Doté d'un 3ème œil (sa caméra), Raouf Sebbahi est un homme qui ne jure que par le 7ème art. Il est passé par toutes les étapes de la fabrication d'un film. On le trouve acteur dans le film Aicha, 2020), producteur dans The unique girl, 2022, co-scénariste dans Le clair obscur, 2016. Il a finalement atterri sous la casquette de réalisateur, avec Le pistolet (2013), Hayat (2017) et L'oasis des eaux gelées - The Oasis of Frozen Waters (2023), à son actif.
Après avoir appris l'ABC du cinéma et une riche expérience à la société nationale de radio et télévision marocaine (SRNT), ce jeune réalisateur ne quitte plus cette casquette-là. Son but est de créer des œuvres qui répondent à ses attentes de faiseur d'images. Le nombre de prix qu'il a raflés dans les festivals auxquels il a participé sont devenus une motivation pour en faire plus. Les derniers en question sont le Prix Paulin Vieyra de la critique africaine (FACC, Dakar) et le Grand prix du jury à la 23ème édition du Festival du cinéma africain de Khouribga. Il a également remporté le Prix du meilleur réalisateur au Maghreb Film Festival de Haarlem aux Pays Bas.
Avec sa dernière oeuvre, L'Oasis des eaux gelées, Raouf Sebbahi a inauguré une nouvelle étape dans sa carrière de réalisateur. Il étale une tactique pour fuir le style télévisuel qu'il a adopté dans ses précédents œuvres (longs et courts métrages, documentaires, séries ….).
Le rôle principal (Kader) est campé par Ahmed Hammoud, jeune acteur marocain né au Koweït. Il a connu la lumière des caméras dans la publicité puis il est passé au cinéma où il a joué des petits rôles ensuite, il s'en est suivi une participation dans des productions étrangères, dont une brève apparition dans un film américain 13 hours, en 2016, signé par Michael Bay. On le retrouve dans Mimosas, la voie de l'Atlas (2016), Zanka Contact (2020), Des hommes (2020)…..
Ici, sa partenaire dans le film est Nisrin Erradi qui s'est mise dans la peau de Fadela, sa jeune épouse, docteure en médecine, folle amoureuse de son mari qui exerce dans le même établissement. L'interprétation de l'héroïne (Nisrin Radi) contribue à la réussite du film. Dorénavant, cette actrice enchaîne des rôles complexes cousus à sa taille qu'elle a interprétés avec succès. Le personnage d'une femme handicapée dans le film Poissons rouges (réalisé par Abdeslam Kelai) est un exemple de son talent.
Le film soulève un thème à caractère social, un sujet qui traite les souffrances des femmes. Cela concerne la froideur dans une relation conjugale. Dans ce cadre professionnel, la nervosité se mêle à l'agressivité qui traduit le fond des sentiments d'amour que ressent Fadela. Elle se retrouve à fumer d'une manière excessive et puis sombrer dans l'alcool.
Le réalisateur adopte un style et une écriture filmique fort. L'abstinence ici traduit le comportement trouble au sein d'un couple instruit. Malgré leur statut, la maladie de l'époux ne les épargne pas. Le film retisse le calvaire d'une femme voulant récupérer son mari par tous les moyens. La présence d'un petit bambin, fruit de leur amour, sera-t-il assez forte face à la perspective du piège d'une séparation douloureuse ? Pour avoir la réponse, allez voir L'Oasis des eaux gelées.
Raouf Sebbahi cherche à se démarquer par un style propre à lui. Avec ce film, il a réussi son pari qui lui a valu les deux prix fort mérités obtenus à la 23ème édition du festival du cinéma africain qui s'est tenu à Khouribga du 6 au 13 Mai 2023.
Le jeune réalisateur ambitieux a géré son histoire en plaçant les événements dans des lieux singuliers. Certaines scènes sont des clins d'œil à de grandes œuvres signées par des géants de l'industrie du cinéma international. Par exemple, le couloir de leur maison meublée modestement, les brèves apparitions de l'enfant. Le scénario de Sebbahi traduit combien la chaleur de l'intimité du couple est gelée. La maison vide d'une vie cinétique n'est plus une réelle oasis, avec un toubib qui oublie son devoir conjugal (à cause de la maladie) et se réfugie dans le monde du soufisme. C'est traduit par la pratique de la danse des derviches tourneurs qui cherchent dans cette pratique la perfection spirituelle. C'est une danse très connue en Egypte et en Syrie. On se retrouve donc au milieu d'un atmosphère sinistre qui rend la relation très électrique révélant une réelle situation qui dit nous "rien ne va plus".
Le réalisateur réussit à saisir l'ampleur d'une vie brisée et portraiture avec délicatesse un partenaire essayant de sauver son couple, par tous les moyens au détriment de son être. Raouf Sebbahi est crédible dans son traitement des sentiments d'une personne plongée dans les profondeurs d'un couple. On ressent visiblement la rupture avec son ancienne méthode de travail à la télévision. Cette étape dans le parcours du réalisateur est comme un saut quantique qui l'aide à pouvoir entamer un nouveau moyen d'exploiter ses outils de travail et ses connaissances dans la fabrication d'une œuvre avec ses convictions.
À la base, le cinéma dépend avant tout de l'image, le dialogue est plus qu'un complément, c'est un composant très important. Dans le cas de L'oasis des eaux gelées, le dialogue laisse la place à l'image qui parle d'elle-même. Ici, le réalisateur s'appuie sur trois éléments essentiels pour construire la structure de son œuvre : l'actrice, son mari et leur foyer. Tout est réduit mais consistant, pour dire l'essentiel de l'histoire. Le message passe d'une manière artistique, sans agressivité.
par Amina BARAKAT
