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Entretien avec Pablo Cesar, réalisateur et professeur de cinéma, Université de Buenos Aires - Argentine
" Je crois que la plupart des cinéastes africains sont en train de chercher leur langage "
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 25/09/2010
Pablo César, réalisateur universitaire argentin, membre du jury Compétition internationale, Kélibia 2010
Pablo César, réalisateur universitaire argentin, membre du jury Compétition internationale, Kélibia 2010
Bassirou Niang (Africiné)
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FIFAK 2010
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Hunabkú (El principio de todo) 2007
Hunabkú (El principio de todo) 2007

Le cinéma (ou les cinémas) d'Afrique reste encore nouveau, comparé à ceux des autres continents. Mais il n'en demeure pas moins qu'il est en pleine mutation, avec une originalité en phase avec ses propres réalités culturelles. Pablo César, ayant à son compte vingt courts métrages et deux longs métrages, donne à l'université de Buenos Aires un cours de réalisation et de production. Il y anime en même temps un séminaire sur le "cinéma d'auteur". À l'occasion du 25ème Fifak, en Tunisie, il nous livre sa propre perception.

Africiné : Pablo Cesar, vous avez été membre du jury pour la catégorie compétition internationale, pourriez-vous nous parler de la qualité des films que vous avez vus lors de ce festival de Kélibia ?

Pablo Cesar : Je vois que la qualité du cinéma du Maghreb s'est amélioré du point de vue de la narration, si je fais la comparaison avec l'édition de 1989 qui fut ma première participation. Le film européen et celui des autres parties du monde se sont beaucoup améliorés. La technologie et la pratique du langage cinématographique en sont les principales raisons, à mon sens. Cela est positif par rapport aux années précédentes.



Comment vous appréciez les approches des cinéastes, puisque tantôt ils investissent les réalités de leur époque tantôt ils semblent franchement surréalistes ?

Jusqu'à présent j'ai vu toutes sortes de films ; certains touchent à la réalité. On a l'impression qu'il y a eu un sujet commun traité en même temps dans beaucoup de films. Je ne le dis pas comme une critique mais comme une sorte de question. Par exemple, cette année, nous avons en Argentine beaucoup de films sur la dictature dans notre pays. C'est vrai, pour ce 25ème Fifak, beaucoup d'entre eux convoquent la réalité. À coté, d'autres sont plus surréalistes et versent dans la fantaisie expérimentale. Il faut dire que c'est le monde des réalisateurs qui est comme ça.
En Argentine, un journaliste a demandé à un cinéaste pourquoi il n'a jamais fait de film sur la pauvreté. Et ce dernier de lui répondre qu'il est très touché par la pauvreté, mais qu'il ne connaissait pas cette réalité pour ne l'avoir jamais vécue. En conséquence, il se sentirait véritablement mal à l'aise avec ce sujet. La réalité de la pauvreté est tellement dure que parfois il est difficile d'en parler. Et je pense que c'est une question liée à la jeunesse, parce que souvent la réalité est trop forte. Je vois que le cinéma, aussi bien indépendant que celui amateur, se développe dans ces deux directions.
Je vois aussi chez la jeunesse un intérêt pour les questions sociales avec en particulier un questionnement sur l'avenir. Cela est très important.

Est-ce que le cinéma professionnel peut y gagner quelque chose ?

Non, je ne crois pas ! Parce qu'il faut dire que c'est le cinéma commercial qui occupe les salles. Dans ce cinéma, on ne fait pas des films avec des images expérimentales. Avec le temps - peut être que je suis un peu trop idéaliste -, je pense que le cinéma expérimental et celui d'art vont gagner les salles, mais ce sera un processus trop long parce qu'entretemps il faudra que les gens puissent résoudre les problèmes sociaux, politiques, économiques auxquels ils sont confrontés. C'est seulement à partir de ce moment que l'on pourra passer à l'étape de la création par la création elle-même.

Y-a-t-il des réalités communes que le cinéma argentin partage avec celui du continent africain, en particulier maghrébin, du point de vue thématiques, approches cinématographiques ?

Je parlerais plutôt des écoles de cinéma. Avec le digital, les jeunes ont beaucoup plus de liberté pour s'exprimer. Là, ce sont des points de comparaison raisonnables. Je vois qu'il y a un développement de centres d'études pour le cinéma en Afrique, alors que chez nous en Argentine, nous avons plusieurs écoles. Ensuite, du point de vue thématique, la question de la participation sociale se pose. Le problème, c'est l'exhibition [la diffusion, Ndlr] : comment est-ce que l'on montre ces films ? Comment on fait pour que ces films soient dans les salles de cinéma et y restent pour une durée de plus de quatre jours ? C'est une question non encore résolue en Amérique du Sud. Nous avons des salles de cinéma, mais la qualité du son et de l'image laisse à désirer. Nous avons essayé n'importe quelle solution, mais jusqu'à présent nous n'avons pas pu surmonté cette difficulté. Les gens préfèrent aller dans les shopping center voir Rambo plutôt que de fréquenter ces salles moins accueillantes.

Croyez-vous que des zones géographiques comme celles africaine et sud-américaine doivent procéder à des échanges d'étudiants ou de techniques d'enseignements dans le cadre de la formation ?

Oui ! Ca, je pense que c'est la meilleure des choses. Moi, j'ai fait une co-production avec la Tunisie, une autre avec l'Inde, une autre avec le Mali et cette année, c'est avec le Bénin. J'ai fait les grandes écoles pour pouvoir comprendre les cultures et les peuples. Mais, il n'y a pas beaucoup de gens derrière moi. J'aimerais bien qu'il y ait cet échange culturel et aussi d'apprentissage. Notre université est ouverte aux jeunes. Il faut juste essayer de comprendre l'espagnol.

Il vous arrive Pablo Cesar de participer à de grandes rencontres cinématographiques comme le Fespaco ou d'être membre de jurys internationaux dans des festivals où le cinéma africain est présent. Pensez-vous que ce cinéma que je viens de citer a un avenir vu ses tendances contemporaines ?

Je crois que la plupart des cinéastes africains sont en train de chercher leur langage ; un langage propre parce que l'Afrique, c'est le continent de la musique et de la danse. C'est la connaissance des symboles, de l'univers, de la cosmogonie, de la danse absolument philosophique. La danse est mystique et c'est la musique qui fait bouger les gens. Mais le cinéma en Afrique est très nouveau comparé aux autres continents. Je vois un très grand cinéaste comme Djibril Diop Mambéty - malheureusement disparu - qui cherchait sa propre manière de raconter une histoire pour ne pas entrer dans les canaux européens ou hollywoodiens comme on en voit dans de nombreux films d'Afrique. Mambéty cherchait son propre chemin au niveau du langage.
Pour ce qui est du Fespaco, j'ai remarqué qu'il y a beaucoup de styles propres. On peut remarquer qu'il y a eu beaucoup de recherches dans certains films. Je pense qu'avec le temps, ça va s'améliorer.



Avez-vous vu des films sub-sahariens que vous avez aimés ?

Oui ! Mais ils ne sont pas si nouveaux. "En attendant le bonheur" d'Abderrahmane Sissako m'a beaucoup marqué. Il y a aussi ce film de Souleymane Cissé, "Baara". En plus d'un autre fait par un Algérien sur les gitans en France ["Exils" de Tony Gatlif, ndlr]. Je dois aussi dire que les films de Jean Rouch qui sont des documents anthropologiques - en particulier ceux faits sur le festival du désert à Tombouctou et sur les Dogons - m'ont franchement séduit.

Propos recueillis à Kélibia par
Bassirou NIANG

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