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Hors-la-loi
Lecture cinématographique : Pédagogique avant tout
critique
rédigé par Samir Ardjoum
publié le 25/05/2010
Samir Ardjoum
Samir Ardjoum
Affiche du 63e Festival de Cannes, réalisée par Annick Durban d'après une photographie de Juliette Binoche par Brigitte Lacombe
Affiche du 63e Festival de Cannes, réalisée par Annick Durban d'après une photographie de Juliette Binoche par Brigitte Lacombe
Cheb
Cheb
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Cheb
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Little Senegak
Little Senegak
Little Senegak
Little Senegak
Le réalisateur Rachid Bouchareb
Le réalisateur Rachid Bouchareb
Hors-la-loi
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Jamel Debbouze dans Hors-la-loi
Jamel Debbouze dans Hors-la-loi
Hors-la-loi
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Si l'actualité lui confère une aura particulière, le film de Bouchareb reste une œuvre en tant que telle. Lecture à chaud après sa projection.

Une séquence : Sami Bouajila danse avec une Française qui collabore au sein du FLN. Une mélodie : celle de Ray Charles vantant sa Georgia on my mind, tant célébrée. La séquence est furtive, belle en soi, dégageant l'une des rares respirations d'un film attendu, critiqué, vilipendé et finalement projeté dans l'enceinte du Grand Théâtre Lumière.
Nous sommes à Cannes. Hors-la-loi concourt pour la Palme d'Or et Bouchareb, son auteur, renoue avec la force patriotique d'Indigènes. Buzz médiatique depuis quelques mois qui a vu différentes accusations de l'extrême-droite, des associations d'anciens combattants et surtout du député UMP des Alpes Maritimes, Lionel Luca, reprocher à Bouchareb de "falsifier l'histoire". En cela, un important dispositif de sécurité est mis en place depuis ce matin afin de contrecarrer les plans saugrenus du Front National désirant saborder les projections. Plus que tout autre film de la compétition officielle, Hors-la-loi a convoqué toute une armada d'agents, de policiers dans un stress bien visible.

Les bouteilles d'eau sont réquisitionnées, les sacs fouillés plusieurs fois et les consignes respectées à la lettre. Cette projection prend des allures d'inquiétante étrangeté au sein d'un Bunker où le cinéma doit normalement régner. De l'autre côté de la Méditerranée, la ministre de la Culture, Khalida Toumi, clamait récemment avoir envoyé une délégation composée de journalistes et de réalisateurs algériens afin de "soutenir le film de Bouchareb". Le branle-bas de combat est lancé. Le film peut débuter. Depuis que l'État français colonisa l'Algérie, au début du XIXe siècle, et jusqu'en 1962, date de l'indépendance, il n'y eut pratiquement aucune image réelle du quotidien des Algériens (ou des autochtones pour les colons) qui étaient savamment présentés soit en amorce d'un plan, soit en hors-champ, égarés et surtout dans des positions délicates où leur prétendue sauvagerie n'avait d'égale que leur stupidité. Cet asservissement de l'image prenait corps dans la matérialisation d'un fantasme exotique qui amplifiait les clichés, leur donnant un liant qui déshumanisait et escamotait le geste algérien. Absent, égaré, l'Algérien était retiré de tout contexte historique et participait à une série de propagandes visuelles orchestrées par une administration qui abusait de son pouvoir sur les images.

Il est donc logique qu'après 1962, le jeune État algérien voua son idéologie cinématographique à raconter la vraie vie du peuple opprimé et ses luttes, effort qui se traduisit par un besoin vital de s'échapper du ghetto identitaire construit par l'histoire coloniale. Lorsque Mohamed Lakhdar Hamina réalise Chronique des années de braise, il convoque pour la première fois une caméra qui scrute un récit antérieur aux fameuses journées du 8 mai 1945, épousant exceptionnellement un désir de rafraîchir une mémoire cadenassée. Le cinéma algérien, à cette époque, devait légitimer une nation et construire une identité afin de l'inscrire dans l'histoire du cinéma. Les films de guerre affluaient et pendant ce temps, en France, très peu de réalisateurs captèrent frontalement ces années que tous voulurent oublier et certains cacher. Hormis quelques exemples tels que Laurent Heynemman (La Question), Jean-Luc Godard (Le Petit soldat), Alain Cavalier (L'Insoumis), le cinéma français prenait le soin de ne pas agiter des choses venues d'un pays que l'on considérait autrefois comme un énième département français. Le hors-champ n'existait plus.

Une qualité essentielle

Depuis quelques années, force est de reconnaître la suprématie du bon sens qui donne un élan dans la nécessité de retravailler la réceptivité de l'Histoire. Philippe Faucon, Bertrand Tavernier, Florent Emilio Siri, à leur manière, se réapproprient le canevas algérien et participent à l'élaboration de récits structurés pour donner un visage à cette guerre sans nom. Le temps aidant, certaines choses doivent être filmées autrement et toute cette nouvelle configuration peut parfois accentuer la pédagogie du message. C'est le cas de Rachid Bouchareb qui, depuis Indigènes (2005), s'est lancé dans une bataille informative mâtinée d'une émotion fabriquée. Du cinéma politique en somme ! Hors-la-loi est à classer dans la seconde partie d'une filmographie en dents de scie. Bouchareb est né en France et est d'origine algérienne. Cette double culture est importante, car elle s'installe dans ses premiers films où l'on sent une envie délibérée de questionner une marque indélébile qui continue aujourd'hui de travestir les vérités.
De Cheb à Little Sénégal, en passant par Bâton rouge ou Poussières de vie, Bouchareb s'est frayé dans ses films un chemin particulier en convoquant histoires personnelles et vecteurs sociologiques, donnant à ses films des moments de grâce où le cinéma reprenait tout son sens, et s'écartant des sempiternels cahiers des charges du politiquement correct. Depuis Indigènes, la situation changea du tout au tout, et offrit à Bouchareb, qui avait réglé, cinématographiquement parlant, ses interrogations identitaires, l'occasion de s'adonner à un autre registre, la pédagogie lyrique. Indigènes fut un succès public inimaginable et servit même dans la réalité avec le bouleversement des pensions des retraites allouées aux anciens combattants maghrébins. Du jamais vu dans la sphère d'un art parfois fragmenté. Bouchareb l'a toujours clamé, Indigènes est le premier film d'un triptyque sur l'Algérie. Certes, mais là, les questions personnelles de l'identité, de la double culture et de l'éclectisme sont éclipsées au profit d'un didactisme appuyé qui doit présenter de nouvelles formes à de nouvelles générations. Hors-la-loi est de cet acabit !

Pour recréer un territoire d'identification, il faut continuellement convoquer les origines. Bouchareb va donc construire un récit qui débutera dans les plaines algériennes des années vingts jusqu'à l'indépendance, en passant par les journées historiques et terribles du 8 mai 1945 et du 17 octobre 1961.
La qualité essentielle du film est de montrer des choses habituellement formatées, de faire tomber des légendes. Un cinéaste n'a pas pour fonction de rendre compte de la chronologie historique, il doit en faire un rapprochement avec la société dans laquelle il vit. En cela, très peu de choses sont mises en parallèle, ce qui confirme un objectif de raconter pour ne pas oublier, de reprendre cette nécessité d'esquiver coûte que coûte l'officiel de la guerre pour que la vérité soit perpétuée.

Hors-la-loi s'inscrit dans une volonté de tout montrer, de ne pas perdre de temps, d'éclaircir parfois certaines zones d'ombre, de fouiller réellement les méthodes du FLN (nouvelle couleur de filmage, nouvelle vérité), de montrer des résistants effectuant un "sale boulot", de travailler sur le hors-champ, donc de procurer un respect dans les notations historiques.
Hors-la-loi convoque dans la foulée un certain lyrisme qui dessert automatiquement les intentions premières des cinéastes (travailler la notion d'histoire), mais qui auréole les messages de résistance par des séquences aussi lacrymales qu'intrigantes. Bouchareb, en bon chef d'orchestre, use et abuse du quatuor de violons pour effacer toutes notions cinématographiques qui perturberaient le spectateur. Il finit donc par faire des concessions et abandonne le concept qu'il utilisait dans ses précédents films.

Hors-la-loi est une œuvre efficace car elle parlera à tous les spectateurs du présent avec des moyens plats et schématiques. Pour ce qui est de l'avenir, et en raison d'une absence d'un sérieux travail réflectif, le film risque d'errer dans les nuages du cinéma politique. Nous ne pouvons certainement pas lui reprocher d'avoir filmé ce sujet, ni d'avoir - enfin - montré les massacres du 8 mai 1945 (de nombreux Français découvriront avec surprise cet événement absent des livres scolaires), ni d'avoir rétabli une certaine équité dans la balance de réflexion autour de la Guerre d'Algérie. Le problème, c'est qu'en pratiquant un cinéma basé sur les bons sentiments, sur l'étirement des scènes "grandioses" où chaque acteur à son quart d'heure d'Actor's Studio, sur les pistes de lecture trop nombreuses pour une réelle identification, Hors-la-loi ne restera peut-être pas dans les mémoires en tant qu'écriture cinématographique, mais ravira les spectateurs du présent dans leur rapport à l'Histoire.
Hier, à Cannes, il a été fortement applaudi à l'issue de la première projection de presse. Bon signe sur la future réceptivité des publics ?

Samir Ardjoum

Article paru le 22 mai 2010 dans [EL WATAN (Alger)]

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