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40ème Festival du Film du Caire
Un clin d'oeil au Maghreb
critique
rédigé par Azzedine Mabrouki
publié le 11/12/2018
Azzedine Mabrouki est rédacteur à Africiné Magazine)
Azzedine Mabrouki est rédacteur à Africiné Magazine)
Alvaro Brechner, cinéaste uruguayen
Alvaro Brechner, cinéaste uruguayen
Scène du film Vision de Naomi Kawase, Japon
Scène du film Vision de Naomi Kawase, Japon
Scène du film The Third Wife de Ash Mayfair, Vietnam
Scène du film The Third Wife de Ash Mayfair, Vietnam
Scène du film Ayka de Sergey Dortsevoy
Scène du film Ayka de Sergey Dortsevoy


Comme chaque année, le festival du film du Caire présente un panorama complet du cinéma des pays arabes, avec cette année un clin d'oeil spécial aux films du Maghreb.
Mis à part le terne Fatwa du Tunisien Mahmoud Ben Mahmoud, vaine tentative de montrer la radicalisation de la société tunisienne, la sélection maghrébine contenait deux fortes fictions de cinéastes femmes :Sofia long métrage de Meryem Benm'Barek-Aloîsi du Maroc et Les Bienheureux, long métrage de Sofia Djama, d'Algérie. Deux histoires attachantes, très bien structurées, scénographies et mises en scène très soignées. Il n'y a pas une phrase des dialogues, pas une scène qui ne soient portées admirablement par les actrices et acteurs des deux productions. Les choix des interprètes sont parfaits. Pour Sofia : Lubna Azabal, Sarah Perles, Maha Alemi, Faouzi Bensaidi. Pour Les Bienheureux : Nadia Kaci, Lyna Khoudri, Amine Lansari, Sami Bouajila, Fawzi Bensaidi. Les deux films sont coproduits par la France, et montrent un cinéma maghrébin courageux (dans Sofia, il s'agit d'un inceste, un viol au sein d'une famille), énergique (dans Les Bienheureux, c'est la transformation quasi radicale de la société algérienne). Un cinéma pas accrocheur qui trouvera un public intelligent pour le défendre.
Le Grand Prix (Pyramide d'Or) a été décerné à La Nuit Des Douze ans du cinéaste uruguayen Alvaro Brechner. Un évènement effroyable, indescriptible s'est produit en Uruguay en 1973 sous la féroce dictature militaire de l'époque. Trois militants du Tupamaro sont jetés dans un isolement total dans une cellule pendant douze ans. Le futur président de l'Uruguay Pepe Mujica était parmi eux. A la base du film, c'est le livre de mémoires des deux compagnons du président Mujica : Mauricio Rosencoff et Eleuterio Fernandez. Ils ont survécu. Leur force morale était grande. Le président Mujica a dit : "Je ne serais pas ce que je suis aujourd'hui si je n'avais pas réfléchi toutes ces années sur moi-même". Arrivé au pouvoir, Il n'a jamais pensé à se venger des militaires qui l'ont persécuté avec ses compagnons. Alvaro Bruchner a fait un grand film sur un sujet universel: le miracle de rester vivant malgré les souffrances les plus extrêmes.

L'autre point fort du festival du Caire, c'est le panorama asiatique. Au moins trois oeuvres majeures ont créé l'évènement : Vision de Naomi Kawase, du Japon, The Third Wife de Ash Mayfair (qui est américano-vietnamienne), Ayka de Sergey Dvortsevoy, du Kazakhstan.
Dans Vision, la grande actrice française Juliette Binoche joue le rôle d'une femme qui retourne au Japon à la recherche d'un amour de jeunesse. Le film est tourné dans un somptueux décor de vastes forêts, un univers très soigné et beau à la fois.
The Third Wife est une partie de plaisir visuel. Décors extrêmement beaux d'un Vietnam du 19ème siècle. Belles actrices avec des robes superbes. Un plaisir d'esthète, cette production ! Une oeuvre plutôt rétro pour les Vietnamiens d'aujourd'hui. Il s'agit d'un riche marchand qui possède trois femmes. Quand débarque la troisième, de petits et de grands drames surviennent dans cet univers de grand luxe...

La grande salle de l'Opéra du Caire était archi comble lors de la présentation d'Ayka. Il y a une grande souffrance dans Ayka. Une souffrance qui pèse du poids de toute l'humanité. Ayka abandonne son bébé. Elle n'a ni argent, ni travail, ni domicile fixe dans une ville hostile, inhumaine. Elle est seule dans sa cruelle solitude. Pour son malheur, elle a des dettes à payer et ne sait comment faire. Mais la souffrance d'Ayka est soudaine et brièvement coupée par d'étranges jubilations chaque fois qu'elle a une promesse d'emploi, ou qu'elle reçoit un appel rassurant,ou qu'elle croise une âme charitable qui l'aide et un médecin qui la soigne. Cette accalmie miraculeuse, ces bouffées d'air ne durent pas longtemps. Pour Ayka, la machine infernale s'accélère de nouveau dans Moscou sous la neige, cité glaciale qui la repousse.
Un travail rigoureux considérable dans la mise en scène rapide et surprenante chaque fois de Sergey Dortsevoy. Une intense et dramatique plongée dans le rôle d'Ayka par la toute jeune Samal Yeslyamova. On la voit, on la sent exténuée, au bout du rouleau, dans une souffrance incommensurable. Et puis soudain, une sidérante pulsion semble la remettre à flot. Avec Ayka, l'improbable cinéma du Kazakhstan a encore fait irruption sur les écrans du Caire.

Azzedine Mabrouki

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