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Entretien avec Aïssa Diaby, à propos de DOULEUR SILENCIEUSE
"Un silence qu'on impose sous la pression familiale"
critique
rédigé par Sitapha Badji
publié le 24/07/2023
Aïssa DIABY, réalisatrice française et guinéenne (Prix du scénario et de la mise en scène, au festival Dakar Court 2022)
Aïssa DIABY, réalisatrice française et guinéenne (Prix du scénario et de la mise en scène, au festival Dakar Court 2022)
Sitapha BADJI, Rédacteur (Dakar) à AFRICINÉ MAGAZINE
Sitapha BADJI, Rédacteur (Dakar) à AFRICINÉ MAGAZINE
L'actrice principale Élisabeth MBAKI (Amy)
L'actrice principale Élisabeth MBAKI (Amy)
L'actrice Mata Gabin (Fatima, la maman)
L'actrice Mata Gabin (Fatima, la maman)
Aïssa DIABY, réalisatrice française et guinéenne
Aïssa DIABY, réalisatrice française et guinéenne

Aïssa Diaby poursuit la vulgarisation de son premier court-métrage, Douleur silencieuse, qui était en compétition officielle au festival Dakar Court 2022. La Franco-Guinéenne lève ainsi le voile sur les violences sexuelles intra-familiales. Très engagée pour la cause féminine, la scénariste éclaire dans cet entretien sa vision de la nouvelle Afrique et les enjeux de la femme dans une société inégalitaire.

Votre film est inspiré de faits réels. A quel moment vous avez senti la nécessité de traduite ces faits en image ?
Je me suis rendue compte que c'était tabou. Les gens n'osaient pas en parler, parce que ça dérangeait. C'était caché sous le silence. Dès qu'on commence à parler des violences intrafamiliales, il y a une crispation, surtout dans nos cultures africaines. Je sais qu'on ne parle pas de la sexualité féminine. Justement, je voulais lever le tabou. C'est vraiment ce qui m'a inspiré.
J'ai assisté à des groupes de paroles et des femmes de 40-50 ans m'ont raconté des faits qui se sont déroulés quand elles avaient 16-17 ans. Elles n'ont jamais osé raconter cela à leurs parents. C'est vraiment un silence qu'on s'impose sous la pression familiale. Je me suis dit qu'il fallait absolument que je raconte ces histoires-là en fiction.

J'ai également ma cousine qui a été touchée par les violences. Elle avait 12 ans. Nous les jeunes qui avons la vingtaine, on a dit qu'il fallait porter l'affaire en justice. Contre toute attente, plus rien, ma tante a étouffé l'affaire en disant qu'il n'a rien fait à ma fille, il n'a rien cassé chez elle. Ça m'a beaucoup choquée, parce que me suis dit que la petite avait eu le courage de parler et on est tous montés au créneau tandis que sa mère étouffait l'affaire par peur de la pression familiale. On préfère laisser la petite souffrir...
Tu te tais et tu ne parles pas de cette douleur parce que ça peut nous porter préjudice... Justement ! Il faut en parler pour que les victimes ne soient plus invisibles. Moi-même je suis maman de deux petites filles et je pense que je suis beaucoup plus sensible à ces questions-là qu'auparavant.

J'ai fait ce film dans une cellule familiale d'origine ouest-africaine mais c'est un sujet universel. On doit en parler sur la place publique, libérer la parole, en débattre, c'était ça mon objectif.

Quelle a été l'ambiance sur le plateau ?
Ma cheffe opératrice [Lilia Mercklé-Détrez, NDLR] me disait souvent que quand on fait des films où on parle de sujets lourds et graves, l'ambiance est plutôt décontractée ! Le moment très tendu, c'était la confrontation avec l'oncle sur le balcon, là on sentait une grosse tension mais sinon pour tout le reste l'ambiance était très cool. Je voulais qu'il y ait une vraie tension et qu'on sente sa peur, que les gens soient dans la tête d'Amy. Qu'est ce qu'on ressent quand on doit se taire alors qu'à l'intérieur de nous on meure ?



Où était la difficulté pour la réalisation de ce film ?
Au niveau de la réalisation, il n'y a pas beaucoup de paroles, je voulais que tout soit dans l'émotion. Du coup, ça a été très dur de trouver mon actrice principale. Jusqu'à la dernière minute j'ai cherché et quand je l'ai vue, j'ai dit c'est elle ! C'est super important de trouver les bonnes personnes qui vont interpréter les rôles. Au final, dans le film, c'est l'histoire que ces acteurs incarnent qui reste.

Comment vous y êtes-vous prise pour tourner dans cet espace réduit ?
C'est de l'organisation. J'avais une assistante réalisation qui était vraiment très carrée. Au niveau de la lumière, ils étaient géniaux. Il y avait une chose qui était importante pour moi à la réalisation, ce sont les peaux noires filmées à l'écran. Je trouve que dans le cinéma notamment tourné en France, les peaux noires ressortent grises, les couleurs ne sont pas aussi belles. C'est aussi politique.

Le film a été produit par "Le Collectif Tribudom" engagé sur les questions sociales. Pourquoi est-il important pour vous de mettre en avant ces jeunes issus de la diversité ?
Le Collectif Tribudom est une association qui a pour objectif de former des personnes autodidactes issues de la diversité. Je fais partie du conseil d'administration de La Société des Réalisateurs et Réalisatrices de Films (SRF), une association qui organise la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. J'ai réussi à être élue dans cette instance justement parce que j'ai dit que le cinéma français est très fermé. Quand on va au cinéma, on voit très peu de Noir-e-s dans les films qui ne soient pas femme de ménage, prostituée, vigile… On en a marre d'avoir des rôles misérabilistes.
Je ne comprends pas qu'on ne puisse pas voir une femme qui a un rôle normal et qui n'a pas un problème lié à l'immigration, à la drogue. On veut changer de narration et en France je me bats vraiment pour ça. Aujourd'hui, la France est un pays métissé qu'ils le veuillent ou non. On ne vous a pas demandé de venir nous coloniser donc ne soyez pas étonnés qu'on vienne chez vous. Nos enfants ont besoin de s'identifier à des personnages et c'est important de changer les représentations.

Vous avez réalisé une série documentaire Welcome to Conakry. Quel est votre lien avec votre pays d'origine ?
Je suis née et ai grandi à Paris mais mes parents m'ont amenée en Guinée à l'âge de un an. J'y suis restée trois ans et j'y suis retournée à l'âge de 17 ans pour les vacances pendant la période Ebola. Je voulais changer l'image de la Guinée qui était réduite à Ebola. J'ai pris ma caméra avec un ami, on a fait un micro-trottoir en disant aux gens dans la rue de dire "Welcome to Conakry", j'ai posté ça sur les réseaux sociaux et ça a super bien marché. Il y a beaucoup de choses qui ont découlé de ça.

J'ai été appelée par le ministère de la Culture. J'ai été invitée à Los Angeles pour fêter la nomination de Conakry comme capitale mondiale du livre par l'UNESCO. Je bougeais beaucoup en Afrique quand j'étais en Guinée et j'étais fascinée par la jeunesse africaine. La période est hyper électrique, les choses sont hypers rapides, la jeunesse africaine est hyper créative, il y a une histoire à raconter, ça me donne la chair de poule. Et c'est le sujet de mon prochain court-métrage, cette jeunesse qui est en train de faire des trucs de ouf, j'ai envie de raconter cette histoire maintenant. Il faut qu'on soit les témoins de notre époque contemporaine pour les générations futures.

Vous faites partie du programme de production cinématographique et audio-visuelle du Collectif 50/50 et Netflix. Qu'est ce que ça peut impacter pour votre carrière ?
Ces programmes visent à mentorer de jeunes réalisateurs, ils nous suivent sur nos projets. Pour ma prochaine réalisation, j'ai mon mentor qui m'aide à mieux écrire et à préparer mon dossier de production. Ils nous apprennent à exceller, à monter en compétence. Je suis aussi dans une école qui s'appelle Nouvelle Ecriture qui forme les jeunes scénaristes à écrire des séries. J'ai un projet de série que je suis en train de développer avec eux, une série qui va porter sur les femmes. Je n'en dis pas plus parce que je ne veux pas spoiler.

La femme est au centre de toutes vos créations, vos combats et de vos engagements. Pour vous quels sont les enjeux de la femme africaine ?
En tant que femme, on nous demande beaucoup d'endurer, de se taire et de paraître - ce paraître qu'on nous transmet dès le plus jeune âge. Je trouve qu'elle porte tout le poids de nos sociétés africaines. La femme africaine est vectrice de développement. Ce que j'ai envie de leur conseiller, c'est de penser à elle. Elles sont extraordinaires, très intelligentes et souvent à cause de nos cultures et traditions, toute leur créativité, leurs rêves sont happés par le devoir de mariage, de maman. Et souvent, je vois plein d'amertume dans leurs yeux. On n'est pas obligées de tout supporter. J'ai envie de faire passer ce message-là aux femmes, c'est d'exister pour elles. J'encourage ces femmes à ne rien laisser, à tout prendre. Tout est possible.

Propos recueillis par Mariètou NDIAYE et Sitapha BADJI

Article rédigé dans le cadre de l'Atelier Dakar Court 2022 / FACC.
Un atelier de formation en critique cinématographique dirigé par Olivier Barlet et Baba Diop, organisé à l'occasion de la 5è édition du Festival de Dakar Court (05-10 Décembre 2022) par l'Association Cinemarekk et la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique (FACC, Dakar), avec le soutien de Vivendi Create Joy.

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