AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
25 019 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
Joseph Akama, cinéaste camerounais : "Je n'ai pas pris la réalisation de ce film à la légère"
En Première Mondiale à Montréal, son film KANKAN est un biopic sur l'humoriste Jean-Miché Kankan
critique
rédigé par Pélagie Ng'onana
publié le 25/09/2022
Joseph Akama, réalisateur et scénariste camerounais
Joseph Akama, réalisateur et scénariste camerounais
Pélagie Ng'onana, Rédactrice à Africiné Magazine
Pélagie Ng'onana, Rédactrice à Africiné Magazine
Scène du film KANKAN
Scène du film KANKAN
Scène du film KANKAN
Scène du film KANKAN
Jean Miché Kankan (Dieudonné AFANA EBOGO)
Jean Miché Kankan (Dieudonné AFANA EBOGO)
Claye Edou, producteur du film KANKAN
Claye Edou, producteur du film KANKAN
Le tournage de KANKAN avec Joseph Akama, cinéaste
Le tournage de KANKAN avec Joseph Akama, cinéaste
Le réalisateur Joseph Akama, en tournage
Le réalisateur Joseph Akama, en tournage

Kankan, le film le plus attendu cette année au Cameroun, est un biopic sur Jean Miché Kankan (de son vrai nom Dieudonné AFANA EBOGO), légende incontestée de l'humour dans ce pays et sur le continent africain. Le long métrage de Joseph AKAMA (son tout premier) sort à peine de sa post production. Il a fait sa Première Mondiale le 24 septembre au Montreal Black Film Festival (Québec, Canada, 20-25 septembre 2022). Son acteur principal, Landry NGUETSA est nominé aux Sotigui Awards (du 10 au 12 Novembre 2022 à Ouagadougou) dans la catégorie Meilleur Acteur d'Afrique Centrale.
La sortie du film en salles est prévue le 21 octobre 2022, au Cameroun. ENTRETIEN.

Pourquoi le Festival International du Film Black de Montréal pour l'avant-première mondiale du film Kankan, pourquoi pas les Ecrans Noirs (Yaoundé) ?

Déjà les Ecrans Noirs c'est principalement un problème de date, ils viennent après les dates prévues pour la première du film. Et il y a un règlement aux Ecrans noirs qui stipule qu'un film ne doit pas avoir fait sa première avant un temps précis. On a aussi voulu commencer pour voir l'engouement que le film provoque auprès du public à l'extérieur comme à l'intérieur.
Mais on postule à plusieurs festivals, ceux qui sont intéressés par notre film le sélectionnent. Donc, on ne peut pas dire que c'est nous qui avons décidé au départ que l'Avant-Première Mondiale se fera à Montréal. C'est juste que le film a été sélectionné par le festival et le calendrier fait qu'il vienne en premier.



Qu'est-ce qui vous pousse à faire un film sur Jean Miché Kankan ? Comment naît l'idée et comment le producteur, Claye Edou et le réalisateur, que vous êtes, se mettent ensemble pour faire le film ?

L'idée vient de Claye Edou, le producteur. Il me contacte en fin d'année 2020, c'était peu de temps après la projection de Into The Den (NDLR, son court métrage sorti en 2020). Il me dit : "En 2022, ça va être les 25 ans de la disparition d'Afana Dieudonné, je pense qu'il faudrait faire quelque chose pour sa mémoire et ce que nous, nous pouvons faire c'est un film, qu'est-ce que tu en penses ?". Je lui ai dit : "Gars je suis à fond avec toi". Ça manque tellement ce genre de films dans notre environnement, ça manque des films qui honorent nos héros disparus que ce soit dans la musique, le théâtre, le sport et d'autres domaines. Je pense que c'est une excellente idée et que vivement, espérons-le, ça va créer une émulation et pousser d'autres cinéastes à regarder nos figures et les présenter au monde.

Vous êtes en même temps le scénariste du film. Est-ce que c'est à partir de ce moment que vous commencez à penser le scénario à voir comment raconter l'histoire ?

À la base, j'étais uniquement pressenti pour écrire le scénario du film, c'est en travaillant ensemble, en développant qu'il m'a dit : "Tu sais quoi ? Tu peux réaliser". J'ai pris six mois pour l'écriture. J'ai commencé en décembre 2020, jusqu'en mai/juin 2021. On a finalisé le scénario et on a attaqué avec la pré-production.

Quelles recherches ont été faites sur le personnage pour mieux cerner son vécu ?

Ce n'est pas évident du tout de faire des recherches au Cameroun. Ça été très difficile, mais par la grâce de Dieu nous avons réussi à rentrer en contact avec son fils, Afana Alexandre, qui nous a aidé avec beaucoup d'éléments, photos, vidéos, documents. Il nous a raconté des histoires et des anecdotes sur son papa. J'ai aussi des sources à la CRTV (Cameroon radio and television) qui m'ont donné des documentaires très intéressants sur Afana Dieudonné.
Tout ça m'a aidé à construire le personnage. Je ne vais pas mentir que j'ai regardé encore et encore ses sketchs. Cette fois-ci, j'avais un regard différent de celui de l'époque quand je découvrais ses œuvres. Parce qu'il faut reconnaître que je suis un grand fan de Jean Miché Kankan. J'adore le côté atemporel qu'il a. En 1990/94, il parlait des faits de société qu'on retrouve aujourd'hui, il était avant-gardiste. Je le trouve tellement présent dans le Cameroun d'aujourd'hui. À travers ses sketchs, il utilise la métaphore, il utilise la bouffonnerie mais il fait passer un message fort et important. Donc, j'ai dû regarder une fois de plus ses sketchs avec un œil plus critique, un œil qui cherche à déconstruire pour mieux reconstruire dans le film.

La famille de Kankan a-t-elle cherché à être impliquée dans la production du film ?

Son fils Afana Alexandre était très inquiet et très concerné par le film. Parce qu'au départ il pensait qu'on devait refaire les sketches de Jean Miché Kankan. Nous l'avons rassuré que c'est plutôt un film sur lui qu'on fait, et quand il a compris de quoi il s'agissait, il était très partant et très engagé. Il nous a vraiment soutenus.



Comment s'est fait le casting ? On voit des acteurs qui se sont déjà frottés au cinéma notamment dans des films comme Bendskins, Enterrés, Innocent(e)

Ça été un casse-tête pour trouver celui qui va interpréter le personnage d'Afana Dieudonné. Il fallait trouver le bon profil physique, mais surtout la voix aussi. Mais moi je n'ai pas cherché à singer Jean Miché Kankan. Le biopic c'est une représentation, ce n'est pas le copier-coller, c'est une œuvre d'esprit, une œuvre de création. On ne va pas prendre Jean Miché Kankan tel qu'il était exactement pour le mettre dans le film, sinon autant mieux les gens vont regarder le sketch. On a organisé des auditions, on a appelé Landry Nguetsa, Thierry Atangana, on est aussi entré en contact avec Valery Ndongo. Finalement, après les auditions et la disponibilité de tout un chacun, Landry s'est révélé être le candidat idéal.
Pour Kofane Assala qui incarne DG dans le film, déjà je ne suis pas à ma première collaboration avec lui. On a travaillé ensemble sur Into The Den et c'est un acteur que j'admire énormément, j'admire le travail technique, artistique…et le hasard a voulu qu'il puisse entrer dans le personnage de DG. Évidemment, il a fallu un travail sur le physique pour que le résultat soit satisfaisant. Pour le personnage de Mama Hélène, je n'ai rien à redire sur le jeu de Virginie Ehana. C'est une actrice qui, si j'ai dix films, elle peut se retrouver à jouer dans six ou huit. Par contre, Christian Aliguena qui joue Ndzana Basile dans le film n'était pas pressenti au départ. Nous avons approché Patrick Oyono, mais des problèmes de calendriers de tournages ont fait qu'on n'a pas pu s'entendre. Sinon, il y a un directeur de casting qui s'est chargé de l'ensemble des personnages.

Quel a été la durée du tournage et quels sont les principaux sites ?

Nous avons fait cinq semaines de tournage. Cinq semaines très compliquées parce que nous avons tourné en novembre et dans nos prévisions, nous savions qu'à cette période il n'y a plus de pluies mais avec les changements climatiques nous avons vécu le contraire. Ce qui a beaucoup perturbé notre travail, nous avons perdu des journées de tournage. Imaginez qu'on arrive à obtenir une seule journée de tournage dans un hôpital et qu'il pleuve pendant toute la journée, le désagrément est immense.
Il fallait jongler pour pouvoir tourner quelque chose et surtout rester fort pour tenir jusqu'à la fin. Nous avons tourné à Mbankomo (banlieue de Yaoundé), c'était le plus gros décor du film avec le maximum de scènes. Puis nous avons tourné au quartier Cité Verte à Yaoundé et au Centre Culturel Camerounais qui a été réaménagé pour représenter plusieurs décors.

Certains vous trouvent très jeune et pas suffisamment expérimenté pour assurer la direction d'un biopic d'une telle trame, vous sentez-vous suffisamment prêt à porter ce film ?

Déjà, je dirai que l'âge n'a jamais été un critère de réussite. Je pense qu'il faut que nous Camerounais dépassions cette manière de penser. Sankara n'était pas vieux mais il a transformé la Haute Volta, il a fait du Burkina Faso ce qu'il est aujourd'hui. Donc, si on s'arrête sur l'âge on va perdre de vue certaines choses importantes. Évidemment ce film je ne l'ai pas pris à la légère, pendant tout le processus de création du film j'avais énormément de stress.
D'abord, parce que c'est mon premier long métrage et ensuite un film sur Jean Miché Kankan ce n'est pas une tâche aisée. Je ne sais pas si j'ai été le candidat idéal, mais ce que je sais c'est que j'ai donné mon sang et mes tripes sur ce projet et que j'ai fait le maximum que j'aurai pu faire.



Vous avez deux courts métrages appréciés par le public et la critique, vous avez déjà gagné un prix, et là vous signez le biopic le plus attendu de l'histoire du cinéma au Cameroun, Est-ce que en ce moment vous vous dites : "J'ai le bon timing, je vis ce que j'avais prévu pour ma carrière" ?

Je trouve que Kankan a été un peu précipité. Certes, j'ai toujours eu pour ambition de faire des films pour honorer nos héros (par exemple j'ai un film que je développe depuis un moment sur Um Nyobè), mais ce n'était pas pour si tôt. Mais ce n'est pas mauvais, ça change juste mon calendrier.
J'ai un film que je prépare avec Rostand Wandja depuis deux ans déjà. Le titre c'est La coursière, c'est un drame social qui traite de la corruption. Une jeune mère célibataire se retrouve mêlée dans une affaire de transaction d'argent orchestrée par un haut-commissaire d'Etat qui veut faire disparaître une forte somme d'argent par le biais des transports clandestins, mais les choses ne se passent pas comme prévu. S'il plaît à Dieu, on pourra lancer le tournage en juillet 2023.
Peut-être qu'avec Kankan je vais gagner cette assurance que je cherche, en appréciant la perception des publics et que j'aurai plus confiance en moi pour m'attaquer à de gros calibres de notre histoire.

Là, nous avons un réalisateur et un producteur bien présents, qui va souvent représenter le film à des festivals notamment ?

Déjà, l'image d'un film ce sont les acteurs. Quand on parle d'un film ce sont les acteurs qu'on met en avant parce que ce sont eux que les gens regardent. Maintenant, il peut arriver qu'il y ait des festivals qui invitent les réalisateurs, mais je pense qu'à la base la personne qui représente un film, qui porte l'image du film, c'est l'acteur principal.

Comment a été la collaboration avec Claye Edou ?

Comme producteur, je n'aurai pas rêvé mieux. Parce que d'abord, il y a un truc qui est très fort c'est que Claye a une très bonne culture cinématographique ; on discute tout le temps, on a plein de références, on partage beaucoup de choses. Et il a compris mes exigences techniques sans les prendre pour des fantaisies. Parce que si tu as à faire à un producteur qui ne comprend pas certaines choses, tu peux te retrouver frustré parce qu'il y a des ressources dont toi tu as besoin et lui il va dire que parce qu'on est limité côté budget, on peut se passer de ça. Donc avec Claye on a formé une superbe équipe, et il est aussi quelqu'un avec plein de ressources, il nous a débloqué des situations plusieurs fois, par exemple pour l'acquisition des droits de musiques qu'on a utilisées dans le film.

Et à présent vous vous activez pour la première du film le 21 octobre au Cameroun…

Oui, on a ce gros challenge sur les épaules. Moi je suis quelqu'un qui s'efforce de bien faire. Si on organise une projection de mon film je dois m'assurer au moins à 99,9% que tout va être bien respecté, que les projections vont commencer à l'heure, que le film sera prêt et dans les bonnes conditions pour que les gens puissent vivre la meilleure expérience possible avec le film. Par respect pour moi, par respect pour les gens qui se déplacent pour regarder le film et par respect pour ceux qui ont donné de leur temps et énergie pour faire ce film, je me dois de restituer le film tel qu'il a été fait sans aucune imperfection technique.

On aura une avant-première le 13 octobre à Douala et une autre le 20 octobre à Yaoundé et le 21 octobre on commence avec les premières. On avait prévu de faire une avant-première le 12 octobre à Yaoundé, mais malheureusement la salle de Yaoundé, Canal Olympia, n'est pas très accessible à cette période et il n'y a pas un autre endroit dans la ville où on peut projeter le film dans de bonnes conditions. Il y a une salle de cinéma mais qui est hors de la ville, à Mbankomo, donc pas facile d'accès pour le public.

Vous avez été lauréat du concours "10 jours pour un film" organisé par l'institut Goethe Cameroun et les Ecrans Noirs, mais à cause du Covid-19, vous n'avez pas pu voyager pour votre stage en Allemagne…

Honnêtement, je pense que faire ce film au Cameroun c'est la meilleure des choses qui me soit arrivée. Parce que voyager en Allemagne et faire un film là-bas, oui il y a de l'expérience qu'on gagne, l'apprentissage et tout, mais côté technique, réalisation du projet ce n'est peut-être pas la meilleure option. Là-bas, tu as moins de temps, tu vas travailler avec des gens avec qui tu n'es peut-être pas à l'aise. Donc, le film que tu fais est plus comme un film d'école, de fin de formation. Alors qu'ici, avec quasiment le même budget, j'ai le temps, j'ai la ressource, j'ai l'énergie, c'est dans ce cadre que j'ai réalisé mon film Into The Den.

Vous êtes au début de votre carrière, jusqu'où comptez-vous aller dans le cinéma ?

Je n'ai pas de plan B dans ma vie. Pour moi, c'est uniquement le cinéma et je me donne les moyens, l'énergie et les armes pour y arriver. Ça n'a pas toujours été le cinéma dès la base. Depuis ma jeunesse je suis très renfermé, je lis beaucoup et à un moment dans ma vie je faisais des dessins.
C'est en classe de terminale que, parallèlement avec l'école, je commence à prendre des cours de montage avec Simon Samyong (Sammy), monteur à la CRTV que je considère aujourd'hui comme mon mentor. C'est lui qui a éveillé en moi cet amour pour le cinéma, il me motive. On passait des soirées à regarder les émissions "Hitchcock présente" et faire des analyses filmiques. Ce qui est drôle c'est que pendant tout mon cursus scolaire j'apprenais les sciences, c'est en terminale en allant m'enregistrer pour le Bac je choisis les matières littéraires, parce que là mon cerveau avait déjà été formaté au fait que comme je veux faire du cinéma, la littérature, l'histoire, le français et l'anglais vont plus m'aider.
Après le Bac, j'ai décidé d'aller à l'université m'inscrire en Arts du spectacle et cinéma. Là-bas, je rencontre Inception arts and com avec Thierry Léa Malle, on fait un bout de chemin ensemble et puis je commence à prendre mon envol, à creuser d'avantage de mon côté. En 2019, j'écris Western pour postuler à "10 jours pour un film" aux Ecrans Noirs. Je remporte le concours ; on va dire que c'est là où ma carrière a véritablement été lancée.

Propos recueillis par Pélagie Ng'onana

Films liés
Artistes liés
Structures liées
événements liés