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L'affaire Chebeya - Un crime d'Etat ?
Pouvoir et mesure de la justice congolaise
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 03/04/2012
Michel Amarger
Michel Amarger
Thierry MICHEL
Thierry MICHEL

LM Documentaire de Thierry Michel, Belgique, 2011
Sortie France : 4 avril 2012

Le regard aiguisé du cinéaste belge Thierry Michel ne lâche pas le Congo. Vingt ans après y avoir tourné Zaïre, le cycle du serpent, 1992, qui pointait le gouvernement de Mobutu, il cultive ses liens de proximité avec des protagonistes de tous bords de la vie politique pour s'intéresser au fonctionnement de la justice. La présence de la caméra curieuse de Thierry Michel lui a valu des démêlées avec le régime de Mobutu mais aussi des sympathies de la part des opposants de l'époque.
Lorsque ces derniers se sont glissés dans les cercles du pouvoir actuel, autour du président Joseph Kabila, il leur est difficile de rejeter dans les cordes la caméra du cinéaste belge. Il en profite pour explorer les réalités du pays dans des films lyriques comme Congo River, 2005, ou sous un angle plus économique dans Katanga business, 2009. Aujourd'hui, c'est le fonctionnement de la justice en RDC qui l'interpelle avec L'affaire Chebeya, 2011.

L'AFFAIRE CHEBEYA de Thierry Michel // FDL 2011 // 23.11 20h00 // KVS from BRUXELLES LAIQUE on Vimeo.



Le film accompagne l'enquête puis le procès qui suivent la mort de Floribert Chebeya, un activiste congolais des droits de l'homme, retrouvé assassiné dans sa voiture, en juin 2010, à Kinshasa. La police avance la thèse d'un crime sexuel, étayé par des ongles de femme, des préservatifs disposés dans l'auto. Et Fidel Bazana, le chauffeur du directeur de l'ONG la " Voix des sans voix ", reste introuvable. Mais la version policière est vite remise en cause.
On apprend que la veille de sa mort, Chebeya a été convoqué par le général John Numbi, inspecteur chef de la police aux méthodes autoritaires. C'est lui qui a réprimé dans le sang le mouvement Bundu dia Kongo dans le Bas-Congo, en éliminant des dizaines d'opposants.
Les faits sont consignés dans un dossier que Chebeya voulait déposer devant la justice belge et la Cour Pénale internationale contre le général Numbi. La mort de Chebeya soulage la police mais embarrasse le gouvernement qui s'apprête à fêter les 50 ans de l'indépendance, en présence de chefs d'états étrangers. L'enterrement du leader de la " Voix des sans voix " provoque les plus grandes manifestations depuis les premières élections démocratiques de 2006, et le général Numbi est suspendu.



Le procès qui s'ouvre cinq mois plus tard sous la pression internationale, met au banc des accusés une poignée de responsables de la police dont le chef des services spéciaux, le colonel Daniel Mukalaywa Mateso. Mais le général Numbi qui est le plus haut gradé de l'état, ne peut être jugé que par quelqu'un de plus gradé et il n'apparaît que comme témoin.
Les échanges du procès sont enregistrés par Thierry Michel pour constituer L'affaire Chebeya. Il élargit son enquête, recueille les témoignages de la veuve du militant, de la femme du chauffeur disparu, et surtout d'un précieux témoin, Gomer Martel, un résident camerounais qui a vu Chebeya dans les locaux de la police le jour de sa mort. Ces confidences étayent la théorie du complot policier mais le témoin doit se cacher et fuir sous la pression, tandis que les accusés semblent jouer les figurants lors du procès. La présence obstinée de Thierry Michel lui permet de capter des moments forts en soulevant les questions qui dérangent. Il saisit aussi les silences éloquents et des échanges de regards furtifs qui en disent long.



La complexité de la situation est rendue lisible grâce à la construction classique de ce documentaire enquête. Thierry Michel charpente son long-métrage par des épisodes, une conclusion et un épilogue qui souligne les passions soulevés dans les camps opposés par l'élimination de Chebeya. Le propos mesuré du cinéaste belge l'incite à coller aux faits pour mettre en lumière les limites et les possibles de l'action des magistrats. Il choisit avec soin parmi les 80 heures de rushes accumulés durant le tournage, étalé sur un an, des images révélatrices. C'est lorsqu'il capte les regards hautains des dignitaires de la police, les dénégations blasées des accusés qui semblent se désintéresser du procès que le documentaire est le plus efficace.
Le réalisateur têtu, secondé par des journalistes locaux motivés, s'impose au cœur de l'appareil judiciaire pour en extraire les contradictions et les envols. En cadrant le pouvoir de la justice congolaise qui semble reconnaître une responsabilité du gouvernement en accordant des indemnités aux victimes, il fait surgir le hors champ du pouvoir d'un état où la démocratie semble encore à définir.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France / Africiné)

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