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Ndobine, d'Amadou Saalum Seck
L'oiseau noir
critique
rédigé par Baba Diop
publié le 24/10/2011
Ndobine
Ndobine
Baba Diop
Baba Diop
Amadou Saalum Seck
Amadou Saalum Seck
Amadou Saalum Seck, sur le tournage de SAARABA, 1987
Amadou Saalum Seck, sur le tournage de SAARABA, 1987

LE deuxième film d'Amadou Saloum Seck "Ndobine" a ouvert samedi 24 septembre 2011 la saison "Ciné-club" de l'association sénégalaise de la critique cinématographique (ASCC) en partenariat avec le Bada Cinéma de la Médina.
Le second film long métrage d'Amadou Saloum Seck : "Ndobine" dure une heure cinq minutes alors qu'initialement il était prévu pour quarante cinq minutes.

Ndobine, par delà la multiplicité des thèmes qui traversent l'histoire, a pour préoccupation centrale les agissements d'un prédateur pédophile et psychopathe de surcroit. Comme un cercle de feu que trace la caméra, le réalisateur Amadou Saloum Seck cadenasse l'histoire de Ndobine dans l'Ile de Saint Louis. Dans ce choix de décor, se profile une profession de foi qui dit : "Il est du devoir de chaque être de protéger son royaume d'enfance et territoire de ses parents contre les prédateurs de tout acabit." Le fait, que cette ville appartienne à la géographie sentimentale du réalisateur n'est pas l'unique motif du choix d'un tel décor : "Saint Louis, proclame- t-il, est une ville esthétiquement belle. Je voulais aussi, pour les besoins de l'histoire, avoir une ville close à l'ambiance familiale et seule une île pouvait restituer cette atmosphère."

D'entrée de jeu, au fil de l'eau, glissant sous les ponts du petit bras du fleuve, la caméra contourne le quartier Sud de l'ile pour se figer sur le pont Faidherbe qui enjambe le grand bras du fleuve. Pont- territoire d'un fou qui apeure les enfants obligés d'emprunter cette voie. C'est là un premier clin d'œil du réalisateur au spectateur qu'il mènera plusieurs fois sur de fausses pistes. En vérité, cette première scène du pont-territoire repose sur un jeu vérité-mensonge. En même temps que nous prenons connaissance de ce malade mental se glisse presque subrepticement l'image du vrai pédophile qui claudique sur l'une des travées du pont. Dans le regard que s'échangent les deux, se dessinent deux faces cachées du déséquilibré mental. L'une douce, sympathique qui s'amuse à faire fuir les enfants et l'autre, perverse, violente qui les attire pour assouvir ses instincts démoniaques.

Le réalisateur réintroduit comme il l'avait fait dans "Saaraba" son premier long métrage l'image du fou "qui voit ce que les hommes normaux ne perçoivent pas". Mais à partir de là, l'histoire bascule dans l'univers familial d'un jeune écolier avec ce père tyrannique prisonnier de son éducation traditionnelle qui ne tolère aucun contredit. Dans les interstices de ce huis clos qui entremêle faux drame familial et enquête policière, qui se moque des règles les plus élémentaires de procédure, s'infiltre une histoire d'amour.

Ndobine raconte l'histoire de Sakhir, un garçon de 12 ans a disparu apes l'école. Ses parents le recherchent partout. Après deux jours d'angoisse, ils sont informés par la police que le corps calciné d'un jeune garçon a été retrouvé dans un terrain vague. Ils doivent se rendre à la morgue pour l'identification. Ndobine est un film hybride, un composite de genres cinématographique qui cherche à mettre en place une écriture personnelle non exempte d'influence allemande. Il transparait dans les images et la démarche d'Amadou Saloum Seck une référence au Kammerspielfilm, un genre qui apparait en Allemagne dans les années 1920 et qui mettait l'accent sur l'analyse psychologique, intimiste avec un nombre restreint de personnages jouant sur l'unité de lieu et de temps. La maison familiale devient ici lieu d'enfermement et de sécurité ; la rue, lieu social, espace de rencontre et épicentre dramatique. Autre référence au genre évoqué est le recours dans le traitement, de métaphore et de symbolisme (le pêcheur et l'enfant au milieu de l'eau). La recherche d'ambiance et d'atmosphère souligne une filiation dans les intentions. Mais il est à regretter que la greffe des différents genres n'ait pas la fluidité espérée. La cohabitation d'acteurs professionnels et amateurs souligne un grave déséquilibre dans l'interprétation des personnages. Si Magaye Niang et Ndiaye Doss, les deux visages de la folie sont d'un naturel à saluer, il est difficile d'en dire autant pour l'instituteur présumé coupable, ainsi que le père de famille dont le jeu est assimilable à celui du théâtre télévisé. Il aura fallu neuf bonnes années à Amadou Saloum Seck pour apporter la dernière touche à ce film. "C'est un film qui a eu une grossesse difficile, explique-t-il. Tournée en 2001, la grossesse a duré 9 ans puisque le montage a été achevé en 2010. Ndobine reflète la situation du cinéma au Sénégal. Les difficultés à produire des films. Si individuellement nous nous démerdons à faire des films, à monter des projets il n y a pas l'accompagnement nécessaire. Raison pour laquelle des projets s'arrêtent à mis chemin. Ceux qui ont la volonté de poursuivre, terminent leur film plusieurs années après. C'est le cas de Ndobine."

Le cinéaste Amadou Saloum Seck est issu de l'école allemande, ce qui justifie la référence au Kammerspielfilm. Il a fait ses études à la Hochschule Für Fernsehen und Film (HFF) de Munich. Saaraba, son premier long métrage date de 1987. Il est un film de fin d'étude. Il avait réalisé auparavant deux courts métrages en noir et blanc : Angs (Peur) qui traite des démêlés de deux camelots africains avec la police et Lamuxalis (Bracelet d'argent) consacré à la vie de deux africains à Munich. Si comme le confie Amadou Saloum Seck à Françoise Pfaff dans son livre "A l'écoute du cinéma sénégalais" que Saaraba est "un film existentiel et réaliste avec des échappées qui me font pénétrer dans le monde de l'imaginaire" Amadou Saloum Seck a été comédien dans plusieurs téléfilms lorsqu'il vivait en Allemagne.

Ndobine marque une progression dans le travail d'Amadou Saloum Seck aussi bien dans l'exploration de notre psychologie social déjà manifeste dans Saaraba. Il va plus en profondeur dans la folie avec Ndobine. Il franchit aussi un pas dans la mise en scène dans l'acte de faire l'amour. Le suggestif dans Saaraba, s'efface dans Ndobine au profit d'un réalisme plus accentué. Ndobine est un film amoral dans la mesure où les personnages abjectes ne sont pas punis. Seul l'amour se voit récompenser.

Baba DIOP

article paru vendredi 21 octobre 2011 dans l'hebdomadaire LA GAZETTE (Dakar). www.lagazette.sn/spip.php?article3317

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