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VISAGES DE FEMMES - Des Ivoiriennes fières et conquérantes
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 21/02/2022
Michel Amarger, rédacteur à Africiné Magazine
Michel Amarger, rédacteur à Africiné Magazine
Niamkey Désiré ÉCARÉ, réalisateur ivoirien
Niamkey Désiré ÉCARÉ, réalisateur ivoirien
Scène du film
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Scène du film, avec Carmen Levry (Fanta)
Scène du film, avec Carmen Levry (Fanta)
Scène du film
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Scène du film, avec Hanny Tchelley
Scène du film, avec Hanny Tchelley
Scène du film
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Long-métrage Fiction de Désiré Écaré, Côte d'Ivoire, 1985
Sortie France (Version restaurée) : 23 février 2022
Distributeur : La Traverse

La prégnance des femmes africaines s'affirme depuis longtemps sur les écrans. Héroïnes fortes ou symboliques, leur émancipation est poussée d'un cran avec Visages de femmes de Désiré Écaré. Le film, découvert au Festival de Cannes en 1985, lauréat du Prix de la critique, ressort aujourd'hui en salles après une restauration en 4K. Bonne occasion de réévaluer ce brûlot audacieux qui fait scandale en valorisant une scène érotique entre deux amants dans l'eau. La femme prend le dessus, les ébats dénudés aussi mais la censure ivoirienne interdit le film avant de concéder une exploitation au cinéma, limitée au plus de 18 ans. Cette fiction est distribuée en France, en Algérie, au Bénin, en assurant une rentabilité notable à son auteur qui en est aussi le producteur.



Désiré Ecaré, né en 1939 à Treichville, gagne la France en 1961 pour étudier l'art dramatique puis il intègre l'IDHEC en 1965. Il se fait connaître et reconnaître avec des films courts, Concerto pour un exil, 1968, et A nous deux, France, 1970, qui obtiennent des prix critiques. Le cinéaste décide alors de retourner en Côte d'Ivoire pour entreprendre Visages de femmes qu'il filme par étapes, pendant dix ans, en fonction de l'argent qu'il gagne au fil de ses activités. Au final, cette fiction indépendante, juxtapose trois portraits de femmes pour livrer une vision inédite de la place et de la détermination des Ivoiriennes.

Les destins de trois héroïnes se répondent. Il y a une femme de village, rebutée par un mari possessif et jaloux, qui est attirée par le frère cadet de son époux. Sa danse de séduction aquatique est une bonne pêche. De son côté, la belle Fanta préfère surmonter les colères de son mari en apprenant le karaté.
Quant à Bernadette qui s'occupe d'une entreprise à Abidjan, son ambition est que ses revenus qui profitent à sa belle-famille qu'elle entretient, reviennent plutôt à ses filles. Pour l'une, elle vise une éducation à l'école de Saint Cyr tandis que l'autre préfère miser sur sa plastique alléchante pour conquérir sa place en dominant les hommes.

Ainsi Visages de femmes se présente comme une comédie de mœurs composite dont les séquences sont liées par des danses et des chants piquants. "Que mérite un homme qui n'a pas confiance en sa femme ?", demande le chœur des femmes, en répondant : "Il mérite d'être trompé." Désiré Ecaré emploie les chorégraphies villageoises pour ponctuer ses histoires comme pour s'affranchir des récits occidentaux très cadrés, en vigueur à l'époque. Avec lui, l'histoire avance à sa mesure sans souci de cohésion ou de conclusion puisque les impulsions sont premières.

Le cinéaste expose des femmes surtout soucieuses d'affirmer leur liberté. L'une le fait en exerçant l'attraction érotique de son corps, l'autre en cultivant sa force tandis que la femme d'affaires recherche son émancipation par le pouvoir économique. "J'ai voulu montrer cette épopée quotidienne des femmes luttant non seulement pour vivre mais aussi pour exister", déclare Désiré Ecaré. La réussite de son propos repose moins dans sa cohérence que dans ses fulgurances, portées par des comédiens encore peu connus.
Aux côtés d'Albertine N'Guessan qui incarne la villageoise sensuelle, il y a Carmen Levry en combattante, et Eugénie Cissé-Roland en entrepreneuse. On y remarque aussi le corps incandescent de Sidiki Bakaba qui se révèle en amant désirable, et Hanny Tchelley qu'on retrouvera en épouse délurée pour Bal poussière de Henri Duparc, en 1988. Ces interprètes à la fois naturalistes et libérés, participent au ton mordant et vif que tente d'injecter Désiré Ecaré dans le cinéma ivoirien. Il progresse en se démarquant des conventions avec des séquences muettes ou une tendance à discourir qui alourdit parfois les images.


Visages de femmes - film annonce.mov from La Traverse on Vimeo.



Si Visages de femmes s'impose comme un jalon de l'avancée des cinématographies africaines, il le doit surtout à sa scène d'étreintes érotiques désinhibées qui séduit les uns et choque les autres. Le réalisateur en paie le prix et ne trouve plus les moyens de monter un autre projet ambitieux, Indépendance Cha Cha, qui voudrait aborder les transformations de l'Afrique à travers le destin de deux villageois, malmenés par les réformes administratives et le retour au pays des anciens émigrés après les indépendances.
Le décès du cinéaste, en 2009 à Abidjan, laisse une œuvre embryonnaire, orientée vers l'examen et la défense des évolutions africaines. Visages de femmes atteste de sa volonté de réévaluer la place des Ivoiriennes dans leur société patriarcale. Regard grinçant mais aussi geste politique puisque le réalisateur donne la parole à des héroïnes offensives dont l'une déclare : "Avec mes fesses, je peux faire dissoudre le gouvernement demain si je veux". Car si Désiré Ecaré sait cadrer le potentiel des corps en désir, il sait aussi écouter ce qui agite les têtes.

Vu par Michel AMARGER

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