L'histoire du cinéma africain est d'abord et surtout celle d'un engagement. Celui, d'abord individuel de passionnés de cinéma, comme Paulin Soumanou Vieyra, Robert Caristan, Mamadou Sarr, Jacques Mélo Kane ; collectif, par la suite, à partir du moment où Vieyra et ses amis constituent le Groupe Africain de Cinéma (le groupe qui n'avait aucun caractère juridique a été créé en 1952 et a cessé d'exister après 1966). À la naissance du cinéma d'Afrique noire il était une évidence que l'engagement des cinéastes ne pouvait qu'être à la fois idéologique, économique et culturel.
Aux cotés des autres intellectuels africains qui se sont organisés en syndicats, partis politiques, associations d'écrivains dans le mouvement de revendications pour l'émancipation le Groupe Africain de Cinéma a joué un important rôle pour imposer le cinéma en tant que moyen d'expression et de liberté en Afrique.
Paulin Soumanou Vieyra dans son ouvrage Le cinéma et l'Afrique rappelle : "en 1955, lorsqu'un petit noyau d'Africains et d'Européens discutait de cinéma dans les salles enfumées des salles d'Europe, on ne leur prêtait guère attention. En voulant d'un cinéma africain, et travaillant à son avènement, à l'époque, ils combattaient pour l'indépendance à leur manière ; car il ne faisait aucun doute que seule la souveraineté nationale des pays africains permettrait l'expression cinématographique de la réalité authentiquement africaine".
Faire le parcours de cinquante ans de cinéma d'Afrique noire, c'est examiner le parcours d'un combat, d'un engagement collectif et ses effets sur l'évolution des cinémas d'Afrique noire, tant sur le plan des choix thématiques et esthétiques des cinéastes qu'au plan des politiques cinématographiques envisagés au cours de cette période.
En 1955, l'Afrique noire était encore en grande partie sous domination coloniale européenne. Les revendications pour l'indépendance des peuples colonisés prennent un nouveau ton avec le discours pamphlet contre le colonialisme, prononcé en 1950 par Aimé Césaire : "Le discours sur le colonialisme" (publié plus tard en 1956 par Présence africaine) Celui-ci reprend, en les radicalisant, les idées exprimées dès les années 30 par les intellectuels africains et antillais au sujet du rôle de l'entreprise coloniale dans la désorganisation des sociétés et la négation des cultures des peuples colonisés…
La conférence de Bandoeng qui se tient en Indonésie en 1955 permet, pour la première fois aux peuples d'Afrique et d'Asie, de faire entendre leur voix pour réclamer le droit à l'émancipation des peuples, à la revalorisation de leur image. La réalisation d'Afrique sur seine constitue le symbole d'une telle revendication. L'organisation, en septembre 1956 à Paris, du premier congrès des écrivains et des artistes noirs "qualifié de Bandoeng culturel" consacre l'importance de la culture dans le combat pour l'indépendance. Le groupe africain de cinéma y prend part pour affirmer avec ses homologues écrivains, poètes, "qu'il n'y a pas de peuple sans culture, pas de culture sans ancêtres, pas de libération culturelle authentique sans libération politique préalable".
Mais c'est surtout à l'occasion du deuxième congrès des écrivains et artistes noirs tenu à Rome, en 1959, que le groupe africain de cinéma, sous la houlette de Paulin Vieyra va jouer un rôle dans la rédaction des textes pour le développement de l'art en Afrique. Pour ce qui est du cinéma, la résolution indique que le cinéma avait servi jusqu'alors les objectifs du colonialisme et souligne la nécessité pour les africains de s'approprier ce moyen d'expression pour l'éveil des consciences. La résolution stipule en outre que les prochains congrès doivent être accompagnés d'un festival sur l'Art africain.
Cette résolution est concrétisée en Avril 1966 par l'organisation du premier festival des arts nègres de Dakar où les films du continent sont projetés (en tout 26 films représentant 16 pays africains). À l'issue du colloque sur l'art nègre et sous l'instigation du groupe africain de cinéma, il est préconisé la création d'un organisme inter-africain de la cinématographie qui aurait notamment son siège à Dakar, l'organisation régulière de rencontres des professionnels africains du cinéma, la formation des cinéastes, techniciens, comédiens africains ; l'adoption de mesures en faveur du développement de tous les secteurs de l'industrie cinématographique.
Le groupe africain de cinéma affiche sa détermination pour le contrôle du secteur de la distribution de films en Afrique, alors sous tutelle des sociétés COMACICO et SECMA. Un long combat venait d'être lancé.
Certaines de ces résolutions ne tarderont pas à être mises en pratique.
Au nord, la Tunisie crée en 1966 les Journées Cinématographiques de Carthage (JCC).
Trois années plus tard, en 1969, s'organise au Burkina la première Semaine du cinéma africain qui deviendra en 1972 le festival panafricain de cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO). Auparavant, dans le secteur de la distribution et de l'exploitation, le Burkina nationalise, en 1970, son marché cinématographique et s'approprie les salles de cinéma avant de créer une société nationale de distribution et d'exploitation. L'acte est salué par l'ensemble des cinéastes qui s'offrent cette année-là une organisation continentale : la fédération panafricaine des cinéastes (FEPACI).
Création de la FEPACI
Il est incontestable que la création de la FEPACI a été un pas décisif dans l'engagement collectif des cinéastes. On le doit au Groupe africain de cinéma et en particulier à Paulin Vieyra, qui ont contribué à en jeter les bases lors du Festival Culturel Panafricain d'Alger tenue en 1969. Une année plus tard, la FEPACI devient réalité, à Tunis, à l'occasion des troisièmes Journées Cinématographiques de Carthage. Le premier secrétaire général élu est le sénégalais Ababacar Samb Makharam. Les pionniers de cette organisation ont pour nom : les Sénégalais Paulin Vieyra, Sembène Ousmane, Momar Thiam, les Nigériens Oumarou Ganda, Moustapha Alassane, Zalika Souley, les Tunisiens Tahar Cheriaa, Hassan Daldoul et Hatem Benmiled, le Mauritanien Med Hondo, le Malien Souleymane Cissé, le Guinéen Moussa Diakité, l'Ivoirien Timité Bassori, le Sud africain, Lionel N'Gakane.
La FEPACI apparaît alors comme une organisation unique du genre dans la mesure où, jusqu'à ce jour, elle n'a pas son équivalent, ni en Europe, ni en Amérique, ni en Asie. Elle ne se contente pas d'exister. Elle traduit l'engagement des cinéastes d'un continent pour un combat anti-impérialiste à travers la fameuse Charte d'Alger adoptée à l'unanimité le 18 janvier 1975 lors du deuxième congrès de la FEPACI dans la capitale algérienne : "…le cinéma a un rôle primordial à jouer, parce qu'il est un moyen d'éducation, d'information et de prise de conscience et également un stimulant de créativité… La réalisation de tels objectifs suppose une interrogation du cinéaste africain sur l'image qu'il se fait de lui-même, sur la nature de sa fonction et de son statut social et d'une façon générale sur sa situation au sein de la société."…
Cet engagement des cinéastes couvre approximativement la période 1960 à 1980. Elle peut être qualifiée de période de "militantisme politique". Ce militantisme se manifeste sur le terrain par les réalisations de la FEPACI. À la suite de Tahar Cheriaa, citons pêle-mêle, l'élaboration, l'adoption, en congrès ou en assemblées générales et la divulgation de textes directeurs, idéologiques et stratégiques, notamment la charte d'Alger, les résolutions de Niamey (mars 1982), le soutien à la création du FESPACO et du MOGPAFIS en Somalie en 1981(ce festival a disparu après quelques éditions), la création du CIDC CIPROFILM en 1974, dans la suite logique de la résolution préconisée par le groupe africain de cinéma etc.
La FEPACI est en outre reconnue dès sa création comme membre observateur par l'Organisation de l'Unité Africaine et comme ONG représentative par l'UNESCO et d'autres instances internationales comme l'Agence Intergouvernementale de la Francophonie, la Ligue Arabe, l'Union Européenne, etc.
Militantisme et choix thématiques et esthétiques
Qu'en est-il de l'impact de cet engagement militant sur les choix thématiques et esthétiques des films réalisés durant cette période. ?
À l'image de certains films comme Afrique sur seine, Borom sarret, La Noire de…, les films tournés dans la première décennie des indépendances sont précurseurs par leur thématique mais en conformité avec l'esprit de la Charte d'Alger. Durant cette période de militantisme politique - à l'exception de Sembène Ousmane, qui rappelle avec son film Emitaï (1971) la résistance opposée par des paysans et des paysannes de Casamance à des réquisitions de riz pendant la seconde guerre mondiale - peu de cinéastes d'Afrique noire se sont intéressés à décoloniser l'histoire en réalisant des films sur la résistance au colonialisme - à l'instar des cinéastes maghrébins. La majorité des films tournés en Afrique noire francophone, se caractérise essentiellement par la contestation, qui s'illustre dans la permanence des thèmes que les cinéastes développent et les problèmes qu'ils racontent : difficultés des gens du peuple dans Borom sarret, (1963, de Sembène Ousmane) considéré comme le premier court-métrage authentiquement africain ; dénonciation du néocolonialisme dans La Noire de…, (1966, Sembène Ousmane) ; dénonciation de la nouvelle bourgeoisie africaine dans Xala, (1974, Sembène) ; opposition entre tradition et modernité dans Kodou, (Ababacar Samb Makharam, Sénégal, 1971) ou dans Muna moto (Dikongué Pipa, Cameroun, 1975) ; les séquelles de la décolonisation avec Concerto pour un exil (Désiré Ecaré, Cote d'ivoire, 1968). Pour les cinéastes de cette génération, il s'agit de remettre en question le système qui a succédé à l'ère coloniale, voire d'interpeller la conscience des jeunes africains. Dans ce sens, le film Touki Bouki (1972) de Djibril Diop Mambety, qui marque la rupture avec la forme narrative classique des films de cette période n'en demeure pas moins un film militant.
Clément Tapsoba
Critique de cinéma