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Zéro
L'équation d'une renaissance marocaine
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 02/12/2013
Nour-Eddine Lakhmari, cinéaste
Nour-Eddine Lakhmari, cinéaste
Michel Amarger (Africiné)
Michel Amarger (Africiné)
Le réalisateur marocain Nour-Eddine Lakhmari
Le réalisateur marocain Nour-Eddine Lakhmari
Casanegra
Casanegra

LM Fiction de Nour-Eddine Lakhmari, Maroc, 2013
Sortie France : 4 décembre 2013

L'impact des auteurs marocains sur les écrans nationaux s'est confirmé avec CasaNegra, 2008, qui a détrôné des blockbusters américains au box office. Nour-Eddine Lakhmari y mettait en scène deux jeunes combinards, coursés par des policiers avides dans les rues de Casablanca. Aujourd'hui, il inverse les rôles et fait des policiers, les héros de Zéro, 2013, un film aux accents de polar, apte à rivaliser avec le précédent succès de Lakhmari. "Après CasaNegra, je voulais faire un film dans la continuité de ce genre de cinéma noir", déclare-t-il. "C'est une recherche sur la condition humaine à Casablanca, la ville qui me parle le plus."



Zéro est le surnom d'un jeune flic sans ambition, recalé dans un placard pour avoir essayé de doubler son chef, le commissaire Zerouali, corrompu et violent. Lorsqu'il n'est pas à son bureau où il recueille les dépositions de plaintes, Zéro rôde avec Mimi, une jeune prostituée avec qui il a monté une petite arnaque aux clients. La pression du commissaire s'accentue lorsque Zéro observe de trop près ses activités officieuses. Et la tension monte avec son père, ex fonctionnaire des forces armées, nostalgique de la Marche verte, largué par sa femme, cloué dans un fauteuil roulant d'où il tyrannise son fils. Même si ce dernier lui fournit sa drogue, une prostituée à l'occasion, et assure son quotidien, la fin de vie du vieillard, aigri et blessé, pèse sur le moral de Zéro. Il échappe à cet environnement en s'éprenant d'une femme médecin, tout en tentant de retrouver et de sauver la fille d'une provinciale, embrigadée dans un réseau de prostitution où son patron est impliqué.

"C'est l'univers torturé d'un policier casablancais, produit et victime des valeurs contradictoires d'un milieu", explique Nour-Eddine Lakhmari qui cadre en clair-obscur, les émotions de ce héros désenchanté, engagé dans une cause désespérée. Un combat métaphorisé par la présence de papillons tatoués ou séchés que Zéro côtoie au péril de sa vie. "Ce film est avant tout une histoire sur la renaissance, celle d'un homme, avec pour toile de fond une société déchirée au sein d'un système de valeurs perverti par l'argent et son pouvoir, la luxure et la vénalité", précise Lakhmari. Ainsi le film explore des zones d'ombres en valorisant des personnages contrastés qui résistent à leur manière à la déresponsabilisation en vigueur dans le pays.

"Aujourd'hui, on est devenu des assistés", estime le cinéaste. "Travailler sur soi-même est extrêmement difficile, d'où mon cinéma et le personnage de Zéro. Souvent il démissionne, il laisse les autres agir et penser pour lui alors qu'il a au fond de lui cette capacité d'exister et d'agir." Cette attention aux ressources du héros s'inscrit dans les rues que le cinéaste filme comme des espaces fermés, concentrant l'intrigue sur l'axe du boulevard Mohammed V et les cours Art déco où se noue l'épilogue expiatoire. "Visuellement, ce film rend aussi hommage à la grande ville Casablanca et son patrimoine architectural, mélange de modernité et d'un passé occidental", souligne le réalisateur. "La jungle urbaine devient ainsi un personnage à part entière du film."

La maîtrise affirmée de Lakhmari s'appuie sur le confort des moyens de production d'une société marocaine [Timlif, ndlr], pour "créer cette atmosphère très spéciale, presque claustrophobique du film", selon lui. "On est à Casablanca, mais on ne sent pas la mer… Il n'y a pas d'issue." Le cinéaste a trouvé la sienne en peaufinant le scénario avec des script doctors. Mais Zéro fonctionne aussi grâce à l'émotion cultivée par les comédiens principaux. Younes Bouab joue sur l'intériorité de Zéro, Mohamed Majd sur les jets de colère du père, Aziz Dadas sert l'ambiguïté perverse du commissaire. Le soin porté aux lumières gris bleues, aux volutes musicales qui affleurent, contribue à renforcer le climat pesant dans lequel l'homme brimé tente de reprendre pied. Un message citoyen qui éclaircit le sens de ce film noir, défendu par Nour-Eddine Lakhmari : "N'importe qui dans cette société marocaine peut travailler sur lui-même pour devenir meilleur."

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)

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