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Oui.Non, de Mahmoud Jemni
La couleur de la peau n'est pas un crime
critique
rédigé par Baba Diop
publié le 23/06/2020
Baba Diop est rédacteur à Africiné Magazine
Baba Diop est rédacteur à Africiné Magazine
Mahmoud Jemni, réalisateur tunisien
Mahmoud Jemni, réalisateur tunisien
Scène du film
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Deux jeunes avec leur pancarte "Je ne suis pas une esclave, je suis une Tunisienne libre", en arabe (Scène du film)
Deux jeunes avec leur pancarte "Je ne suis pas une esclave, je suis une Tunisienne libre", en arabe (Scène du film)
Scène du film
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Le réalisateur Mahmoud Jemni
Le réalisateur Mahmoud Jemni

Sous la nuit étoilée. À la lueur d'un feu de Bengale se détachent les oriflammes et la tunique blanche des initiés du Stambali, rituel religieux, préambule du film Non. Oui du Tunisien Mahmoud Jemni. C'est un documentaire qui, d'entrée de jeu, plonge le spectateur dans le sacré. Un sacré festif avec l'ingénieuse main des femmes pétrissant le couscous, la dégustation du Bsissa, les enfants qui tournent autour, l'attente des hommes, les tambours, les prières chantées et les visages qui se métamorphosent. Dans les images, il y a une invention poétique du stambali, faite de mots et de chants. Une véritable force de libération des énergies dont témoigne la transe. S'agit-il là de l'ouverture d'un film ethnographique ? Que Nenni ! Dans son intitulé, Non. Oui parle par paraboles, une manière détournée d'aborder la marginalisation sociale réelle ou ressentie des tunisiens noirs.



Le film aurait pu porter le titre " Ce que le Noir apporte" s'appropriant ainsi le titre de l'article de Léopold Sédar Senghor, rédigé en 1939 ou encore " Nègre je suis, Nègre je resterai" du livre entretien de Françoise Vergès avec Aimé Césaire, d'autant que le documentaire s'ouvre sur une discussion dans laquelle Senghor et Césaire sont conviés dans le bus qui file vers le Sud, laissant derrière lui le paysage boisé de la route des montagnes, avant de stopper net sur celui caillouteux d'un morceau de désert. A bord, un instrumentaliste septuagénaire apporte une note de gaité. Voyage initiatique de Wagha, de Abdelssalam, Abdessatar et les autres occupants du bus ? Là aussi que nenni! Plutôt, une remontée à la source, qui dit qu'à l'origine du peuplement noir en Tunisie, il y eut Oumi Marzouga, femme venue du Soudan qui s'est mariée sur cette terre et dont le sanctuaire blanchi à la chaux est objet de "ziarra" (terme désignant un pèlerinage annuel, en arabe). L'un des natifs du coin déroule devant les visiteurs le mythe fondateur de la communauté noire de Tunisie. Ce bout de terre à la porte du désert est terre de métissage, de cohabitation que soude le stambali. Un autre habitant de la localité dit : "Nous considérons les Noirs comme nos oncles".

La remontée à la réalité, surtout urbaine, présente un visage moins reluisant. Les personnages de la communauté noire qui prennent la parole mettent à jour leur blessure, leur humiliation, revisitent leur enfance. Il existe des mots plus tranchants que la lame de rasoir. "Abid" ("esclave", en arabe) en est un. "Oussif" aussi. L'humiliation est dans ce taximan qui ne s'arrête pas. Elle est dans ce troisième taximan qui s'étonne de constater que la négresse qui a l'accent du sud est bel est bien une tunisienne de Gabés et non une "Africaine". Quoi dire du poème blessant et raciste d'El Moutanabi qui dans un de ses vers dit : "N'achète jamais d'esclaves sans te munir d'un bâton, car ils sont ignobles et vils" ? Vers qui servit de martinet pour saper le moral à un brillant jeune garçon dont le seul tort était qu'il fut noir au milieu de teints clairs. Ce qui faillit mener le garçonnet au suicide. Fort heureusement une conscience charitable l'a retenu. La rage de réussir, envers et contre tout, fait qu'aujourd'hui, l'enfant est devenu professeur d'université.
Alors, on se dit que la question du racisme, de l'exclusion, du mépris de l'autre est à prendre à bras le corps. Qu'il urge de porter jusqu'au plus haut niveau le plaidoyer contre la bêtise humaine d'autant que le décret du 23 janvier 1846 interdisait l'esclavage en Tunisie. La montée des marches de l'Assemblée Nationale sur tapis rouge de Mme Jamila Debbech Ksiksi, qui s'est drapée de dignité dans son élégance de femme, illustre bien sa détermination à voir une Tunisie multicolore telle que chantée par de jeunes rappeurs dans le film. La boucle est presque bouclée puisqu'au départ du film, il était question de femme matrice de la communauté noire et voici qu'une autre femme porte le combat chez les élus du peuple.

Non. Oui est un film qui interpelle, un film qui secoue les énergies molles, les consciences aseptisées et dont l'esthétique, moirée de la musique de Rabii Zammouri est à saluer ainsi que le travail opéré par la monteuse en chef Kahéna Attia qui donne vitalité au film.
Mahmoud Jemni creuse son sillon dans le cinéma tunisien. Sans tambour, ni trompette, il signe sa filiation à René Vautier (Afrique 50, Avoir 20 ans dans les Aurès, …) dont il fut l'assistant. Il s'attaque à des sujets face auxquels on a souvent tendance à chausser des lunettes noires pour ne rien voir. Il avait déjà réalisé en 2012 Coloquinte, un documentaire sur la torture.

Baba Diop

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