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critique
rédigé par Saïdou Alceny Barry
publié le 04/07/2010
Saïdou Alceny BARRY
Saïdou Alceny BARRY
Hassouna Mansouri
Hassouna Mansouri
Le cinéaste tchadien Mahamat-Saleh Haroun sur le tournage de son film Un homme qui crie
Le cinéaste tchadien Mahamat-Saleh Haroun sur le tournage de son film Un homme qui crie
Youssouf Djaoro (Adam) dans Un homme qui crie
Youssouf Djaoro (Adam) dans Un homme qui crie
Youssouf Djaoro, Mahamat-Saleh Haroun, Douc Kioma et Emile Abossolo M'Bo lors de la conférence de presse de "Un homme qui crie" à Cannes 2010.
Youssouf Djaoro, Mahamat-Saleh Haroun, Douc Kioma et Emile Abossolo M'Bo lors de la conférence de presse de "Un homme qui crie" à Cannes 2010.
Un homme qui crie
Un homme qui crie
Un homme qui crie
Un homme qui crie
Un homme qui crie
Un homme qui crie
Un homme qui crie
Un homme qui crie

On entend trop souvent que le cinéma africain va mal. La critique francophone ne s'en porte pas mieux. Mimétique de la critique française, oublieuse de ses buts et maladroite dans l'analyse de son objet, elle n'est au plus qu'un discours superflu. Il lui faut se réinventer pour accompagner les cinémas naissants du continent.

Une critique mimétique

Dans Africiné, la critique du film "Un homme qui crie" du Tchadien Mahamat-Saleh Haroun, Prix Spécial du jury de Cannes 2010 est illustrative des errements ou du complexe de l'assimilé de la critique africaine. Hassouna Mansouri, même s'il avoue l'inconfort de cette posture ne résiste à la tentation de légitimer l'universalité du film et sa valeur esthétique en convoquant Sophocle, Homère, la tragédie grecque et la Bible ([article n° 9489]. Cette lecture intertextuelle aurait quelque intérêt si elle ne se limitait à trouver dans ce film la structure de la tragédie grecque et dans les personnages, des succédanés des héros de la Bible ou de la mythologie grecque.

Cette approche eurocentriste est récurrente dans la critique africaine. Elle s'évertue à évaluer les films africains à travers les canons helléniques et occidentaux. Pourtant, il n'est pas besoin de plonger si loin dans le temps et dans l'espace pour voir les figures du tragique dans un film tchadien. Aristote peut aller se rhabiller ! Son Art poétique n'est d'aucune utilité ici.
Ce pays de sable et de communautés éparses, coincé comme une viande sanguinolente dans la gueule d'un molosse dont le Soudan et la Libye seraient les puissantes mâchoires, porte en lui-même les germes du tragique. Les clans tchadiens qui s'étripent indéfiniment et le perpétuel défilé de chefs de guerre à la tête de l'État, semant le deuil et la mort n'ont rien à envier à la famille des Atrides en terme de cruauté ou de fatalité ! Ce film est ancré dans la réalité tchadienne, et toute critique de ce film qui ferait l'impasse sur cette réalité tchadienne n'est qu'un discours spécieux !

Pourtant tout le discours critique sur le cinéma africain procède de la ventriloquie. Incapable de se dégager de la glu d'un discours d'emprunt, elle passe très souvent à côté du sens des œuvres qu'elle critique. C'est à se demander s'il existe une critique africaine. Et même un cinéma africain.

Critique africaine ou critiques africains ?

Cette question n'est pas superflue. Cette critique qui aime à se parer des oripeaux gréco-latins le fait peut être parce qu'elle s'adresse d'abord à un public non africain. Car, pour qu'il y ait véritablement une critique africaine, il faudrait bien un cinéma africain. Osons la question ? Y a-t-il un cinéma africain ? Évidemment, mon cher Watson ! Pourtant, en allant au-delà de l'évidence, on verra que cette appellation est un pis-aller.
On ne parle jamais de cinéma asiatique, ni européen, ni du continent américain, reconnaissait Paulin Soumanou Vieyra dans son essai "Le cinéma africain des origines à 1973" paru en 1975. Les cinématographies sont toujours nationales. Par conséquent, parler d'un cinéma africain, c'est reconnaître l'inexistence de cinématographies nationales sur le continent, et par conséquent de l'inexistence d'un cinéma sur le continent tout simplement. Il existe des films faits ailleurs par des réalisateurs africains avec des équipes européennes, et des films faits en Afrique avec des équipes européennes que l'on regroupe abusivement sous l'étiquette "cinéma africain". Dans cette logique, on mettrait Out of Africa de Sydney Pollack et Stars War de George Lucas dans le répertoire africain sans frôler le ridicule.

Comment sortir de cette impasse ?

Il faut jeter par-dessus bord tous les films dont les éléments essentiellement filmiques ne sont pas le fait d'Africains, c'est-à-dire la photogénie et le montage. Ainsi, un film dont les images et le montage seront faits par des non Africains ne devront plus être considérés comme appartenant au répertoire africain. Cela passe par l'abandon de la mystification des Cahiers du cinéma qui ont inventé la notion d'auteur dans une entreprise collective comme le film.
Jean- Luc Godard pouvait dire, triomphant, en 1959 "Nous avons gagné en faisant admettre le principe qu'un film d'Hitchcock, par exemple, est aussi important qu'un livre d'Aragon." Même en Occident, le réalisateur comme auteur n'est pas vrai. Dans les studios hollywoodiens, pour faire un film, les directeurs s'occupaient du scénario, du casting, de la construction de décors et en dernier lieu faisaient intervenir un ou plusieurs metteurs en scène. Le cas de Partie de campagne de Jean Renoir monté en son absence avec des rushes d'un tournage interrompu démontre l'imposture d'attribuer un film à un auteur. Cela est plus vrai en Afrique où la plupart des films passent sur la table de montage en France tandis que le réalisateur est en Afrique !

Redéfinir le film africain en évacuant l'auteur, n'est-ce pas participer à une sorte de table rase de notre cinéma ? Ne court-on pas le risque de se retrouver les mains vides, sans aucun de ses films que nous brandissons fièrement comme des chefs-d'œuvre d'Afrique ? Entre nous, ce n'est pas une grande perte, juste une chirurgie réparatrice comme l'ablation d'un sixième doigt ou d'un appendice. D'ailleurs, ces fameux chefs-d'œuvre, conçus dans une logique festivalière, à l'affiche d'une salle aujourd'hui, ne déplaceraient pas une centaine de spectateurs…

Retrouver les vrais objets du discours critique

La perte n'est pas immense et, cela nous permettra de nous défaire par la même occasion des nombreux films prétendument africains, parce que le réalisateur et le chauffeur sont africains mais bourrés de clichés racistes, qui attentent à notre image, tronquent notre culture !

D'ailleurs, de nos jours, il y a des pays qui ont des cinématographies bien établies tels l'Égypte, l'Afrique du Sud, le Nigeria, le Ghana, et le Burkina Faso dans une moindre mesure. Il existe dans ces pays des films entièrement conçus par des nationaux. La critique devra descendre de son piédestal et s'intéresser à des films qu'elle a toujours méprisés quoique ceux-ci fassent le bonheur des publics africains.
Bien sûr, ces films sont gauches, ils sont horribles avec leur propension à charcuter des séries télé pour en faire des longs métrages, avec leur direction d'acteurs si théâtrale, les raccords approximatifs, et le son, exécrable. Mais cela est propre à tout cinéma naissant, tel l'agneau qui vient de choir du ventre de la brebis, avec ses pattes flageolantes et sa vue hésitante qui tente de se mettre péniblement debout.
La critique doit lécher ce cinéma-là, l'aider à se mettre debout et l'allaiter à la culture du cinéma mondial. Telle devrait être sa mission.

Et pour cela, il lui faut renoncer à sa morgue et considérer que ces films sont dignes d'être des objets d'analyse. Il lui faut remiser au placard les outils surannés et s'en créer d'autres plus opératoires.
Si toute critique naît avec l'objet ou la création qu'elle critique comme le suggère Paulin S. Vieyra, le père de la critique africaine, alors cette critique est à réinventer à la mesure des cinématographies nationales naissantes sur le continent.
Et ce chantier devrait se faire avec les universitaires et chercheurs d'Afrique. La critique de presse devra se nourrir à l'analyse du film africain, aux théories par eux, pensées ou repensées sur le cinéma africain.

Saidou Alcény Barry

Cet article précédemment publié le 23 juin 2010 dans le quotidien burkinabè L'Observateur Paalga (Ouagadougou) a été légèrement remanié pour l'adapter à un public plus large. Nous savons qu'en ces temps où la haine de l'Autre est très à la mode, l'on est prompt à coiffer tout discours différent de cette casquette. Chez nous, il n'y a ni désamour d'Occident ni passion aveugle d'Afrique, juste le besoin d'interroger nos pratiques de critiques pour les mieux adapter à nos réalités et mieux servir l'art. Et "faire du sarcasme la condition de la vérité" pour susciter le débat. Car nous pensons comme Hegel qu'"il n'y a d'intérêt que là où il y a contradiction".

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