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L'ACCORD, de Frank Thierry Léa Malle
Un bouquet de tares sociales
critique
rédigé par Pélagie Ng'onana
publié le 02/02/2023
Pélagie Ng'onana (Yaoundé), Rédactrice à Africiné Magazine
Pélagie Ng'onana (Yaoundé), Rédactrice à Africiné Magazine
Franck Thierry LÉA MALLE, réalisateur et producteur
Franck Thierry LÉA MALLE, réalisateur et producteur
Scène du film, avec Thérèse Ngono (Gertrude)
Scène du film, avec Thérèse Ngono (Gertrude)
Scène du film, avec Flora et Cédric
Scène du film, avec Flora et Cédric
Scène du film
Scène du film
Scène du film, avec Flora
Scène du film, avec Flora
Scène du film, avec Cédric
Scène du film, avec Cédric
Scène du film, avec la mère de Flora
Scène du film, avec la mère de Flora
Scène du film, avec le père de Flora
Scène du film, avec le père de Flora
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
L'actrice Vanessa AMBASSA (Flora)
L'actrice Vanessa AMBASSA (Flora)
L'acteur Jakin TOUWOLE (Cédric)
L'acteur Jakin TOUWOLE (Cédric)
L'actrice Thérèse NGONO (mère de Flora)
L'actrice Thérèse NGONO (mère de Flora)

Le 2ème long métrage du réalisateur et scénariste camerounais, sorti en 2022, produit par Inception art et Com convoque la conscience collective dans une société contemporaine en perte de repères.

Le film s'ouvre et se referme sur un tableau identique. Une famille démunie mais unie dans la détresse. La famille Mebwoua est le socle sur lequel s'est appuyé le jeune réalisateur pour faire asseoir ses valeurs qui englobent l'honneur, l'honnêteté, la loyauté… Cependant, faire entrer le spectateur dans le film par le couloir d'un hôpital, sous un éclairage plutôt gris, présage déjà un long parcours laborieux et tumultueux dont l'issue est très souvent inconnue ou hypothétique. Dans la première scène de ce drame de 81 minutes, les mines sont grises, les airs abattus, mais tout n'est peut-être pas perdu. L'Accord, deuxième long métrage de Thierry Léa Malle nous emmène, avec une belle mise en scène, pour une ballade qui offre des rencontres avec divers facteurs et figures socio-économiques contemporaines.



Flora Mebwoua (jouée par Vanessa Ambassa) en rôle principal, est une révélation pour son premier rôle au cinéma. Elle donne la réplique à Cédric Koum (porté par Jakin Touwole), unique gosse de famille nantie et nouveau bachelier comme elle. Les rapports ou alors l'accord (ou non) entretenu(s) entre ces deux familles que tout oppose, va tisser l'intrigue du film. Le casting et le montage aidant, c'est sans décrocher que le spectateur suit l'histoire qui n'a pourtant pas les allures d'un thriller. Le viol subi par Flora attire toute l'empathie et se présente comme l'accroche du film, en déjouant un tout petit peu le captage profond du film par le téléspectateur. Sinon le fait n'est pas traité à la légère. Sans s'y éterniser, le réalisateur souligne, grâce à une bonne direction d'acteurs, les ravages que peut causer cet acte odieux. Non seulement pour la victime mais aussi son entourage. Si l'acte en lui-même est traité avec doigté, en préservant les âmes d'une hyper sensibilité, son impact et son vécu par la victime ressortent toute la gravité liée à cette infamie. Le spectateur est touché. Blessé. Outré.

Un scénario, divers points de vue

Seulement, il ne devrait pas s'y engouffrer parce qu'au fond, L'Accord c'est un chassé-croisé de vices et de vertus ; de tares et de valeurs qui animent la société camerounaise contemporaine. Et pour les relater, l'auteur use de ces espèces de flash-back segmentés tout le long du film. Cette méthode de faire évoluer la narration en enchainant les actions avancées et antérieures, le réalisateur nous la propose d'abord dans son court métrage Angles, sorti en 2018 et d'une manière encore très expérimental dans Point de vue produit en 2016. Le spectateur se réfère soit aux horaires (Angles), soit aux dates (L'Accord).

Cet intérêt très marqué à vouloir comprendre, raconter une histoire sous divers points de vue se dessine, au fur et à mesure, comme le mode narratif préféré de l'auteur. Inspirée par certains auteurs, notamment Alexandre Dumas, la méthode qui n'est visiblement pas encore totalement maîtrisée et affinée par le réalisateur peut déranger. Ce procédé qui demande un surplus de concentration sur le film, a le risque de perdre le spectateur dont l'esprit balance entre ordonner les différentes dates qui avancent et reculent, et puis, suivre le cours cohérent de l'intrigue en même temps que l'évolution des personnages. Néanmoins, le film peut compter sur son esthétique qui propose un montage épuré, un scénario surprenant, délivré par des dialogues limpides, riches et précis qui se nourrissent amplement du lexique local. Le "bac des élections" pour qualifier un diplôme au rabais ; les "quartiers difficiles" pour nommer les secteurs malfamés…

Léa Malle se nourrit des expériences de sa patrie pour étaler des vices et fléaux qui peuvent s'avérer universels. Les préoccupations sociales constituent le fil d'Ariane de ses films qui se comptent déjà à quatre courts et deux longs. Plus encore avec L'Accord, le réalisateur se positionne en un équilibriste qui appelle à la conscience collective. Qui fustige autant les failles, les abus du gouvernement que l'insouciance et parfois la complaisance du citoyen.

L'idylle naissante entre Flora et Cédric est juste un prétexte, pour faire ressortir les désastres que peut occasionner la convoitise du pouvoir et l'appât du gain dans les cellules familiales et la société en générale. Amélia Koum est une carriériste redoutable. Génitrice de Cédric, mariée, selon un accord, à Patrick Manga, elle est en pleine campagne pour sa candidature aux élections municipales. Son foyer délaissé en pâtit. "L'argent résout tout", soutient-elle avec assurance. Face à sa condescendance notoire, se dresse le mur d'honneur et d'intégrité du chef du clan Mebwoua. Ce patronyme qui signifie "pauvreté" dans l'une des langues maternelles pratiquées au Cameroun, n'est visiblement pas un choix anodin.

Casting et décors gagnants

Les décors soigneusement repérés permettent au spectateur de reconnaitre cette résidence huppée d'un quartier chic de la capitale dont les gros plans dévoilent une aisance insolente. La plupart des plans montrant les Koum dans leur demeure sont instables. Un mouvement désordonné de la caméra voulu par le réalisateur, pour traduire les tensions et le mal être qui règnent au sein de la famille. C'est en plan plongée que la caméra nous introduit à Ntaba Babylon. Ce quartier marécageux où Flora et sa famille, menacée d'expulsion, sont contraints de vivre.

Le choix esthétique est justifié par ces personnes qui survivent en subissant le poids d'une société, qui, au lieu de favoriser un meilleur avenir à la jeunesse, trace plutôt des lendemains incertains. Le film évolue particulièrement en gros plans fixes. Chez les Mebwoua le fardeau de la précarité ne permet pas véritablement une avancée. Le chef de famille attend, depuis des lustres, un argent hypothétique issu du licenciement abusif dont il a fait l'objet. Chauffeur de taxi quand la chance lui sourit, il essaye tout de même de garder son honneur et sa dignité malgré deux fils au chômage, une femme faisant dans le petit commerce et une unique bachelière qui porte finalement sur ses frêles épaules le destin de toute la famille. Les plans fixes mettant en scène la famille nantie, peuvent traduire un état de ce que rien n'évolue fondamentalement si la morale, l'éthique, l'humanisme sont corrompus, bien qu'on soit dans l'opulence.

L'autre ticket d'or de L'Accord c'est des acteurs principaux (néophytes ou non) doués. Avec en tête, un trio de femmes à suivre de très près. Reine Mpouadina qui campe avec admiration le rôle d'Amélia Koum, jeune femme moderne, épouse et mère obsédée par sa carrière. Le jeu est rendu avec adresse, tout comme celui de Thérèse Ngono, interprète de Gertrude, la mère de famille Mebwoua qui fait corps avec son personnage. On y retrouve avec bonheur toute la délicatesse, la générosité, la franchise et la spontanéité de ces mamans africaines, rompues à la tâche et mamelles nourricières de leurs familles. Sachant manier le bâton et la carotte, Gertrude Mebwoua n'hésite pas à associer sa langue maternelle au français pour exprimer ses désarrois !
À côté d'elle, celle qui fait l'affiche du film, Vanessa Ambassa, nous renvoie cette jeune fille studieuse, consciencieuse, timide mais pleine d'ambitions. Son interprétation est naturelle et innocente. Pas étonnant de l'entendre confier que la situation sociale de son personnage est quasi pareille à la sienne. Comme dans son quotidien hors écran, celle qui a joué dans quelques web-séries, a tout donné pour épouser son rôle. En face d'elle, le jeune Jakin Touwole campe avec assurance ce lycéen en manque d'affection qui finit par découvrir l'amour. Son jeu dit qu'il en a des choses à prouver.

Pélagie Ng'onana

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