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Frontières, d'Apolline Traoré
Quatre femmes à l'assaut de l'intégration africaine
critique
rédigé par Sid-Lamine Salouka
publié le 27/02/2017
Sid-Lamine Salouka (magazine Africiné)
Sid-Lamine Salouka (magazine Africiné)
Apolline Traoré, Réalisatrice et productrice burkinabèe.
Apolline Traoré, Réalisatrice et productrice burkinabèe.


Le film d'ouverture de la 25ème édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), est un road movie d'Apolline Traoré où, comme à son habitude, la réalisatrice burkinabèe se penche sur l'émancipation de la femme africaine.

Le road movie est un genre cinématographique qui met le voyage au cœur de ses péripéties. Par son titre ("Frontières") le troisième long métrage d'Apolline Traoré se pose d'emblée comme un parcours rocambolesque au cours duquel le passage d'un pays à un autre pose problème. En effet, le fil conducteur du film est le voyage que la Sénégalaise Hadjara (Amélie Mbaye) effectue de Dakar à Lagos ; elle doit y acquérir des marchandises pour l'association féminine dans laquelle elle milite. Dans sa traversée de l'Afrique occidentale, elle rencontre trois autres femmes avec qui elle se liera d'amitié. Tout d'abord, il y a Emma (Naky Sy Savané), une commerçante ivoirienne qui traficote sur les routes depuis quinze ans sans plus savoir pourquoi. Outre Micha (Unwana Udobang), une Nigériane installée au Burkina qui rentre au pays pour assister au mariage de sa sœur et, éventuellement, pour se réconcilier avec les siens. Il y a enfin Sali (Adizétou Sidi), une jeune étudiante de Bobo-Dioulasso chargée par son fiancé de porter une commission dans la capitale du Nigéria.






Plus que l'amitié, une même quête réunit les héroïnes : s'affranchir de la tutelle des hommes et s'affirmer en tant que personnes à part entière.
En effet, si le propos de ce film à thèse est bien l'intégration africaine, notamment dans l'espace de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (la CEDEAO), c'est la tranche de vie d'une semaine sur la route du quatuor qui est censée tenir le spectateur en haleine. Dans leur périple, plus qu'aux principes administratifs et souverains des pays, c'est aux excès des pouvoirs phallocratiques, dans leurs versions brutes, que chacune des femmes se trouve confrontée. Ces États et les lois absurdes qui semblent les fonder ne sont que des prétextes aux mains de policiers et douaniers corrompus. Ceux-ci sont spécialement des hommes, car les femmes fonctionnaires, elles, sont exemplaires, à l'image d'une policière qui arrête un voleur et une trafiquante de bijoux. A l'opposé, le racket et les abus sexuels sont ainsi monnaie courante chez les hommes de pouvoir.
Mais cela semble, par ailleurs, le lot commun de la femme : le mari de Hadjara la bat quotidiennement tandis que le fiancé (manipulateur) de Sali n'hésite pas à impliquer celle-ci dans un trafic de drogue à son insu. D'ailleurs, la découverte de ce trafic à la frontière entre le Bénin et le Nigéria soude davantage les quatre femmes qui montent à l'assaut du pouvoir dévoyé par les porteurs d'uniforme et donne au film un certain suspense.

La question féminine est une constante des films d'Apolline Traoré. Dans son dernier long métrage (Moi Zaphira), une jeune veuve vit dans un village nommé Lagassa. Ce mot signifie "Vaurien" en dioula, mais prononcé "Lakassa", il prend le sens de "Couche-toi et meurs". Dans ce dit village-là, les hommes, refusant de cultiver une terre pourtant fertile, s'en remettent à l'aide étrangère pour leur survie. Zaphira, qui rêve d'un meilleur destin pour sa fille, se déguise en homme et s'engage comme mineur sur un site l'orpaillage voisin. Dans Frontières, ce sont des destins de mères-courage qui sont également célébrés. Cela, même si certains de leurs procédés sont louches. Par exemple, pour obtenir un laissez-passer, Hadjara aguiche sans vergogne un chef de poste de la douane sénégalaise au début du film. Mais, par la suite, elle se met à la tête d'un commando qui sauve Sali d'un viol. Si la seconde action est louable, la première sonne comme une prime à la salope…
C'est l'une des difficultés de ce film qui tente de concilier l'ambition politique du coproducteur qu'est la CEDEAO et le combat personnel de la réalisatrice. Placé entre ces deux exigences, le scénario d'Apolline Traoré reste faible dans sa construction. Les quatre portraits de femmes apparaissent alors comme autant d'à-plats qui se superposent sans profondeur véritable. Et les personnages, loin d'acquérir de l'épaisseur, paraissent comme des ébauches inachevées. Le jeu des actrices, qui n'arrivent pas à restituer la vérité des caractères, renforce ce sentiment. Cela, même si le casting et la mise en scène se sont nettement améliorés par rapport à Moi, Zaphira. Autre preuve de l'impossible grand écart que tente la réalisatrice, le besoin de justifier le message par un discours en voix off qui flingue littéralement le film.
En clair, ce passage d'Apolline Traoré au road movie, s'il bourré de bons sentiments, révèle surtout le choix d'un cadre un peu trop large.

Sid-Lamine SALOUKA
ASCRIC-B

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