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Vortex
Virus de violence au Liban
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 26/10/2020
Michel Amarger est rédacteur à Africiné Magazine
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Christophe Karabache, réalisateur
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Scène du film
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LM Fiction de Christophe Karabache, France / Liban, 2019
Sortie France : 28 octobre 2020

Le fracas et les ravages de la guerre du Liban marquent durablement une génération de cinéastes. Christophe Karabache est de ceux-là. On le mesure dans ses longs-métrages récents, Sadoum, Lamia, 2015, même Zeitgeist Protest, 2016, situé à Paris, ou Venus Obscura, 2017, qui cerne des personnages blessés et menaçants dans la campagne. Et aussi ultravoKal, 2018, qui déplace les heurts vers la Belgique.
Le sexe cru, les meurtres brutaux, les armes, les copulations animales incubent dans les fictions du cinéaste libanais. Et même s'il est installé à Paris, Christophe Karabache transpose dans ses histoires, les souvenirs de son enfance pulvérisée à Beyrouth. Aujourd'hui, il inocule le virus de la destruction, sauvage, pulsionnelle, dans Vortex, 2019.



Le récit est construit en trois volets. Dans "L'Homme", Joe, le narrateur, évoque le point de départ des visions qui le hantent. Abandonné par ses parents libanais, Nabil et Asma, recueilli par une Française qui l'emporte et l'éduque, ses manques affectifs le débordent. Quand ses parents prétendent le rencontrer, il se voit coucher avec son père, faire de sa mère, son amante, avant de décider de les supprimer. Ces transgressions exacerbent son ressentiment envers le monde. "Tuer est la seule solution qu'il me reste, un devoir à accomplir", affirme Joe, partant supprimer des passants comme on part en mission.
Dans "La Femme", on rencontre une blonde intrigante. Elle cultive des plantes, fortifiées par le sang de ses règles qu'elle recueille et distille comme un liquide sacré. Sa vie solitaire, ses promenades dans la nature, sont contaminées par des menaces qui zèbrent les images. Un groupe d'hommes patibulaires croisent et violentent deux femmes échappées en forêt. Puis vient la troisième partie, "La Rencontre". Joe tente le suicide mais la blonde lui insuffle une nouvelle vie avec son sang menstruel. Grâce à cet élixir, Joe, hébété, se remet, se soumet, puis veut s'émanciper et partir. Mais la belle peaufine ses recettes, son élixir jusqu'au partage final. Anéantissant. Apaisant peut-être.

L'histoire n'est qu'un fil conducteur où s'amplifient les traumatismes du réalisateur. Le scénario, écrit avec May Kassem, s'appuie sur le choc des scènes libanaises, affichées en photos dans le prologue. La violence civile, politique, de la guerre est le ressort de la tension. La violence intérieure se répand dans les rapports intimes où le sexe est vecteur de fantasmes et de transgressions. Le héros peut coucher avec son père, sa mère, posséder la femme qui lui donne son sang, se faire posséder par ses pulsions.
Chez Christophe Karabache, la femme est une prédatrice, sang versé ou bu, offert ou déversé. Des visions qui paraissent comme des provocations au moment des protestations féministes issues de #MeToo. Défi aux convenances, au bon goût, à la répulsion, à la raison… Tout ici est affaire de pulsions, animales, viscérales. Christophe Karabache expurge son passé d'enfant devenu orphelin, de garçon materné par des femmes plus vieilles, impressionné, impressionnant.

Le cinéaste avance un rythme heurté, ménageant des temps de pause, contemplatifs. Faux répits dont la menace éclate en crépitant. Scènes de violence, de corps à corps rugueux, de meurtres soudains, de coups de hache, de marteaux, d'armes lourdes. "Nous vivons tous entre violents qui s'ignorent", assure Joe comme un emblème. Et les scènes de nature, filmées comme des présences panthéistes, regorgent de roches saillant comme des sexes masculins, de cavités humides, de fougères chatoyantes où les corps se fondent tandis que l'eau bleue et profonde, frémit comme un sexe féminin.
Contrastes et balancements, répétitions et déferlements, contemplations et précipitations, Vortex défie la patience, la constance, la tolérance des spectateurs. Rouge de colère comme un tampon périodique exhibé, le film semble attiser les braises pour incendier les écrans. Tourné avec une production indépendante, pilotée par Cécilia Werkmaïster et Elias Sfeir, complice familier du cinéaste, Vortex tire parti des reliefs phalliques et cavernes des côtes bretonnes sauvages, vers Plougasnou, Trégastel et Saint-Brieuc, où il est filmé.

Christophe Karabache entraîne dans ses délires existentiels un duo d'acteurs épidermiques, Julien Romano et Claudia Fortunato. Son chef opérateur favori, Aurélian Pechméja, magnifie les plans saignants, soigneusement montés par le cinéaste lui-même. Ainsi Vortex, baigné par la musique vénéneuse de Michel Duprez, se livre comme une réflexion absurde sur l'absurdité du monde.
Au bord du gouffre qui pourrait légitimer la violence, Christophe Karabache laisse ses héros crier, tel Joe éructant : "J'ai appris au moins cette devise : chacun doit faire justice seul". Et la caméra se vrille aux corps meurtris, saillants, incandescents, défis aux forces exsangues et aux inhibitions forcenées qui contaminent Vortex.

Vu par Michel AMARGER (Afrimages / Médias France)

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