LM Fiction de Khadar Ayderus AHMED, Finlande / Allemagne / France / Somalie, 2021
Sortie France : 27 avril 2022
Il est rare que la Somalie apparaisse dans la galaxie du cinéma. Alors il faut apprécier le travail de Khadar Ayderus Ahmed avec son premier long-métrage, La femme du fossoyeur (The Gravedigger's Wife), dévoilé à la 60ème Semaine de la Critique à Cannes, titulaire de l'Etalon d'or du FESPACO 2021. Cette récompense entérine l'action du réalisateur, né à Mogadiscio en 1981, installé en Finlande dont il a obtenu la nationalité.
Après plusieurs courts-métrages remarqués dont The Night Thief, 2017, il a développé La femme du fossoyeur lors d'une Résidence de la Cinéfondation en 2015, pour le tourner à Djibouti. La production entre la Finlande, l'Allemagne et la France permet à la Somalie de concourir aux Oscars pour la première fois en 2022.
L'histoire se déroule à Djibouti. Guled est fossoyeur dans la banlieue. Il attend les morts pour les enterrer devant l'hôpital avec ses collègues. Il vit dans un bidonville où il retrouve sa femme, Nasra, après son travail ingrat et rare. Leur intérieur est comme un refuge pour le couple amoureux. Leur quiétude est troublée par leur fils, Mahad, qui sèche volontiers l'école. Mais c'est surtout la maladie de rein dont souffre Nasra qui mine leur quotidien.
Comme les médicaments ne suffisent plus à calmer ses douleurs, il faut envisager une opération coûteuse, de 5000 dollars, qui pourrait se faire à l'hôpital. Malgré ses démarches après des amis, la solidarité de ses collègues, Guled ne peut faire face. Il décide alors de revenir au village natal d'où on l'a banni, pour récupérer le troupeau de chèvres qu'il a laissé, afin de payer l'opération. Mais Guled n'est pas le bienvenu et c'est Mahad qui doit veiller sur sa mère qui ne peut plus éviter l‘opération.
La femme du fossoyeur valorise la passion d'un couple confronté à l'adversité. Ils luttent contre les traditions de leurs familles qui ne désiraient pas leur union, contre la pauvreté et la maladie qui menace. Leur fils, un peu indiscipliné, se révèle déterminé à les seconder avec des petits boulots pour trouver de l'argent pour la mère. Le film s'attache d'abord au quotidien des pauvres gens de Djibouti sans occulter la classe aisée qui rechigne à payer lorsque Guled porte les achats d'une bourgeoise. Le marché est animé, le bar où le fossoyeur retrouve ses collègues résonne de leurs échanges, les wagons du chemin de fer délabré où jouent les enfants sont un refuge bruyant. Autour, il y a le bidonville pauvre qui ressemble à un chantier inachevé.
Khadar Ahmed oppose ces espaces, filmés en plans larges, avec l'intérieur du couple, chaleureux comme un cocon dans lequel ils échangent leurs rêves. En utilisant des plans rapprochés, des lumières chaudes, le cinéaste pénètre avec délicatesse l'intimité de ses personnages pour en souligner la tendresse, la sensualité et la force du lien qui les unit. Le film se pare alors des atours du mélodrame avant que le père s'engage dans l'épreuve du retour au village, lointain et isolé, où demeurent les siens.
La traversée du désert prend des allures de quête épique et épuisante. Dans cet espace immense et aride, filmé en contre-jour ou en plein soleil, le parcours sacrificiel de Guled semble l'élever au rang de mythe. La confrontation avec sa mère et les anciens qui l'ont répudié après son mariage transgressif, est une nouvelle étape. Pendant qu'il s'épuise pour atteindre son but, le montage parallèle, transcende une sorte de retour à la vie de sa bien aimée. Ainsi le réalisateur tisse des fils entre la mort, présente dès le début par le métier du Guled, les vautours qui rôdent dans le désert, et la vie qui persiste malgré les coups du sort.
Khadar Ahmed abolit les distances dans une belle séquence où les amoureux séparés racontent leur première rencontre, Guled à des nomade du désert, et Nasra à leur fils. Car au-delà du drame, le cinéaste insuffle de la poésie à son récit, et même un pointe d'humour lorsque Guled emprunte une chaussure de femme pour affronter le désert, ou lorsqu'il pousse son collègue à déclarer sa flamme à une serveuse. Le soin porté aux images, dues au chef opérateur finlandais, Arttu Peltomaa, offre une vision lumineuse de Djibouti. La musique de Andre Matthias renforce la portée universelle du récit, en amplifiant le drame.
Les acteurs émeuvent. Omar Abdi est Guled, Yasmin Warsame joue Nasra, et Kadar Abdoul-Aziz Ibrahim le jeune Mahdar. Ils contribuent à la véracité de La femme du fossoyeur. "Mon intention était de raconter une histoire d'amour simple mais réaliste, avec le mordant du conte de fées", révèle Khadar Ahmed. Il célèbre la vie dans un récit suspendu au devenir de ses personnages. Un avenir qui repose sur leur sens des responsabilités, leur engagement respectif, et le désir de préserver des raisons de croire à l'amour en terre africaine.
Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)
pour Africiné Magazine