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El Akhira / La Dernière Reine
Intrigues dans l'Histoire de l'Algérie
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 17/04/2023
Michel Amarger, Rédacteur (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE
Michel Amarger, Rédacteur (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE
Adila BENDIMERAD et Damien OUNOURI, co-réalisateurs et co-scénaristes algériens
Adila BENDIMERAD et Damien OUNOURI, co-réalisateurs et co-scénaristes algériens
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
L'équipe du film à la Première Mondiale (Festival de Venise 2022)
L'équipe du film à la Première Mondiale (Festival de Venise 2022)
Une partie de l'équipe du film à la Première Arabe (Festival Red Sea 2022, Arabie Saoudite)
Une partie de l'équipe du film à la Première Arabe (Festival Red Sea 2022, Arabie Saoudite)

LM Fiction de Damien Ounouri et Adila Bendimerad, Algérie / France, 2022
Sortie France : 19 avril 2023

Le cinéma algérien s'est rarement aventuré dans les périodes précoloniales où fourmillent pourtant des figures épiques de l'Histoire de son territoire. Plus habitués, et encouragés, à célébrer les héros de la conquête de l'indépendance, les réalisateurs ont délaissé la période de la Renaissance où émergent des leaders forts et des femmes décidées. Damien Ounouri et Adila Bendimerad se sont alliés pour évoquer le XVIème siècle à Alger avec El Akhira / La dernière Reine, 2022.



Damien Ounouri, né en France de père algérien, y étudie avant de s'orienter vers le documentaire puis un moyen-métrage de fiction, Kindil El Bahr, promu à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes 2016. Animateur d'ateliers de cinéma, il travaille aussi à Alger où évolue Adila Bendimerad. Actrice au théâtre puis au cinéma notamment chez Merzak Allouache pour Normal, 2011, Le Repenti, 2012, elle fonde la société Taj Intaj qui monte Les Jours d'Avant de Karim Moussaoui, 2013, Kindil El Bahr de Damien Ounouri avec qui elle écrit La Dernière Reine, une coproduction avec la France et le concours de l'Arabie Saoudite, du Qatar, Taïwan.

Le récit est situé à Alger, en 1516. C'est une république arabo-berbère, étouffée par les Espagnols qui occupent le port depuis six ans. Le roi, Salim Toumi, s'allie au corsaire Aroudj Barberousse qui a triomphé à Bejaia, pour libérer la ville. Les notables d'Alger se méfient de Barberousse et de ses corsaires un peu rustres. Le roi pense profiter de la paix pour s'occuper davantage de sa deuxième épouse, Zaphira. Il recueille leur fils dans son palais, avant qu'on le retrouve assassiné dans son bain.
Barberousse qui convoitait la région et Zaphira, doit contenir la résistance de cette dernière, aiguillonnée par la première épouse du roi, Chegga, qui tente de mobiliser une armée. Barberousse et Zaphira doivent se marier pour sceller la paix. Mais la reine, désavouée par sa famille, est rebelle et a soif de vengeance. Elle complote, s'affirme pour défier Barberousse à sa manière.



En découvrant l'évocation de cette héroïne ancienne dans un livre, qui la mentionne sans la nommer, Adila Bendimerad ne se soucie pas de savoir si c'est une réalité ou une légende, elle la considère comme une personnalité présente dans l'imaginaire des Algériens. La Dernière Reine dont elle s'attribue le rôle titre, est développé avec Damien Ounouri pour se réapproprier les images d'un passé occulté et valoriser le rôle des femmes qui donnent la vie, éduquent, travaillent et irriguent de manière souvent souterraine la sphère publique algérienne. Zaphira, rejetée par les siens, se bat sans légitimité politique pour fédérer les notables contre Barberousse. Chegga, la première épouse du roi défunt, est une politicienne stratège.
Aux côtés de Barberousse, Astrid, la Scandinave, est sa compagne de combats, intrépide, lucide sur son attirance envers Zaphira. "Les femmes n'avaient d'autre choix que d'être braves", déclarent les cinéastes en les regardant évoluer face à deux hommes qui s'opposent : Selim, roi cultivé qui œuvre pour la paix, Barberousse, corsaire brutal et séducteur réfléchi. Les rencontres, les complots, les assauts sont ponctués par les rites algériens en vigueur à l'époque. La courtoisie enrobe les intrigues de cour tandis que l'Histoire et la présence du peuple restent en marge. La fable a des accents de tragédie shakespearienne, recentrée sur des liens de sang et de pouvoir, installés au XVIème siècle. "On ne voulait pas faire un film à message", admettent les cinéastes.



La Dernière Reine se déploie alors comme un spectacle avec des scènes de batailles rudes, tournées à 500 kms d'Alger, au bord de mer où sont fichés de gros rochers. Les corsaires taillent les Espagnols avec violence, éclaboussés du sang qui gicle, des épées qui tranchent même le bras de Barberousse. Ces séquences où les guerriers ressemblent à des demi-dieux antiques, contrastent avec les intérieurs des palais royaux, somptueusement décorés, qui ont dû être reconstitués et filmés dans plusieurs lieux pour braver les destructions successives d'Alger.
La direction artistique pour recréer l'époque, est supervisée par Feriel Guesmi Issiakhem, architecte et designer, tandis que Zaphira et Barberousse qui se rencontrent assez tard dans le film, sont présentés par petites touches qui les rapprochent dans l'ambivalence de leur attirance et de leur haine. Les vêtements précieux qui les habillent comme leur entourage, sont inspirés par des textes de Leyla Belkaïd, anthropologue spécialiste des costumes algériens, et l'intervention du designer franco-algérien, Jean Marc Mireté. Ils valorisent la prestance des protagonistes dont Adila Bendimerad en reine majestueuse, Dali Benssalah qui est Barberousse après s'être formé en France où il est né, et a joué pour des projets divers dont ceux de Louis Garrel ou le dernier James Bond. Avec eux, Tahar Zaoui, le roi, Imen Noel, Chegga, Nadia Tereskiewicz, la Scandinave, composent une troupe cosmopolite et convaincante.



La Dernière Reine plonge ainsi dans une époque où les cultures et les langues se mêlent à Alger. On entend plus de sept langues dans le film dont l'arabe, le berbère, le corse, le finlandais… Le tournage, suspendu par la pandémie de Covid après deux jours, s'est interrompu un an avant de reprendre sous la direction du chef opérateur Shaadi Chaaban, né au Liban, qui joue avec brio sur le contraste entre les murs blancs d'Alger, la clarté des plages, et la noirceur des intrigues de palais. La musique de Evgueni et Sacha Galperine contribue au souffle de l'épopée. La Dernière Reine vise ainsi à revigorer le cinéma algérien en valorisant le passé, ses cultures anciennes et l'action des femmes.



"Le récit romanesque et baroque est raconté d'un point de vue féminin et tente de saisir cette parole effacée, pour explorer l'Histoire autrement", déclarent Damien Ounouri et Adila Bendimerad, avides de "prendre le large, partir loin dans le temps, dans une Alger métissée, ambitieuse, aventurière, pour revenir et secouer l'Algérie contemporaine, lui rafraîchir la mémoire, fouetter son désir et son imaginaire." L'élégance de la technique, le rythme mesuré du récit, découpé en actes, servent pourtant un film à la rigueur classique, assez théâtral, où la vie et le peuple algérien restent hors-champ. Le défi de La Dernière Reine est alors de toucher les spectateurs algériens dans un pays où l'accès aux salles est limité, et la conscience de l'Histoire enfouie sous les conquêtes de l'indépendance, récupérées par le système étatique.

Vu par Michel AMARGER (Afrimages / Médias France), pour Africiné Magazine

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