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Aïssa Maïga : "J'ai mis à profit les outils de narration pour construire une dramaturgie"
critique
rédigé par Mamadou Oumar Kamara
publié le 10/11/2021
Aïssa Maïga, réalisatrice française-sénégalaise-malienne
Aïssa Maïga, réalisatrice française-sénégalaise-malienne
Mamadou Oumar KAMARA (Dakar) est rédacteur à Africiné Magazine
Mamadou Oumar KAMARA (Dakar) est rédacteur à Africiné Magazine
Scène du film
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Ariane Kirtley, co-scénariste américaine-française
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Guy Lagache, journaliste et réalisateur français
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Pour son tout premier long-métrage dans son nouveau costume de réalisatrice, la comédienne Aïssa Maïga a traité du réchauffement climatique sous un angle essentiellement humaniste et féministe. La Française d'origine sénégalaise et malienne, qui a pris le projet du film Marcher sur l'eau (1h30, 2021) en cours, a réussi à se l'approprier en y imprimant son identité.

La figure féminine est omniprésente dans Marcher sur l'eau qui traite du réchauffement climatique. Est-ce un propos crypto personnel ou un message de genre ?

Le film raconte le quotidien d'une communauté, les peulhs wadaabé du Niger. Pour moi, c'était très important de parler des questions de nomades du Sahel et plus généralement des populations sahéliennes face au manque d'eau. J'ai voulu aborder ce sujet non pas avec un film d'expert avec des voix-off et par lequel on va énormément apprendre par des statistiques sur le réchauffement climatique, etc. Ce qui m'a vraiment intéressé, c'est de mettre mon attention sur une communauté avec des personnes à travers lesquelles le spectateur pourra s'identifier.



J'ai voulu aborder par le problème du manque d'eau, l'impact sur les enfants, sur l'école, la façon dont les femmes sont frappées de plein fouet, etc. L'important a été que tout le monde soit représenté. Maintenant, il est vrai que les voix féminines ont retenu un peu plus mon attention. Notamment à travers le parcours des jeunes filles et des mamans. Elles sont impactées de façon très frontale par le réchauffement climatique, ne serait-ce que quand elles donnent naissance ou qu'elles doivent faire les toilettes. Cette question est cruciale chez elle.

Justement, dans ces questions, les femmes ont souvent été alignées dans la partie des problèmes. Avec votre film, vous relatez clairement leurs propositions. Quelle était l'idée derrière cette mise en scène ?

J'ai coécrit le film avec Ariane Kirtley qui dirige l'ONG Amman Imman, avec laquelle on a travaillé autour de la question du forage. Au moment où nous avons commencé à établir ce que pouvait être la narration du film, mon regard a été celui d'une enfant de la diaspora africaine. Mon père était Malien, ma mère est une Sénégalaise, j'ai grandi en Europe et j'ai toujours baigné dans cette culture multiple. Dans le cadre de ces cultures, les femmes ont toujours eu, dans ma famille déjà, un rôle hyper important. Elles ont toujours eu un caractère très fort et ont été très engagées. C'est aussi cela que j'ai voulu montrer dans le film : ces figures qui sont des héroïnes mais que nous ne sommes pas très habitués à voir.

Nous voyons souvent dans les films les problèmes que les femmes subissent mais nous ne nous rendons pas assez compte de leur rôle moteur. Dans cette communauté peulh wadaabé, les femmes sont souvent amenées à quitter le village pour trouver des moyens de subsistance, faire des tresses, vendre de la pharmacopée, faire le ménage, être employées de maison dans les capitales des pays voisins, etc. Pendant ce temps-là, elles laissent leurs enfants au village. Ce qui m'a encore plus intéressée, c'est comment les enfants se comportent quand leurs mamans ne sont pas là et que leurs papas partent aussi avec les bétails dans les pâturages. Il était intéressant de voir comment une jeune fille est mise à la tête de sa famille, tout ce qu'elle doit endurer et ce à quoi elle doit faire face.



Houlaye a 14 ans quand ses parents partent et elle doit prendre soin de la petite famille, tout en continuant à aller à l'école, s'approvisionner en eau, s'occuper de ses petits frères et surtout garder le moral malgré le manque qu'elle ressent. Donc, la question de comment rendre à l'écran l'extraordinaire force que toute une génération doit mettre en œuvre et la dignité du peuple sahélien était primordiale.
Il y avait aussi la beauté de ces populations qu'il fallait projeter car il n'était pas question de projeter du misérabilisme. Elles ne sont pas des misérables en réalité et ne font pas pitié. Je voulais simplement que les spectateurs s'identifient aux personnages et qu'ils se demandent ce qu'ils feraient s'ils étaient à leur place. J'ai utilisé les moyens de la fiction pour faire du documentaire.

Comment avez-vous réussi à repérer les personnages, et surtout celui d'Houlaye ? Et comment vous vous êtes prise pour tenir toute cette charge émotionnelle ?

Les repérages ont été faits par Guy Lagache, le réalisateur qui devait faire ce film à l'origine. A l'époque, il a été nommé à la tête de Radio France [Directeur des antennes et de la stratégie éditoriale, NDLR] et a dû quitter le projet. Le producteur m'a ensuite contactée et proposé de continuer le projet. Je me suis demandé en ce moment comment raconter le réchauffement climatique. On en entend tout le temps parler et on en est stressé. C'est angoissant de voir des espèces animales s'éteindre et que 2,2 milliards de personnes n'ont pas accès à une eau potable. Donc j'ai choisi de raconter l'histoire de personnes dans un village qui sont des véhicules d'une émotion et sont les meilleurs ambassadeurs de leur propre histoire.



Guy Lagache [ancien présentateur de l'émission "Capital" sur M6, NDLR] avait fait les repérages dans plusieurs pays et le Niger, notamment le village de Tatiste avait retenu son attention. Quand on m'a remis le projet, j'ai été très attirée par ce qu'on m'a raconté de ce village et des personnes qu'on y a rencontrées. Du coup, le film est un vrai documentaire car ça parle de leurs réalités.
En même temps, étant actrice et habituée de la fiction, j'ai mis à profit les outils de narration pour construire une dramaturgie. C'est ma sensibilité.

L'éducation d'un peuple a brillamment transparu à travers le personnage de l'enseignant et la veillée de contes. Quelle est l'importance que vous accordiez à l'entame à ce sujet ?

Mon grand-père mort avant ma naissance est quelqu'un dont j'ai beaucoup entendu parler, notamment sur la question de l'école. A l'époque, dans les années 1950, il n'était pas question pour un personnage de son rang d'envoyer sa progéniture à l'école. Mais il a choisi d'inscrire ses enfants à l'école car il voulait qu'ils comprennent les outils culturels des autres afin de s'émanciper dans la vie. Cette question de l'école a donc beaucoup apporté à la famille.
Mon père était journaliste et homme politique. Il avait voyagé à travers le monde et avait certains engagements. C'est l'école qui le lui a permis. Tout ceci est un peu mon héritage. Raconter la question de l'eau c'était aussi forcément raconter comment cela impacte la scolarité des enfants. Les peulhs wadaabé sont des peuples nomades qui restaient ensemble quand ils n'étaient pas encore face à ces contraintes du réchauffement climatique. Aujourd'hui, ils sont forcés de se sédentariser et se saisissent dans ce contexte d'un outil, qui est l'école, pour garantir à leurs enfants une perspective.



Mais ce qu'on constate est que la question de l'eau est devenue tellement difficile que les enfants sont obligés continuellement de quitter la classe pour marcher des kilomètres pour les corvées d'eau. Ce qui m'a intéressé c'était aussi que nous nous mettions à la place de cet enseignant qui est vraiment passionné, vivant et sait embarquer sa classe par son envie et son charisme. Ensuite il y a tous les âges dans sa classe. Ce qui est très frappant c'est de voir que, malgré la détermination des parents à scolariser les enfants et la volonté de ceux-ci d'y rester ainsi que la dévotion du maître, la question de l'eau plombe le développement de l'école et la scolarité normale.

Quelle a été la température émotionnelle quand le forage s'est mis en marche, chez la population et l'équipe technique ?

La question du forage a été là dès le début du film. Ce dernier a été produit dans l'idée de montrer le problème de l'eau mais aussi les solutions qui peuvent exister. Le forage est un exemple et l'Ong Amman Imman a mis longtemps pour réunir les fonds. C'était très difficile, et la production et moi-même avons beaucoup aidé à chercher des financements. Honnêtement, nous n'avons jamais été sûrs que le forage allait se réaliser. Quand alors d'un seul coup et après tout ce temps d'incertitude et de batailles l'eau jaillit enfin, l'émotion était juste énorme.
Il faut savoir que les travaux du forage ne sont pas totalement terminés. L'infrastructure n'est pas destinée seulement au village de Tatiste. C'est un projet pour plusieurs villages et qui demande de grands travaux pour construire toutes les canalisations en vue de relier plusieurs dizaines de kilomètres. J'espère que ce sera bientôt totalement abouti avec l'appui du gouvernement du Niger.



Mais oui, le démarrage a soulagé les deux parties. Au-delà de la disponibilité de l'eau, le forage est un point d'ancrage qui permet de développer plusieurs projets de santé, pour soutenir la mère et l'enfant, abreuver le bétail, développer des cultures, etc.

Ne seriez-vous pas l'aboutissement de la volonté de votre grand-père de scolariser sa famille, de l'émanciper, l'inscrire dans les cultures du monde et de lui faire jouer sa partition dans la transmission ?

Ce regard me touche beaucoup. La question des héritages immatériels, invisibles, de ce qui se transmet d'une génération à une autre m'intéresse grandement. Cette transmission peut s'effectuer quand les gens sont vivants, à travers l'éducation, les contes, les discussions, etc. Ça se transmet aussi par-delà la mort.
Mon père est mort quand j'avais 8 ans, dans des circonstances qui ne sont jusque-là jamais élucidées. On sait juste que c'est lié à son engagement politique en tant que journaliste. Il m'a inspiré. En tant qu'actrice, il a toujours été question de donner du sens à ce que je fais.

Effectivement ce film est hanté par toutes ces parts d'héritage. Quand je filme les paysages du Sahel, quand je filme la beauté peule qui me rappelle ma grand-mère, quand on capture les silences et les émotions, c'est une réalité qu'on filme mais tu sais que ce que tu sens vient de quelque part. Mon regard se construit à travers ces héritages, et même les manques.
Tout de même, quoique j'aie une expérience de comédienne de 25 ans, je suis une toute jeune réalisatrice. C'est mon tout premier long-métrage et je suis encore en train de chercher ce que j'ai à transmettre.

Propos recueillis par Mamadou Oumar Kamara (Sénégal)

Article rédigé dans le cadre de l'Atelier FACC / NO'O CULTURES / FESPACO 2021.
Atelier de formation en critique cinématographique et de production de contenus sur les cinémas africains, organisé à l'occasion de la 27è édition du FESPACO par la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique (FACC) en collaboration avec le Programme NO'O CULTURES et ASCRIC-B
avec le soutien du Fespaco (Burkina Faso), Africalia, Direction de la Cinématographie (DCI, Sénégal), Centre National de la Cinématographie du Niger (CNCN) et La Semaine de la Critique (Syndicat français de la critique de cinéma & Institut Français, France).

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