, un jour, un prince saoudien a décidé que la pub était un marché lucratif et il l'a introduite à la télévision. L'industrie égyptienne du cinéma s'est alors effondrée, juste au moment où je commençais à travailler…J'ai dû ainsi trouver une autre source de financement : ce fut des coproductions de l'Egypte, de la France et parfois de l'Allemagne." Cela étant dit, pour lui, le financement extérieur n'entame en rien sa liberté dans l'écriture d'un film. Il dit n'avoir jamais fait un film pour un public précis, mais pour un spectateur sensible à sa manière de raconter. Si bien qu'après la phase d'écriture, "ma seule préoccupation, déclare-t-il, est de trouver les moyens d'être indépendant pendant que je réalise mon film". Cependant, son dernier film "Ehki ya Schéhérazade" a bénéficié et pour la première fois, d'un financement à 100% égyptien. "Être capable, au bout de 20 ans, de trouver un financement uniquement égyptien en étant libre de faire ce que je veux est quelque chose de très important pour moi".

Un Conteur d'histoires

Yousry Nasrallah est un cinéaste qui dit les tares de sa société, société où l'amour est coupable et c'est en choisissant le mélodrame qu'il atteint le plus large public et par conséquent, par la voie de la fiction qu'il montre le mieux le réel d'une société.
Il dit que le cinéma qu'il fait avec les autres cinéastes de sa génération se trouve dans cette position ingrate : "ou provoquer ou exister". "J'aimerais définir mon cinéma et celui des cinéastes que j'aime comme un cinéma qui essaie de donner au spectateur arabe une image de lui plus complexe, plus désobéissante, plus corporelle, plus individuelle".
"L'Aquarium est le film que j'aime le plus, parce qu'il combine tout ce que j'ai appris sur la façon de raconter des histoires, avec parfois des outils sophistiqués tout en préservant la pureté de mes autres films".
Et d'ajouter : " Je crois qu'avec la fiction, on peut essayer de rendre les choses plus tendues, plus contrastées, on peut construire une histoire englobant des réalités diverses. Réaliser un film, ce n'est pas faire un discours politique ou souligner simplement des idées, c'est montrer des humains, des individus complexes".
Yousry Nasrallah s'est imposé comme un très grand conteur d'histoires. Dans son cinéma, nous trouvons "le politique, le sensuel, le jouissif et l'introspectif" ; cela peut-être une épopée ou une saga, un roman historique ou un film intimiste.
Dans ses films, des destins personnels racontent une histoire collective et donc l'Homme et le monde.
Yousry Nasrallah est un cinéaste "généreux, impertinent, sensuel qui dépeint sa société - à la fois moderne et conservatrice".
Il est à l'écoute des siens sans oublier que ce sont "des êtres humains" qui "vivent dans cette société".
Le cinéma de Yousry Nasrallah se résume ainsi: "un va-et-vient entre l'Histoire de tous et le destin de chacun".

Ilhem Abdelkèfi

Bibliographie
Sources utilisées : Des entretiens avec Yousry Nasrallah dans les sites, hebdomadaires et magazines suivants :
- babel med Propos recueillis par Waleed Marzouk
- Téléobs Propos recueillis par Jean'Paul Mari (4 novembre 1995)
- L'Humanité Article paru le 5 décembre 2001
- www.arte-tv.com Analyse du film "Mercédès" et entretien avec Y.Nasrallaqh, 6 novembre 1995
- Vacarmea "La joie de l'insoumission", propos recueillis par E. Galienne et J.P. Renouard, 2002
- Acte Sud/La pensée du midi 2005 "Bab el-Chams", un film de Yousry Nasrallah, entretien réalisé par Antonia Naïm

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