Tanit de Bronze aux dernières Journées cinématographiques de Carthage, Sharaf ("Honneur", en arabe) du réalisateur égyptien Samir Nasr a été tourné entièrement en Tunisie avec une multitude d'acteurs tunisiens, égyptiens, algériens, syriens, palestiniens…Une première dans les annales du cinéma en matière de coproduction, pour le pays du Nil.
Car le nouveau cinéma égyptien voit autrement la production cinématographique, ce qui peut aboutir à des rendus positifs inattendus. Avec un regard à l'opposé du déjà vu, ce nouveau cinéma égyptien - représenté par sa nouvelle génération - sort, depuis quelques années déjà et totalement, des sentiers balisés de la narration et de la réalisation de papa et des histoires à l'eau de rose. Cela s'est traduit par Ichtibek (Clash) de Mohamed Diab qui avait ouvert la section "Un Certain Regard" au festival de Cannes en 2016 et remporté le Tanit d'Argent des JCC de la même année. Et toujours en 2016, est sorti Youm lissettet (Une jour pour les femmes), de la réalisatrice Kamla Abu Zekri, un film dédié aux femmes.
En 2021, le film Rish (Feathers / Plumes), d'Omar El Zohairy a pu remporter le Tanit d'Or aux JCC, même s'il avait quelque peu déçu les spectateurs tunisiens. Un film coup de poing à propos duquel la critique, le public et les artistes chez lui, sur les bords du Nil, étaient plutôt partagés. Beaucoup parmi eux avaient estimé que ce film portait préjudice à l'Egypte. Faut-il lire que cela n'allait pas avec son image officielle, de par la narration indirecte du film de la situation politique et sociale plutôt peu enviable dans ce pays ?
"Sharaf" est aussi le diminutif d'Achraf, le héros du film, accusé de meurtre et incarcéré, malgré le fait qu'il était en légitime défense contre un touriste qui avait l'intention d'intenter à sa pudeur et son honneur. C'est en quelque sorte une défense du "Sharaf" ("l'honneur" en langue française), sur lequel semble se baser l'histoire de cet opus. C'est une longue traversée du désert que vivra cet homme qui se retrouve dans un milieu dont il ignore ses tenants et ses aboutissants. Un milieu carcéral qui a ses propres codes et habitudes. Mieux encore, cette prison est le microcosme de la situation difficile et compliquée des sociétés dites arabes (elles sont aussi berbères).
Le réalisateur ne localise pas le lieu de son film, étant donné qu'il s'agit là de situations semblables qui pourraient s'adapter à plusieurs pays arabes. Pour cela, on retiendra qu'il a fait réunir dans son film plusieurs comédiens connus ou moins connus chez eux ou ailleurs. L'atmosphère à l'intérieur de la prison est semblable à la réalité sociale à l'extérieur, où celui qui paye le mieux et qui accepte d'être une taupe est épargné de la maltraitance et de l'humiliation. D'où l'existence de deux compartiments dans cette prison : le royal et le populaire.
Mais la scène qu'on retiendra le plus dans ce film est celle relative à la représentation d'une pièce de théâtre de marionnettes par les détenus où son metteur en scène sort du texte de la représentation qu'il avait faite auparavant devant les cadres de la prison. Une surprise de taille où s'affirment les déceptions des "peuples arabes" qui ont fait leur révolution pour changer leurs situations politiques et sociales précaires et qui n'ont pas cueilli le fruit de leurs sacrifices. Car les riches et les politiques sont devenus encore plus riches.
L'atmosphère du film est triste, terne et sinistre, à travers des images qui viennent raconter des situations invivables. La fin du film est basée sur l'idée de la continuité de la lutte des peuples arabes pour leur dignité à travers le symbolisme de l'intellectuel arabe en quête de jours meilleurs.
Lotfi BEN KHELIFA