Olivier Broche a concocté une programmation de haute volée autour de la ville de Dakar, la capitale sénégalaise, pour la toute première édition du festival Close-up (Paris).
Il n'est pas aisé de choisir, tant le cinéma sénégalais se distingue par l'inscription de l'urbain dans le cinéma. Cinq films de référence permettent de faire un tour salutaire pour sortir des clichés. Catherine Ruelle et Michel Amarger ont accepté d'animer les débats.
Le festival m'a fait l'honneur de me laisser rédiger le présent éditorial pour ce Spécial Dakar auquel je ne pouvais plus participer. En effet, c'est au même moment que le Fespaco 2021, la manifestation burkinabèe décalée au 16-23 octobre où je suis un des huit sélectionneurs internationaux.
La déreprésentation est l'exposition bilatérale de la représentation. Elle comporte la méreprésentation (majoritaire, négative) et l'alter-représentation (minoritaire, alternative). Le cinéma colonial et son calque hollywoodien ont (majoritairement) présenté l'Afrique comme sauvage (nature et habitants) où la ville est quasi absente.
L'urbain africain (le territoire et l'individu) a tardivement figuré au cinéma, excepté en Égypte où cette industrie a pris pied dès 1896. Pour le cinéma sénégalais, le premier espace à reconquérir fût le paysage de l'intime, comme s'y attache Le charretier [Borom Sarret] (1963). Ce court métrage expose avec une voix intérieure comment la spoliation spatiale a dissocié le quartier indigène du centre-ville colonial.
Investie par de nouvelles élites corruptrices et corrompues, l'administration ne parle pas la langue du peuple (Le Mandat, 1968). Au lieu de cimenter la Nation et l'État, le policier (ou le militaire) fait partie des forces du désordre qui fracture les ambitions de la jeunesse. Cette dernière fuit le cannibalisme de la ville (Touki Bouki, 1973). La seule ressource pour affronter les impératifs dakarois (manger, se loger) est le rêve.
Les histoires des petites gens - également titre de la trilogie de Mambéty (avec Le Franc, 1994, et La petite vendeuse de soleil, 1999 - ont peu changé même 30 ans après les indépendances : le peuple indigent vivote toujours dans des baraques (au sens littéral) de bric et de broc, sans eau potable, louées à prix d'or. Le jeu du hasard et la bienveillance des génies sont la seule planche de salut avec une économie brutalement dévaluée qui dévaste les honnêtes hommes (Le Franc, 1994).
La grande tare des grandes villes est le manque de communication, La petite vendeuse de soleil (1999) démontre qu'un handicap n'est pas vain et le dialogue toujours possible.
Il est difficile de faire grandir une histoire d'amour sous les tours, dixit Woody Allen (Manhattan, César 1979). Atlantique (2019) illustre le même propos en reprenant la même trame que Sophocle avec Œdipe, l'enquêteur (criminel qui s'ignore), dans Thèbes, la première ville qu'Amon-Râ a créé pour être le modèle de toutes les autres. La Parisienne Mati Diop filme à nouveau une Afrique à la pointe, prenant des initiatives, sans peur du futur et des frontières.
Parce que le cinéma est un formol, les cinq films du programme Regards sur Dakar livrent ses mutations urbaines (le marché Sandaga, …). Ils montrent les hybridations architecturales cisaillant Dakar (voir les travaux de Sylviane Leprun) et l'urbanisation débridée alors que la ville condense sur 0,28% du territoire national près d'un quart de la population (dont nombre d'immigrés français et Chinois, c'est dire la multiplicité des cultures qui composent cette grande métropole de près de 3 millions d'habitants).
Thierno Dia
Toute la programmation REGARDS SUR UNE VILLE : DAKAR
(Films, dates et horaires) :
- La petite vendeuse de soleil /// Djibril DIOP MAMBÉTY /// Sénégal, France, Suisse /// 1999, Court métrage, 45', avec Aminata FALL, Madièye DIÈYE, Demba BÂ.
/// La vente de journaux à la criée dans les rues de Dakar est l'apanage des garçons. Mais depuis ce matin cette exclusivité est remise en cause. Sili, une jeune fille, vivant sur les trottoirs et se déplaçant en béquilles a été violemment bousculée par ces garçons. Sa décision est prise. Dès demain, elle vendra des journaux, car ce qui est valable pour l'homme l'est également pour la femme.
/// Distributeur : JHR ///
Cinéma : Le studio (Aubervilliers), le Samedi 16 oct, 16:00 - 17:30.
Le film sera projeté avec Le Franc. Séance présentée par Michel Amarger, journaliste, critique de cinéma, formateur à Médias France. Il a conçu depuis plusieurs années, des reportages et des émissions de cinéma notamment pour RFI. Il est également réalisateur de films, auteur d'ouvrages sur le 7ème art dont un livre sur le cinéaste Djibril Diop-Mambety. Il collabore à diverses publications ou éditions numériques dont Africiné Magazine dont il est cofondateur.
- Le Franc /// Djibril DIOP MAMBÉTY /// Sénégal, France, Suisse /// 1994, Court métrage, 45', avec Madièye DIEYE, Aminata FALL et Demba BA ///
/// Marigo est musicien, mais sa logeuse lui a confisqué son instrument, un congoma, car il n'a pas payé le loyer depuis trop longtemps. Heureux possesseur d'un billet de loterie, il décide de le mettre en sécurité et le colle sur sa porte, derrière le portrait d'un héros de son enfance, Yaadikone. Le soir du tirage, le billet de Marigo sort gagnant. Il se voit déjà millionnaire et rêve. Mais impossible de décoller le billet…
/// Distributeur : JHR
/// Cinéma : Le studio (Aubervilliers), le Samedi 16 oct, 16:00 - 17:30 ///
Le film sera projeté avec La petite vendeuse de soleil. Séance présentée par Michel Amarger, journaliste, critique de cinéma, formateur.
- Touki Bouki
Djibril DIOP MAMBÉTY /// Sénégal /// 1973, Long métrage, 95', avec Magaye NIANG, Marème NIANG et Aminata FALL.
/// Mory, jeune berger venu à Dakar vendre son troupeau aux abattoirs, rencontre Anta, une étudiante révolutionnaire. Tous deux cherchent à se procurer, par tous les moyens, de l'argent pour partir à Paris. Après de nombreuses péripéties (dont une virée chez un riche homosexuel anciennement expatrié en France), ils se retrouvent sur le pont d'un bateau en partance pour l'hexagone.
/// Distributeur : Carlotta
/// Cinéma : Le studio (Aubervilliers), le Samedi 16 oct, 18:00 - 20:00
Séance présentée par Michel Amarger
- Atlantique
Mati DIOP /// France, Belgique, Sénégal /// 2019, Long métrage, 100', avec Mama SANÉ, Ibrahima TRAORÉ et Abdou BALDÉ.
/// Dans une banlieue populaire de Dakar, les ouvriers sur un chantier d'une tour futuriste, sont sans salaire depuis des mois. Ils décident de quitter le pays par l'océan pour un avenir meilleur. Parmi eux se trouve Souleiman qui laisse derrière lui celle qu'il aime, Ada, promise à un autre homme. Quelques jours après le départ en mer des garçons, des évènements mystérieux se produisent dans le quartier. Issa, jeune policier, débute une enquête pleine de surprise.
/// Distributeur : AD Vitam
/// Cinéma : 7 Batignolles (Paris 17), le Lundi 18 oct, 14:00 - 16:00
- Le Mandat
un film de Ousmane SEMBÈNE /// Sénégal, France /// 1968, Long métrage, 100', avec Makhourédia GUEYE, Younousse N'DIAYE et Isseu NIANG
/// Dakar, Ibrahim Dieng, un bon musulman sénégalais, vit avec ses deux femmes et leurs sept enfants tranquillement sans travail. Ses femmes reçoivent un mandat d'Abdou, un neveu parti en France. Tout le quartier est au courant de l'aubaine. Ce morceau de papier, au lieu d'apporter richesse et reconnaissance, devient le symbole de la honte et de la déchéance.
/// Distributeur : Splendor Films
/// Cinéma : 7 Batignolles (Paris 17), le Mardi 19 oct, 18:30 - 20:30
Séance présentée par Catherine Ruelle, journaliste et spécialiste des cinémas africains. Chez Radio France, puis RFI, ce sont d'abord les relations internationales qui l'intéressent, avant qu'elle ne consacre au cinéma les émissions "Cinémas d'aujourd'hui" et "Cinémas sans frontières", de 1984 à 2012.
Plus d'infos :
https://festivalcloseup.com/fr/programmation/regards-sur-une-ville-dakar
