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Vénus Noire
Kéchiche met la barre au plus haut
critique
rédigé par Hassouna Mansouri
publié le 12/09/2010
Hassouna Mansouri
Hassouna Mansouri
Abdellatif Kéchiche
Abdellatif Kéchiche

Vénus Noire, le nouveau film de Kechiche est particulièrement attendu cette année non pas parce que ce réalisateur a toujours eu du succès au Lido, mais parce que le sujet du film est extrêmement spécial cette fois. Cette fois Venise n'aura pas porté bonheur au réalisateur de La Graine et le mulet, aucun jury ne semble avoir été convaincu par le film. Mais cela n'enlève rien à notre conviction de la force et la pertinence du propos et encore moins au talent de metteur en scène du cinéaste.

Kechiche a choisi de raconter une histoire qui remonte au début du 19ème siècle. Mais il ne s'agit pas d'un film historique au sens traditionnel du terme. Les évènements commencent certes en 1815. Le film reconstitue en effet l'atmosphère de l'époque, par les costumes, les accessoires et les décors. Mais Kéchiche reste profondément plongé dans une actualité brûlante, puisque son personnage meurt à cette époque-là, mais il n'est enterré qu'en 2002. L'histoire est l'une des plus intrigantes de notre époque et l'une de celles qui traduisent avec une grande éloquence l'absurdité des rapports entre les différences.

Vénus Noire est l'histoire vraie de Sarah Bartman dite "Saartjie", une femme vraiment pas comme toutes les autres, pas comme nulle autre. Charles Baudelaire l'avait nommée "la maîtresse des maîtresses". Dans sa vie, elle en a vu de tout. Esclave chez les Afrikaans en Afrique du Sud, puis domestique, elle est amenée à Londres pour être exposée comme une curiosité de foire. Ensuite elle fait l'objet des caprices de la haute société parisienne avant de faire l'objet d'investigations scientifiques sur les traits curieux de son anatomie.

À cette époque, le rapport final du Docteur Georges Cuvier (1769-1832, le père de la paléontologie et de l'anatomie comparée) servit d'arguments pour les esprits tordus qui cherchaient à justifier leur comportement et politique colonialistes en s'appuyant sur des idées racistes et absurdes.

Au début des années 90, et à la fin du régime aberrant de l'Apartheid, l'Afrique du Sud gouvernée par l'ANC, le parti de Nelson Mandella, réclame à la France les reste du corps de la femme au sort bizarre. Jusqu'ici les organes et le squelette étaient exposés au Musée de l'Homme à Paris et en était la propriété.
Il semblerait que la restitution symbolique de ce corps à sa terre natale avait suscité chez Abdellatif Kéchiche une réflexion sur l'actualité des rapports entre le Nord et le Sud et plus précisément entre l'Europe, son passé coloniale, et sa politique actuelle à l'égard du continent noire.
Sarah Baartman dans le film est plus qu'une réalité historique, elle est une réalité politique non pas au sens étroit, mais au sens le plus profond. La Vénus Noire est la métaphore de cette Afrique admirée, aimée mais aussi usée et exploitée jusqu'à l'os au sens propre et au figuré.

Depuis son jeune âge dans le petit village prés de Cup Town où elle est née, Sarah a servi des homme blancs. D'abord esclave, puis mariée à un Afrikaans qui la largue. Celui qui la prend comme domestique ensuite lui fait miroiter le succès et la gloire, en la faisant monter sur scène comme un monstre exotique dans la foires européenne tout en lui faisant croire que c'est le chemin vers le monde du spectacle. Son corps qui devait être sa richesse en est devenu une malédiction. Après avoir été montrée comme une curiosité, il servira de chair à consommer dans les maisons closes des bas fonds parisiens. Ayant pris en elle tous les maux du monde, elle s'éteint alors qu'elle n'avait pas encore la trentaine.

Mais l'exploitation mercantile de ce corps magique ne s'est pas arrêtée avec la fin des souffrances de la vie. Au-delà de la mort, l'Europe et ses scientifiques, continuera a puiser ce qui est encore utilisable en elle. De son vivant, Sarah n'a jamais autorisé les scientifiques regroupés autour du professeur George Cuvier de s'approcher de ses organes génitaux. Lorsqu'elle est morte, l'Académie Royale de Médecine s'est procurée de la manière la plus minable la dépouille qui servira à justifier les inégalités qui sévissent encore sur l'ordre du monde.
La mutilation du cadavre de la Hottentot Noire est présentée par Kéchiche comme le viol le plus abominable, à l'image de toutes les violences et les absurdités que l'Afrique continue de subir au nom de l'aide au développement.

Plus qu'un film de reconstitution historique, Vénus Noire est donc une mise au point sur l'aberration des rapports entre les différences quand ceux-ci sont régis par la soif du pouvoir et du profit sans reconnaitre aucune limite.

Hassouna Mansouri

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