AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
25 019 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
LES FILLES D'OLFA, de Kaouther ben Hania. Notes pour un film à venir
critique
rédigé par Hassouna Mansouri
publié le 23/05/2023
Hassouna MANSOURI, Rédacteur à AFRICINÉ MAGAZINE, Envoyé spécial à Cannes 2023
Hassouna MANSOURI, Rédacteur à AFRICINÉ MAGAZINE, Envoyé spécial à Cannes 2023
Kaouther BEN HANIA, réalisatrice et scénariste tunisienne
Kaouther BEN HANIA, réalisatrice et scénariste tunisienne
Scène du film LES FILLES D'OLFA
Scène du film LES FILLES D'OLFA
Scène du film LES FILLES D'OLFA
Scène du film LES FILLES D'OLFA
Scène du film LES FILLES D'OLFA
Scène du film LES FILLES D'OLFA
Scène du film LES FILLES D'OLFA
Scène du film LES FILLES D'OLFA

La présence du nouveau film de Kaouther Ben Hania en compétition officielle de la 76ème édition du festival de Cannes (16-27 mai 2023) est un moment important dans l'histoire du cinéma tunisien. Cinquante ans séparent cet événement de la première participation tunisienne à la compétition cinématographique la plus prisée au monde. Chacun des films de Ben Hania est passé par la Croisette. Ce qui fait de la réalisatrice tunisienne une habituée des différentes sections cannoises. Les Filles d'Olfa la propulse encore plus haut, vers la section la plus importante du festival.

Que Kaouther Ben Hania ait un intérêt particulier au travail sur la réalité sociale comme matériau cinématographique cru, et dans sa dimension documentaire, cela n'est pas nouveau. Toutes ses oeuvres ont comme point de départ des faits divers. Cela témoigne d'une volonté affichée d'être à l'écoute de la société. Les Filles d'Olfa est un film qui n'échappe pas à cette règle.
Il interroge un phénomène qui est apparu, en particulier, avec la révolution de janvier 2011, celui des jeunes filles/femmes qui rejoignent les djihadistes dans les territoires de conflits armés. Après avoir subi un lavage de cerveau, elles finissent par croire en une guerre sacrée et du rôle qu'elles doivent y jouer en servant d'esclave sexuels aux djihadistes en Syrie et en Lybie. C'est le cas des deux filles ainées d'Olfa qui ont marqué l'actualité en Tunisie autour des années 2013 et 2015.



Dans le nouveau film de Ben Hania, il y a deux niveaux de réflexion. D'une part Kaouther ben Hania interroge les faits en cherchant à les analyser en remontant aux sources, c'est-à-dire à l'enfance de la mer. Ceci lui permet d'aborder la question de la femme dans les quartiers populaires qui subissent le poids du patriarcat. Ensuite, elle décrit la manière dont deux filles, à l'instar de beaucoup de jeunes tunisiens.ennes se sont sentis perdus les premières années de la révolution.
Dans la perte de tous points de repères, les deux filles ainées d'Olfa sont passées rapidement d'un groupe de jeunes anticonformistes désignés par les "adeptes du diable" à une brigade de djihadistes. La rencontre que fait Rahma, la fille ainée, avec un prédicateur venu au quartier pour jeter son filet démoniaque, l'engage sur une voie complètement contraire à celle qu'elle avait empruntée au début de son adolescence. Résultat, après avoir rejoint l'émir de Misrata en Libye et après avoir entrainé sa soeur avec elle, elle se retrouve condamnée à seize années de prison par la justice libyenne.

Pour traiter cette matière, Ben Hania, met en place un dispositif de mise en scène qui rompt avec le style qu'elle avait adopté dans ses films précédents. Il y a bien une matière documentaire comme des séquences d'émissions de télévision ou des interviews d'Olfa et ses deux filles cadettes. Ces interviews ne sont pas menés par la réalisatrice mais par l'intermédiaire de l'actrice Hend Sabri et l'acteur Majd Mastoura. A côté de cela, d'autres séquences sont de nature hybride, puisqu'elles sont jouées par les acteurs et interrompues pour laisser de la place à des commentaires de la part d'Olfa ou de la part de ses filles.

Kaouther Ben Hania est dans une démarche comparable à celle de Pier Paolo Pasolini dans la série de films expérimentaux qu'il concevait comme des carnets de notes pour des films à faire, à l'instar de celui Carnet de notes pour une Orestie africaine ou bien d'un autre film sur la Palestine (Médée, 1969, NDLR).



Au lieu d'un film, qu'il soit un documentaire ou une fiction, qui reconstituerait les faits, la Tunisienne propose un film dans lequel elle s'interroge sur la manière dont elle, en tant que cinéaste, traite la réalité. Hind Sabri et Majd Mastoura sont des acteurs qui portent ces interrogations en discutant avec Olfa et ses filles sur les détails de ce qu'elles ont vécu.

Ainsi le film pourrait paraitre, plutôt qu'une oeuvre aboutie, une sorte de brouillon pour un film à venir. En fait le spectateur se sent un peu perdu, à force de vouloir chercher le propos de la cinéaste tunisienne. Celui-ci serait, au-delà du sujet traité, une réflexion sur le mécanisme par lequel le cinéma transforme les faits en une matière cinématographique. Avec Les Filles d'Olfa, Ben Hania nous laisse en suspens, au milieu de sa propre trajectoire, quelque part entre le sujet qui l'a inspirée et un film qu'elle aurait pu/voulu réaliser.

Par notre envoyé spécial à Cannes,
Hassouna MANSOURI

Films liés
Artistes liés
Structures liées
événements liés