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Plumes (Feathers)
Magie fatale en Egypte
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 21/03/2022
Affiche française (2022)
Affiche française (2022)
Michel Amarger, rédacteur à Africiné Magazine
Michel Amarger, rédacteur à Africiné Magazine
Omar EL ZOHAIRY, réalisateur égyptien
Omar EL ZOHAIRY, réalisateur égyptien
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
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Scène du film
Scène du film
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Affiche originale (2021)
Affiche originale (2021)

LM Fiction de Omar El Zohairy, France / Egypte / Pays-Bas, 2021
Sortie France : 23 mars 2022 (dist: Sophie Dulac Distribution)

Les cinéastes égyptiens savent cultiver le spectacle, parfois en dérangeant mais aussi en conquérant des voix. C'est comme ça que Omar El Zohairy a décroché le Prix de la Semaine de la Critique au Festival de Cannes 2021, assorti du Prix de la FIPRESCI, avec son premier long-métrage, Feathers. Un titre devenu Plumes pour la distribution française, en s'appuyant sur une confidence du cinéaste, déclarant : "J'imagine les héros de mon film comme des plumes". Un sentiment sans doute déjà présent dans ses courts-métrages : Breathe Out, 2011, et The Aftermath of the Inauguration of the Public Toilet at Kilometer 375, 2014. Avec Feathers, coproduit par la France, l'Egypte, les Pays-Bas, le décalage est poussé.



On suit le quotidien morne d'une famille pauvre, installée dans un appartement délabré. Dehors, l'usine où travaille le père, crache sa fumée et sa pollution. Dedans, la mère s'occupe de leurs deux enfants turbulents et du petit dernier qui attend ses biberons. Quand ils sont en couple, l'atmosphère est pesante, les mots rares. Le père gère les finances et se fait servir. Tout bascule quand il décide de fêter les quatre ans de son fils, en présence de son patron, et d'un magicien invité pour distraire les voisins.
Un tour de magie raté transforme le père en poule. Encombrée par ce volatile, la mère doit assurer la survie de la famille. Elle ne peut toucher le salaire d'un époux qui n'a pas disparu mais changé d'état. Le magicien se dérobe, l'usine refuse d'embaucher une femme. Mais la mère est convoitée par le patron, les huissiers la menacent d'expulsion. Elle doit s'affirmer à chaque épreuve, récupérer ce qui pourrait être le corps dénaturé de son mari, jusqu'à prendre des décisions tranchantes.

Écrit par Omar El Zohairy et Ahmed Amer, le scénario se concentre sur les gestes répétitifs de la mère, jouée par Demyana Nassar, avant que la mécanique passive de sa vie se dérègle. On assiste alors à une prise en main nécessaire. "Son évolution a quelque chose d'organique, d'uniquement instinctif", glisse le cinéaste qui use d'un subterfuge absurde pour faire basculer le récit. "La magie est une bonne façon de redécouvrir finalement une réalité en apparence banale, voire clichée, comme par exemple la condition d'une femme qui découvre ce dont elle est capable quand son mari disparaît", estime l'auteur.
L'action, a priori burlesque, prend un ton plus noir, issu de l'environnement où elle se déroule. L'appartement crasseux et délabré où vit la famille, est envahi par les fumées nocives de l'usine d'en face qui crachent régulièrement des déjections polluantes. Les images cadrées par Kamal Samy, composent des sortes de tableaux sordides dans lesquels on regarde s'agiter les personnages. Et le réalisateur laisse s'exprimer ses acteurs non professionnels, en saisissant leurs réactions à chaud.

Feathers, dénommé aujourd'hui Plumes, se démarque de la production égyptienne standard. Sans vedettes, sans belles images, sans situations complexes, il propose une drôle de vision de la société, ce qui a indisposé certains notables en Egypte. Omar El Zohairy se défend en avançant son désir de ne pas situer le film : "On ne sait jamais où l'on se trouve. Rien n'est nommé". Pourtant, il revendique un "humour typiquement égyptien", en précisant : "Il prend sa source dans nos conditions de vies difficiles".
En choisissant des acteurs qui parlent avec l'accent de la Haute-Egypte rurale, Omar El Zohairy décentre encore la portée de Feathers. Avec ses séquences composées comme des blocs, il marie un réalisme sombre avec la magie et un ton parfois burlesque, assez personnel. Derrière, on peut déceler une remise en cause de la politique du président égyptien qui prétend construire "une nouvelle république" alors que l'habitat insalubre n'est pas encore éradiqué.

Omar El Zohairy présente justement son film comme "l'histoire d'une mutation obligatoire, un changement de nos comportements sociaux qui nous concerne tous, pas seulement les habitants de mon pays". Il est vrai que la métaphore est parfois opaque dans Feathers. On y aborde le patriarcat, la soumission des femmes, la compromission des patrons, les tracasseries administratives absurdes, les conditions de travail dégradées, la pollution, l'atmosphère mortifère de la société…
C'est beaucoup pour un même film, parfois aussi un peu laborieux lorsque le mari est transformé en poule. Omar El Zohairy insiste beaucoup sur les embûches qui entravent le quotidien de son héroïne, en étirant un peu le fil du récit. Et ce que l'on retient, c'est la noirceur des images plus que son propos. Comme si l'ambiance sordide de l'environnement, des décors, contaminait le sens de la dérision pour étouffer les personnages dans une tragédie implacable, et suspendue.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)
pour Africiné Magazine

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