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SOUS LES FIGUES
Des figuiers et des élans de jeunesse en Tunisie
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 05/12/2022
Michel Amarger, Rédacteur à Africiné Magazine
Michel Amarger, Rédacteur à Africiné Magazine
Erige Sehiri, réalisatrice franco-tunisienne
Erige Sehiri, réalisatrice franco-tunisienne
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Affiche en anglais
Affiche en anglais

LM Fiction de Erige Sehiri, Tunisie / France / Suisse / Allemagne / Qatar, 2022
Sortie France : 7 décembre 2022 (Distribution : Jour2Fête)

Quand les fictions tunisiennes se mettent au vert, les couleurs, les acteurs et les vergers respirent. Entre soleil et ombre, rires et larmes. C'est ce que propose Erige Sehiri avec Sous les figues, son premier long-métrage de fiction, retenu à la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes 2022. Connue pour son documentaire, La voie royale, 2018, qui abordait la Tunisie en suivant une ligne de chemin de fer ancienne, Erige Sehiri pénètre dans le nord-ouest du pays pour un casting et découvre des ouvrières qui récoltent les fruits.

"J'ai discuté avec elles de ce qu'elles vivent au quotidien, de leur manière de travailler, de leurs relations avec les hommes, du patriarcat", se rappelle la cinéaste qui décide de leur consacrer une fiction. Ainsi la cinéaste franco-tunisienne, renoue avec la terre de sa famille. "Mon père vient d'un village de cette région où la culture des figues occupe une place importante", confie Erige Sehiri en contant ce qui se passe Sous les figues pour une dizaine de protagonistes.



"J'aime les films choraux, il me semble qu'ils reproduisent la vie", lance la réalisatrice en valorisant des figures féminines. Elle s'attache à Fidé au franc-parler, qui perd son voile quand elle s'enflamme, à Sana qui le porte bien serré en espérant que Firas, son soupirant, lui offre la stabilité dans un couple traditionnel. Pourtant celui-ci n'est pas le plus intègre des cueilleurs. Et il y a Malek qui attire le désir du patron, le jeune Abdou, 17 ans, qui vient de Monastir et affronte son oncle qui s'est approprié des terres familiales.
Tous s'activent en multipliant les bavardages, les pauses, les échanges furtifs tandis que les femmes plus âgées les observent, comme Leila qui rend des comptes au patron. Le film démarre avec la cueillette des employés qui se retrouvent dans sa camionnette pour gagner le verger en chantant, s'accomplit dans la journée où la récolte des figues va bon train, jusqu'au soir où chacun reprend sa tenue civile, en lâchant parfois le foulard, pour laisser filer des chansons libérées et osées.

Erige Sehiri utilise le champ de figues comme un huis clos à ciel ouvert, en s'appuyant sur un dispositif simple : une seule caméra mobile et la lumière extérieure. "J'allais cueillir des moments d'émotion par petites touches", raconte-t-elle en profitant du savoir-faire des actrices, venues de la terre : "Ces filles travaillent réellement dans les champs, leurs gestes étaient naturels". Elle s'en inspire et dirige ces femmes "qui savent instinctivement comment placer leurs corps, comment s'asseoir".
La vivacité du film repose sur les conditions réelles du travail. Erige Sehiri privilégie les cadres serrés sur ses personnages qui semblent glisser sous les arbres, pour se jauger, se toucher, s'esquiver. "Je voulais ainsi restituer une sensualité à travers des actions minimalistes et au moyen de dialogues très réalistes", commente la cinéaste qui fait entendre le dialecte d'un village d'origine berbère, ce qui est rarement le cas dans une fiction de Tunisie, pimenté de quelques chants.

Sous les figues joue avec l'environnement des arbres qui protègent du soleil, des regards, mais peuvent aussi peser. "Je souhaitais construire visuellement l'idée que ces filles sont également étouffées dans leurs vies forcément étriquées par manque d'opportunités et dans un environnement familial conservateur", confirme la cinéaste. "Les femmes plus âgées sont des miroirs pour ces jeunes filles qui entrevoient ce qu'elles pourraient devenir si elles continuent à manquer de perspectives." Mais en favorisant les rencontres, les échanges entre garçons et filles, le verger qui enferme, semble l'unique espace de liberté.
Erige Sehiri évoque la manière dont le patron tente de cueillir les filles pour son plaisir, dénonçant le patriarcat comme les compromis de Leila qui le renseigne en se faisant payer. "Tous nos mécanismes sont liés à la dictature. La délation est ancrée dans la société tunisienne, bien que mon film se situe après la Révolution, à l'heure des réseaux sociaux", commente Erige Sehiri tout en relevant la force de la solidarité des travailleuses : "Le plus important est cet amour qui les unit. Elles survivent parce qu'elles sont ensemble".

Le ton du film vibre de l'esprit des pièces de Marivaux autant que celui de L'Esquive de Abdellatif Kechiche, 2003, situé dans la banlieue où a grandi Erige Sehiri. Une influence manifestée aussi par l'apport de Ghalia Lacroix, compagne du cinéaste, impliquée dans le scénario et le montage de Sous les figues. Avec Frida Marzouk au cadre, la fiction est pilotée par une équipe très féminine. Sans dévaloriser les garçons qui déplorent le manque de contacts physiques, d'amour, Erige Sehiri avance des héroïnes dignes et désirables. "Elles sont à la croisée de plusieurs cultures, en phase avec leur époque", assure-t-elle. " Et ça, ce n'est pas de la fiction."

Vu par Michel AMARGER (Afrimages / Médias France), pour Africiné Magazine

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