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LA DERNIÈRE REINE - EL AKHIRA de Adila Bendimerad et Damien Ounouri
Tragique désir insurrectionnel
critique
rédigé par Nadia Meflah
publié le 17/04/2023
Nadia Meflah, Rédactrice (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE
Nadia Meflah, Rédactrice (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE
Adila BENDIMERAD et Damien OUNOURI, Réalisateurs et Scénaristes algériens
Adila BENDIMERAD et Damien OUNOURI, Réalisateurs et Scénaristes algériens
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
Scène du film LA DERNIÈRE REINE
L'équipe du film à la Première Mondiale (Festival de Venise 2022)
L'équipe du film à la Première Mondiale (Festival de Venise 2022)
Une partie de l'équipe du film à la Première Arabe (Festival Red Sea 2022, Arabie Saoudite)
Une partie de l'équipe du film à la Première Arabe (Festival Red Sea 2022, Arabie Saoudite)

Rarement un film algérien aura autant embrassé les nœuds de l'histoire, tant intime que politique, au cœur d'une fresque majestueuse où la douleur relève de la beauté.

D'une ampleur romanesque inouïe, où l'éclat du classicisme côtoie, parfois dans la même scène, le même plan, la modernité la plus aiguisée, La Dernière Reine de Adila Bendimerad et Damien Ounouri est surtout une œuvre en résonance profonde avec ce qui se joue actuellement en Algérie, mais aussi pour tout un chacun, travaillé par la question de l'engagement.



Dès les premiers plans, le film nous capte dans son écrin de beauté de désirs inavoués et de fureurs historiques. Une histoire nous est racontée par une femme d'une singulière prestance. Il s'agit de la reine Zephira, seconde épouse du roi Salim, qui envoûte son auditoire par une légende. Une cuillière de neige parfumée de bouton de rose sucrée à la main, elle le croque avec suffisamment de sensualité malicieuse pour que l'on saisisse d'emblée tout l'enjeu du film : la réappropriation, même inventée, de l'Histoire par une femme qui ne craint ni le froid ni les passions.
Interprétée par Adila Bendimerad, à la fois actrice, scénariste et co-réalisatrice du film auprès de Damien Ounouri, elle impose, aux machinations politiques des hommes, la toute puissance de la narration.



Nous sommes à Alger en 1512, et le pirate Aroudj Barberousse (interprété par l'extraordinaire acteur magnétique Dali Benssalah) libère Alger de la tyrannie des Espagnols. Accompagnée de sa piratesse scandinave Astrid (formidable Nadia Tereszkiewics) il prend le pouvoir sur le royaume, tout en faisant assassiner le roi Salim (l'acteur Tahar Zaoui, tout en nuances). Toute alliance appelle la trahison et, à partir de cet acte, une rébellion s'organise, menée par les deux épouses du roi : Chegga (par la talentueuse Imen Noel) et la plus jeune, Zephira. Si l'une est politicienne et d'un redoutable sens politique, l'autre est tenaillée par ses pulsions.

Les récits ont de tous temps été racontés du côté des vainqueurs. L'histoire de l'Algérie est toujours prise au piège d'une triple mystification : l'imposition du récit nationaliste des héros de la guerre d'indépendance (avec la permanence de l'évacuation des femmes, oubliées, pourtant fondatrices du mouvement de libération) une hypermédiatisation du temps colonial français et une amnésie profonde de l'Algérie avant 1832…
Or, la formidable puissance politique du film, où l'Éros est noué à Thanatos, est justement d'occuper, au sens quasi guerrier et amoureux (c'est la dialectique que le film distille de bout en bout) les blancs de l'histoire. La béance des traces, comme des imaginaires, est propice au vol et à la dépossession par celles et ceux qui vont délirer les Suds, un boulevard largement ouvert à l'Orientalisme avec les méfaits qui hélas perdurent encore.



Il faut saluer ici l'extraordinaire travail de création et de reconstitution de la directrice artistique Feriel Gasmi Issiakhem, avec ce que cela suppose de poésie et d'invention, tant des décors que des costumes, mais aussi des nombreuses langues parlées et chantées que le film charrie dans un kaléidoscope revigorant. L'enjeu du récit est politique surtout lorsqu'il s'agit de fiction ayant trait au territoire. Avec aussi, têtu de de la part de ce binôme masculin féminin que sont les deux cinéastes (le genre est mixte et mêlé chez l'une comme chez l'un..), l'affirmation des réalités du pays qu'est l'Algérie, une mosaïque chaotique où tout semble se jouer pour la dernière fois.

En cinq actes, notre héroïne Zephira passera par différentes étapes. Elle ne doit surtout pas tomber sous les coups qu'elle ne cesse de recevoir, autant ceux de la fatalité que ceux de sa lignée. Héroïne shakespearienne avant l'heure, elle chemine à travers un destin tragique, cernée par les hommes, où rien ne semble aller de soi, si ce n'est l'affrontement des lois et des désirs antagonistes.
Adila Bendimerad, avec son personnage Zephira, concentre dans son jeu, comme dans les images convoquées dans le film, nombres de figures féminines sacrificielles, de Jeanne D'Arc à Djamila Bouhired, qui, par leur intransigeant engagement, ont accédé au rang de mythe libérateur.



Film de combat, autant sur les plaines et les plages que dans les chambres et alcôves, les cinéastes allient les oppositions et confrontations, afin de faire jaillir ce qui peut advenir mais ne sera jamais véritablement réalisable. Ce tiers recherché, cette suture des désirs comme de l'histoire, toujours manquante, à rattraper à chaque plan, à chaque élan des corps qui se frottent, cognent, enlacent, comme des cœurs. Voilà ce qui étreint, épuise, alarme et foudroie, tant tout s'emporte et explose dans les plis d'une douleur, lancinante de beauté.

Tenir debout alors que tout est aspiré, avalé, englouti, meurtri, décapité, mais tenir debout jusqu'au final. Et puis… Que l'insurrection palpite !

Nadia MEFLAH

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