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HARKA. Dépit et colère en Tunisie
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 31/10/2022
Michel Amarger, Rédacteur à Africiné Magazine
Michel Amarger, Rédacteur à Africiné Magazine
Lotfy Nathan, réalisateur et scénariste égyptien américain
Lotfy Nathan, réalisateur et scénariste égyptien américain
Scène du film
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Cannes 2022
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LM Fiction de Lotfy Nathan, France / Luxembourg / Tunisie / Belgique, 2022
Sortie France : 2 novembre 2022

On sait ce que doit le mouvement de révolte qui a conduit à la révolution tunisienne de 2011, au geste désespéré et protestataire de Mohamed Bouazizi qui s'est immolé le 17 décembre 2020, à Sidi Bouzid. Cet acte radical qui depuis, a fait école, a profondément marqué Lotfy Nathan au point qu'il s'en est inspiré pour son premier long-métrage de fiction, Harka, en sélection au Festival de Cannes 2022 dans la section Un certain regard.
Le réalisateur, né en Angleterre d'une famille égyptienne et copte, a grandi aux Etats-Unis où il a étudié les Beaux-Arts et où il réside. Il s'est fait remarquer avec son documentaire 12 O'Clock Boys, en 2013. "Je me suis toujours senti en dehors à la fois de la culture arabe et occidentale", confie l'auteur de Harka. "En réalisant ce film, j'ai tenté d'identifier des points communs, et de m'appuyer sur la connaissance de la région qui est propre à mon histoire familiale."



Planté à Sidi Bouzid, le jeune Ali est un solitaire qui aspire à une vie meilleure sans pouvoir y accéder. Il tire ses revenus de la contrebande d'essence qu'il récupère au marché noir. Lorsque le père meurt, la famille doit être expulsée de la maison. Ali se retrouve chargé de ses deux sœurs, plus jeunes que lui, et doit trouver les moyens de s'occuper d'elles. Les injustices qui entravent le quotidien de Ali, et ses nouvelles responsabilités lui pèsent. Sa colère monte et sa révolte sourde s'affirme.
"Le jeune héros de Harka est l'enfant d'une révolution porteuse de promesses qui lui sont hors d'atteinte", expose le réalisateur. "Mais au-delà du contexte politique, Harka est l'histoire d'une famille, inspirée de ma propre éducation. Subvenir aux besoins de sa famille, c'est une fierté universelle, et a contrario une honte, une impuissance, un sentiment de vide quand on y échoue. Tels sont les enjeux de Ali." En mixant ces considérations personnelles, à la mort emblématique de Mohamed Bouazizi qui a agi comme un catalyseur en Tunisie, Lotfy Nathan investit la région de Sidi Bouzid pour mettre en scène un héros ordinaire qui cultive à la fois l'empathie et la rage.

Harka se concentre sur Ali en laissant hors-champ les forces adverses, les affaires de corruption et les injustices qui gangrènent le fond de la société tunisienne. Le cinéaste pointe pourtant la contrebande, la vente frauduleuse de l'essence, en vigueur autour de Sidi Bouzid où il a voulu installer sa fiction. Une première au cinéma pour cette ville tunisienne. "Nous avons collaboré avec des personnes de la région, et une formidable équipe de techniciens et d'artistes, qui nous ont permis de faire un tournage intimiste à Sidi Bouzid", explique Lotfy Nathan qui a employé le 35mm pour filmer avec son chef opérateur, Maximilien Pittner, et amplifier son sens du cinéma.
Il dirige pour la première fois des comédiens en employant des gens pris sur place, non professionnels. Mais le pivot du film est Adam Bessa qui incarne Ali avec retenue. L'acteur, révélé par Les Bienheureux de Sofia Djama, 2017, a élargi sa palette pour Tyler Rake de Sam Hargrave, Mosul de Matthew Michael Carnahan, 2020, ou Azuro de Mathieu Rozé, 2021.
Harka mêle ainsi des énergies diverses pour s'écouler avec une narration simple et classique. "Le film adopte un point de vue occidental, mais il est lié intimement au paysage tunisien", estime Lotfy Nathan. "Je tenais à ce que Harka résonne à travers toutes les cultures, tout en étant empreint de l'esprit unique de la Tunisie."

Le réalisateur s'appuie sur une coproduction qui réunit la France, le Luxembourg, la Tunisie, la Belgique, pour construire une histoire dépouillée, teintée d'un souci de stylisation manifestée par la voix-off qui scande le film. Son titre signifie en tunisien, "brûler", et en argot, désigne un migrant qui tente la traversée de la Méditerranée en clandestin. Pourtant "ce film se focalise sur ceux qui sont restés", souligne Lotfy Nathan. "Mon but, en réalisant Harka, est d'aller au-delà d'une histoire de pauvreté et de corruption, et de comprendre ce qui arrive à celui qui est enfermé dans un tel environnement." En cadrant avec attention, un homme accablé, Lotfy Nathan fait éclater l'action comme une délivrance, le sacrifice comme une ultime protestation pour être enfin regardé.

Vu par Michel AMARGER (Afrimages / Médias France), pour Africiné Magazine

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