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Sabiha, de Hajji Samed, Tunisie
La force de l'art
critique
rédigé par Noura Borsali
publié le 31/10/2010

"Sabiha" est un documentaire dans lequel le jeune réalisateur Samed Hajji brosse le portrait d'une femme potière de Sejnane, un village des montagnes de Koumirie, au nord est de la Tunisie. Cette potière de quarante ans a appris cet art grâce à sa mère et a réussi à s'imposer sur la place et ailleurs.
"Je suis artiste", dit-elle dans le film. C'est en effet le pari du jeune réalisateur Samed Hajji : celui de montrer dans quelle mesure l'art est une issue pour donner un sens à une vie, perpétuer une tradition millénaire et sortir de la misère qui affecte cette région.

C'est ainsi que par le truchement de la caméra, Sabiha nous apparaît toujours à l'œuvre, les mains dans le tin. Le film retrace en effet toutes les étapes de la création dans une nature splendide en dépit de son hostilité : la recherche de l'argile, sa préparation, son modelage sans recours à un quelconque outil. Seules les mains et les doigts donnent au tin des formes diverses et variées grâce à l'imagination et au savoir-faire de la potière. Nous la voyons tantôt marchant dans la forêt, tantôt accroupie ou assise à même le sol donnant vie à l'objet.

Le tournage du film n'a duré qu'une journée. Sabiha s'est prêtée au jeu du réalisateur et de sa jeune équipe. Ce sont en effet des pans de sa vie qui sont racontés par le personnage qui se livre à des confidences avec toute la spontanéité qui lui est propre. Samed Hajji a réussi à capter ces instants, ces moments d'une vie mais aussi d'une création car l'identification entre les deux est si forte que Sabiha, dans son drame de solitude tel qu'elle le raconte, assimile ses créations aux enfants qu'elle n'a pas eus et qu'elle aurait aimé avoir.
La caméra s'attarde alors sur chacun des objets qui peuplent son atelier et qui forment son monde : ses jattes et ses braseri, ses cruches et ses bols, ses maâjnas et ses bormas, ses coquetières et ses keskes, ses vases et ses tajins, ses tebsis et ses methreds, etc… faits tous de tin, d'argile, seule richesse d'une terre peu docile…mais aussi sur ses mains abîmées par le travail et sur son visage qui porte à la fois sa souffrance et son bonheur de créer. Car dit-elle, " arrêter de créer équivaut pour moi à ma mort ".

Le film qui ne dure que 24 minutes narre, par le moyen du rythme des images, de la musique, des bruits sonores, des cris des bêtes…, le destin d'une femme artiste. Et avec quel naturel ! et quelle spontanéité ! Tout doit être dit sans artifice. Comme tout n'est pas seulement parole. Le cinéma offre une variété de techniques et d'outils que le réalisateur doit savoir utiliser.
Dans ce film qui est une petite création, il existe des séquences esthétiquement belles tels le mouvement des champs qui caresse le visage de Sabiha en train de chanter, ou celui de sa bouche d'où aucune parole n'est entendue pour signifier que la réalité n'est pas seulement dans les mots et que les signes sont autres.

Le film, quand bien même il serait un documentaire où demeure privilégié le réel, refuse de reproduire la réalité telle qu'elle se présente. Il l'a recréée selon le regard du jeune cinéaste qui, dit-il (voir Portrait de Samed Hajji [ici]), cherche à réinventer le réel. Car il ne s'agit pas dans ce film de dire la misère de Sabiha quoique cela apparaisse dans le décor mais de montrer la force qu'ont les humains de recréer leur réel et ce grâce à l'art qui permet surtout la survivance d'une tradition séculaire et la sauvegarde d'un patrimoine millénaire.

Noura BORSALI

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