"L'enfer c'est les autres". Contrairement à la pensée de Jean-Paul Sartre, Pégase est tissé autour d'une éternelle quête de soi. L'enfer, c'est soi-même. Plongé dans son propre moi, le personnage central est perpétuellement en conflit avec lui-même.
Pégase est l'une des créatures fantastiques les plus célèbres de la mythologie grecque. C'est un cheval ailé, généralement représenté en blanc. Le cheval est mentionné de très nombreuses fois dans les mythes et les légendes où des sociétés humaines se sont trouvées en contact avec cet animal. L'étalon du Yennenga, sacre suprême du FESPACO, n'est-il pas le cheval de la princesse Yennenga ? À l'image de la créature légendaire, le film de Mohamed Mouftakir expose la vie d'une jeune fille entourée de mystère. Rihana, victime d'un traumatisme, se trouve internée dans un asile psychiatrique. Elle croit être enceinte de son ami Zyad, une grossesse voulue par le seigneur du cheval qui est un esprit vénéré par son père.
Pégase c'est une histoire de viol et d'inceste à laquelle Mouftakir a su donner une dimension esthétique fusionnant à la fois mythologie grecque et ancrage culturel arabo-musulman. Avec ses personnages dédoublés et un incessant aller-retour dans le passé et le présent, une utilisation rationnelle de l'espace et le temps, le film suscite plusieurs interrogations sur un imaginaire structuré autour d'une récurrence de symboles et d'un sacré omniprésent.
C'est le lieu de dire que Pégase porte bien son nom. La fiction est construite sur des images, des symboles et des référents. Ce qui semble dérisoire est d'une importance capitale. Le décor, la lumière, le paysage, les sites, les objets et biens d'autres éléments jouent un rôle important dans la lecture de l'oeuvre. Le dédoublement et les contrastes : ombre/lumière, intérieur/ extérieur, masculin/féminin, profane/ sacré, judicieusement utilisés sont porteurs de sens.
Dans un monde régulièrement secoué par des crises d'identités, le dédoublement ici permet au téléspectateur de se poser les questions : "qui suis-je ?", "qui sommes-nous et d'où venons- nous" ? Le personnage de Rihana, une femme en prise avec un drame qui a bouleversé sa vie incarne bien cette quête d'identité.
Rihana vit dans un monde fait de mystères et de réalités déformées. Un personnage en marge de la société et tributaire d'une identité en déroute. Le contraste ombre/lumière raconte toute l'histoire et l'enfance difficile de Rihana. L'intérieur/extérieur oppose l'asile psychiatrique semblable à une prison dans laquelle Rihana est enfermée au beau paysage de son village. Le soleil qui brille, ses oiseaux qui chantent, ses arbres qui verdissent. Le masculin/féminin, renvoie à l'histoire d'un père phallocrate qui rejette la
condition de femme de Rihana. Il manipule son identité et l'élève comme un garçon au milieu des chevaux. Le contraste sacré/profane est perceptible par l'utilisation de symboles forts dans le monde arabe que sont les planches coraniques, le voile, les costumes, etc.
Dans Pégase, il y a l'interprétation du réel faite par un personnage traumatisé par son enfance difficile qui se construit sa propre réalité pour échapper à la réalité. Au fond, le film est un hommage aux enfants en difficulté à travers le monde. C'est aussi un clin d'oeil à tous ces enfants transformés en soldats par la bêtise des hommes. Pégase, c'est enfin un hommage aux enfants qui n'ont pas d'enfance.
Nébilibié A. Bayili
Burkina Faso.
Version de l'article paru sur papier le Samedi 05 mars 2011, Bulletin Africiné n°17 - Ouagadougou (Burkina Faso), FESPACO 2011 - n°6, p. 2.
Ce bulletin est publié par la Fédération Africaine de la Critique
Cinématographique (FACC) avec cette année le soutien du FESPACO, du ministère français des Affaires étrangères et d'Africalia.
Il est rédigé par des membres de la FACC présents au Fespaco 2011, venant de 9 pays d'Afrique.
