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Entretien avec Cheick Fantamady CAMARA, Réalisateur guinéen
"À défaut d'obtenir un financement, j'ai commencé le tournage avec l'argent gagné dans la vente de mon film Il va pleuvoir sur Conakry"
critique
rédigé par Fatou Kiné Sène
publié le 30/08/2010
Fatou Kiné Sène
Fatou Kiné Sène
Le réalisateur-producteur Cheick Fantamady Camara, sur le plateau de son second long métrage (Dakar, juillet 2010).
Le réalisateur-producteur Cheick Fantamady Camara, sur le plateau de son second long métrage (Dakar, juillet 2010).

Après le succès de son premier long métrage, Il va pleuvoir sur Conakry, Cheikh Fantamady Camara sait qu'il est très attendu. Le réalisateur guinéen travaille à son deuxième long métrage, Morbayassa. Une partie du film a été tournée à Dakar en juillet dernier. Morbayassa, c'est l'histoire d'une femme prostituée qui part à la recherche de son enfant abandonné 15 ans plutôt. Entretien.

Africiné : Vous êtes à Dakar pour les besoins du tournage de votre deuxième long métrage, Morbayassa. Comment a été financé le film ?

Cheick Fantamady CAMARA : Le film est fait sur fonds propres. Je n'ai pas eu de financement jusqu'à présent. Quand mon précédent film Il va pleuvoir sur Conakry a été acheté par la chaîne de télévision, Arte France, j'ai réinvesti cet argent pour commencer ce film, parce qu'il n'est que commencé. Est-ce que j'aurais de l'argent pour le continuer ? C'est une grande question.
On est obligé d'arrêter le 30 juillet (L'interview a été réalisée le 23 juillet, Ndlr), car nous n'avons plus d'argent. Les techniciens ont accepté de faire la deuxième semaine (du 22 au 29 juillet dernier) pour que le film se termine. Cela est très important. C'est bien d'avoir cet esprit. Les Sénégalais m'ont séduit sur ce point.

À combien s'élève le budget le film ?

Est-ce qu'on peut parler de budget ? Avec l'argent que j'avais, je suis venu voir mes frères Sénégalais qui ont accepté de travailler parce qu'ils ont eu confiance. Je ne suis pas en train de leur mentir. Ils ont pris le peu que je leur ai donné. Cela n'a rien à voir avec le salaire. C'est cela l'Afrique, on n'a pas le choix. Nous n'avons pas assez d'argent. Pendant que la culture est la première industrie pour les pays occidentaux, en Afrique c'est la dernière industrie. Les dirigeants africains croient qu'on s'enrichit avec le pétrole, le diamant, etc.
Dans les années 60, le Sénégal et la Guinée étaient des pays-phares, culturellement, dans la sous-région. On se souvient de tous ces orchestres, ces footballeurs, ces théâtres. Aujourd'hui, ces petits dictateurs de m... - (excusez du langage, je suis irrité quand j'en parle) - n'ont rien compris. En fait, ils ont compris, sauf qu'ils sont à la merci de l'Occident…

Dans votre équipe de tournage on retrouve des Guinéens, Maliens, Sénégalais, est-ce un choix délibéré ?

J'ai toujours fonctionné ainsi dans mes films. Quand je ne trouve pas quelqu'un chez moi, je vais voir ailleurs. Je ne vais pas faire venir des Français alors qu'il a un ingénieur du son au Mali, au Sénégal, en Guinée. Il y a en Afrique de supers techniciens.
Arona Camara a tout le matériel de lumière et de machinerie. Clarence Delgado est un excellent premier assistant. Il y a ici de bons techniciens. Qu'est-ce que je vais chercher en France ? Peut-être un caméraman si je n'en trouve pas.
J'ai convié des stagiaires pour un apprentissage sur le tas. Je fais cela parce que nous avons besoin de techniciens. C'est encore plus agréable si l'on se forme entre nous. On profite des tournages pour envoyer des jeunes qui ont envie de faire ce métier sur les plateaux. Cela permet d'avoir des techniciens et qui pourront faire nos films dans nos pays.

Pourquoi avoir utilisé le numérique pour le tournage de Morbayassa ?

Ce que je dirais n'engage que moi. Le numérique, c'est une autre génération de caméra. Elle est beaucoup plus légère que la caméra pellicule. Beaucoup vont vers le numérique aujourd'hui à cause du coût très bas et de l'équipe qui devient plus légère. On a moins de contrainte financière et de poids à transporter. Je crois que le numérique et la vidéo sont les bienvenus en Afrique, avec nos dirigeants qui n'ont pas encore une politique culturelle cohérente.

Quelle est la prochaine étape du tournage après Dakar ?

Après Dakar, il faut se reposer, rechercher de l'argent, car je n'en ai plus. Je ne sais pas quand j'aurais l'argent. Mais le deuxième gros lot du film, c'est l'Occident, en France. Après ce sera au Mali et en Guinée.

Vous êtes très attendu après le succès de votre premier long métrage...

Oui, j'en suis conscient. Mais je travaille comme d'habitude. Il va pleuvoir sur Conakry a reçu beaucoup de prix. L'un des plus importants pour moi est le Grand prix "Ousmane Sembène" au Festival de Khourigba en 2008, au Maroc. C'était la première fois qu'on mettait le nom de Sembène sur le Prix. Ce trophée m'a beaucoup marqué, je le garde toujours. C'est avec Ousmane Sembène que j'ai su qu'un Noir peut faire un film.
Son film Le Mandat, que j'ai vu à Conakry au lycée quand j'avais 16 ans, m'a donné envie d'en faire aussi. Je voulais faire du cinéma comme Ousmane Sembène. Et comme la nature sait bien faire les choses, j'ai été le premier à recevoir un prix en son nom. Pour mon tournage à Dakar, j'ai fait des t-shirts à l'effigie de Ousmane Sembène.

Quels sont vos projets ?

On a que des projets. J'ai un projet en Guinée, un film intitulé Cabananco, une histoire dansante, car les personnages principaux sont des danseurs dans une troupe. L'histoire est liée à la fonction de danseurs. C'est grâce à la danse que le personnage va trouver une solution à son problème qui dure depuis vingt ans. C'est aussi l'image de cette Afrique dansante, belle.
Il faut montrer aux Africains qu'ils ne sont pas les seuls qui souffrent. Tout le monde souffre, il faut qu'on défende notre propre identité.

Quelle lecture faites-vous de la situation actuelle dans votre pays, la Guinée ?

La seule chose qui me réjouit aujourd'hui, c'est que le peuple est allé jusqu'au bout cette fois-ci pour dégommer ces petits "connards" qui nous font chier depuis des années. C'est bien d'organiser les élections. Je suis toujours optimiste, c'est le combat qui paie. Maintenant, on va voir celui qui sera désigné président, ce qu'il fera.

Propos recueillis par Fatou Kiné SENE

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