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Timbuktu
La résistance malienne à l'obscurantisme
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 06/12/2014
Michel Amarger (Africiné)
Michel Amarger (Africiné)

LM Fiction de Abderrahmane Sissako, France / Mauritanie, 2014
Sortie France : 10 décembre 2014

L'occupation du nord malien par des Djihadistes armés qui prônent la répression et la destruction ne peut laisser les artistes de l'Afrique de l'Ouest indifférents. Elle compromet la libre circulation des arts, limite les perspectives de tournage. Abderrahmane Sissako est l'un des seuls à brandir l'étendard du cinéma pour défier les formes de l'oppression avec Timbuktu, 2014. Cette fiction, dévoilée en compétition au Festival de Cannes, marque l'inquiétude et le retour de l'un des réalisateurs du continent les plus en vue ces derniers temps. Depuis La vie sur terre, 1998, le cinéaste, né en Mauritanie, s'est imposé avec Heremakono - En attendant le bonheur, 2002, et Bamako, 2006, comme un défenseur de l'intégrité des citoyens du territoire malien et mauritanien dont il est issu. L'orientation poétique de sa caméra le fait apprécier comme un auteur sensible, qui n'hésite pas à mobiliser des fonds pour restaurer une salle de cinéma à Bamako (Le voyage du fauteuil, 2010), ou conseiller les autorités de Mauritanie pour étayer la place de l'audiovisuel. Dans cette lignée, la diffusion internationale de Timbuktu vise à éclairer le drame vécu par les Maliens.

L'action se concentre vers Tombouctou où des Djihadistes viennent poursuivre leurs conquêtes. Ils arrivent de Lybie, parlent arabe, français ou anglais, alors que les villageois emploient le bambara, le tamashek. Lestés d'armes lourdes, ils tirent dans les statues, les dunes, en l'air pour se faire entendre. Les coups de fouets, les lapidations sont autant de moyens d'imposer leurs vues. Ils interdisent les jeux, les cigarettes, les musiques, prétendent régir le sort des femmes, couvertes de voiles, et celui des filles à marier. On s'attache au sort du berger Kidane qui vit paisiblement avec sa femme, Satima, sa fille Toya, et le jeune Issan. Lorsqu'un pêcheur noir, Amadou, s'en prend à sa vache, Kidane provoque un accident qui le met sous la coupe de la loi impitoyable des Djihadistes. Séparé des siens, il affronte ceux qui occupent les terres.



Le film valorise quelques personnages principaux, toujours inscrits dans la communauté de l'endroit. Et le cinéaste tisse des liens entre les destins qui se rencontrent comme il l'a fait pour Heremakono - En attendant le bonheur, 2002. Les personnages se cherchent, s'évitent, se confrontent alors que les Djihadistes viennent fouler la terre et refouler les hommes. Abderrahamane Sissako filme la violence avec les démonstrations de force en public, par le fouet, la lapidation. Il cadre l'usage des armes souvent arbitraire, en soulignant l'absurdité des décrets imposés aux villageois comme cette obligation pour les femmes de se couvrir les mains avec des gants même si elles travaillent comme poissonnières au marché.



La résistance, c'est de continuer à jouer au foot sans ballon, de faire des sons qui remplacent la musique interdite, ou de chanter sous les coups de fouets. Sissako filme allégrement ces gestes frondeurs qui défient les lois et les contradictions des Djihadistes, eux qui proscrivent les chants mais pas les louages religieuses, psalmodiées. Au lieu de les condamner de front, le réalisateur perce l'humanité derrière les masques des intégristes. Un chef joue comme un enfant avec son image, avec ses armes, un autre compatit à la douleur qu'il provoque, le disant en arabe mais en interdisant qu'on traduise ses propos. Cette hypocrisie signale à la fois l'humanité des personnages mais aussi les failles qu'ils répriment comme les villageois. Et c'est avec ce genre de scène, intimiste, émouvante, que Timbuktu prend de la hauteur sur un drame social, pour en tirer un spectacle aux accents de chorégraphies.



Abderrahamane Sissako privilégie les plans posés qui laissent venir les gestes révélateurs. Son chef opérateur, Sofiane El Fani qui a signé les images de La vie d'Adèle pour Abdellatif Kechiche, épouse les mouvements en souplesse. La lumière ocre de la terre locale estompe les aspérités d'une situation tendue. La précision de la mise en scène qui s'attache aux détails significatifs, aux gestes affirmés ou dérobés, valorise les acteurs. Abel Jafri joue avec nuances le chef djihadiste, confirmant ses prestations dans les derniers films de Rabah Ameur-Zaïmeche. La chanteuse malienne Fatoumata Diawara éclate dans le rôle d'une femme battue qui défie les intégristes par ses mélodies. Tous, à l'image de Ibrahim Ahmed qui est Kidane, ou Hichem Yacoubi qui semble danser ses prières, évoluent avec efficacité. Le montage de Nadia Ben Rachid, Tunisienne experte, relie sans heurts les scènes marquantes de Timbuktu. Soutenu par une coproduction française solide, Abderrahamane Sissako empoigne le cinéma comme un vecteur de résistance. Il fait résonner la voix du peuple malien par une ode lyrique à la libre pensée.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France),
pour Africiné

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