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Yannis Sainte-Rose : "Je voulais que ce film parle aux hommes"
Entretien avec le réalisateur de MAL NONM, Martinique
critique
rédigé par Abdoulaye Barry
publié le 27/07/2023
Yannis SAINTE-ROSE, réalisateur et scénariste martiniquais
Yannis SAINTE-ROSE, réalisateur et scénariste martiniquais
Samirah BATIONO, Rédactrice (Ouaga) à AFRICINÉ MAGAZINE
Samirah BATIONO, Rédactrice (Ouaga) à AFRICINÉ MAGAZINE
Petra ASOGBA, Rédactrice (Dakar) à AFRICINÉ MAGAZINE
Petra ASOGBA, Rédactrice (Dakar) à AFRICINÉ MAGAZINE
Abdoulaye BARRY, Rédacteur (Dakar) à AFRICINÉ MAGAZINE
Abdoulaye BARRY, Rédacteur (Dakar) à AFRICINÉ MAGAZINE
Scène du film MAL NONM
Scène du film MAL NONM
Scène du film MAL NONM
Scène du film MAL NONM
Scène du film MAL NONM
Scène du film MAL NONM
Scène du film MAL NONM
Scène du film MAL NONM

Avec Mal Nonm - qui signifie "macho" en créole - Yannis SAINTE-ROSE s'est penché sur le sexisme dont sont victimes les femmes. [Tuff Guy est le titre du film en anglais, NDLR]. Rencontre à l'occasion de la 5e édition du Festival International du Court métrage de Dakar (Dakar court) qui s'est tenue du 5 au 10 décembre 2022.

Pourquoi avez-vous abordé la thématique des micros agressions subies par les femmes ?

Yannis Sainte-Rose : J'ai écrit ce film suite à une situation que j'ai vécue en 2018. Je suis technicien dans le monde de l'audiovisuel et je travaillais sur une publicité pour du jus. Ce jour-là, j'étais opérateur caméra. Je ne connaissais pas le scénario, ni le thème. C'est en arrivant que j'ai découvert le scénario. C'était dans un studio où ils avaient recréé une jungle. Une femme en sortait pour capturer le jus - ce genre de cliché de la publicité où une femme doit aller chercher de façon sensuelle un jus.

Ce jour-là, on a passé la matinée à voir le réalisateur lui dire d'être sensuelle, féline, des phrases clichés que j'avais l'impression d'avoir entendues que dans les films. Cela m'avait déjà fatigué. En même temps c'était la hiérarchie, j'avais un tout petit poste, donc je n'avais pas mon mot à dire. L'après-midi, ils sont passés à l'autre partie avec les photos. Nous, on était assis en train d'attendre parce qu'il fallait désinstaller le studio. Le photographe faisait plein de réflexions par rapport au fait qu'elle avait une perruque et des lentilles de contact. Il disait qu'elle était fausse. Il y avait déjà une charge dans la pièce jusqu'à ce que le réalisateur lui dise : "je veux que quand mon client voit cette photo, il ait une demi-molle", en parlant d'une demi-érection. A ce moment-là, il y a eu un silence dans la salle. Toutes les personnes présentes étaient choquées. Mais personne ne pouvait dire quelque chose parce que la personne la plus importante de la pièce a parlé.

Moi j'ai quitté la pièce. C'est à partir de cela qu'est née l'idée. Il n'y a pas eu d'agression au sens où la société considère l'agression quand elle est physique. Mais cette jeune femme avait passé sa journée à recevoir ce que j'appelle des piqures de moustiques, c'est dérangeant. Dans ce film, je veux parler aux hommes. Les femmes sont malheureusement habituées à vivre ce genre de situation. Je n'aime pas le terme micro-agression parce que ce ne sont pas des petites agressions, mais des grandes. Ce sont des agressions dont les hommes ne se rendent pas forcement compte parce que pour eux, c'est quelque chose de positif.

Pour pouvoir écrire le scénario, j'ai collecté des témoignages de femmes. J'ai essayé d'en faire une création ou une dramaturgie, un scénario. Quand j'ai eu la première version du scénario, j'ai fait le casting. J'ai remis le scénario aux actrices. Je l'ai encore réécrit parce qu'elles ont apporté leurs écritures et leurs visions par rapport à ce que ces situations leur rappelaient. La plupart des situations, elles les avaient déjà vécues. Elles ont permis que le scénario aille plus loin durant les répétitions. C'est ainsi que de l'idée jusqu'au tournage, le scénario a évolué.



Comment s'est passé le choix des acteurs ? Notamment celui du personnage principal, Nicolas ?
90% des acteurs dans mon film sont des amateurs. J'aime bien travailler avec des acteurs amateurs parce que je trouve qu'ils ont moins de formatage. Souvent, les acteurs professionnels en Martinique passent par le prisme de l'école française. Cela joue sur l'accent, je trouve qu'ils parlent comme des Parisiens. Ce n'est pas crédible en Martinique. Je connaissais la plupart et trouvais qu'ils pouvaient jouer ces rôles.
L'acteur principal, Nicolas, de son vrai nom Nelson-Rafaell Madel, est par contre un acteur professionnel qui m'a été présenté par la directrice de casting du film. On ne se connaissait pas avant. On a eu une discussion à propos du film et on s'est tout de suite compris sur les intentions et les caractéristiques du personnage. Il m'a beaucoup aidé, il apportait une touche. Il a totalement compris quel était son rôle. C'est un film que j'ai fait pour les hommes martiniquais. Je prétends vouloir faire un film martiniquais. Ce sont des choses qui sont très spécifiques dans notre île. Mais je suis très heureux qu'il soit universel et qu'il ait des gens qui se reconnaissent dans ce film. J'apporte au monde ce qu'il y a sur mon île !

Avez-vous évoqué d'autres sujets, en dehors des agressions faites aux femmes, dans cette œuvre ?
J'ai essayé de dissimuler quelques boîtes de pandore politiques qui nous concernent en Martinique. L'un des phénomènes c'est qu'une fois que les jeunes ont le Bac, ils partent faire leurs études principalement en France hexagonale. Une grande partie ne revient pas. Il y a une fuite des cerveaux.

Pourquoi pour un film parlant de la condition féminine, l'acteur principal est un homme ?
Je voulais que ce film parle aux hommes. Je devais mettre en scène un homme pour qu'ils puissent se reconnaître à travers le personnage. J'avais comme idée que ce film soit drôle au début, mais qu'au fur et à mesure, il le soit de moins à moins.

Pourquoi avez-vous utilisé le genre satirique ?
Je crois au pouvoir de l'humour pour faire passer les messages. J'avais envie que le film soit populaire et que tout le monde puisse le comprendre. Je n'ai pas envie de réaliser un film où on se demande ce que j'ai voulu dire. C'est pour cela que j'ai choisi la satire parce qu'elle est fédératrice. Les gens comprennent les films où il y a de l'humour. Mais je ne voulais pas non plus réaliser un film sans fond.

Quels ont été les choix musicaux dans Mal Nonm ?
En Martinique, on a une musique traditionnelle qui s'appelle le bélé. Cette musique ancestrale a été amenée par nos ancêtres africains durant la traite négrière. Toutes les musiques que vous entendez dans le film viennent de là. Le premier son qu'on entend est un remix de musique traditionnelle d'une chanteuse qui s'appelle Sémélin. C'est une grande chanteuse, qui est maintenant à la retraite. Elle a chanté une chanson intitulée caressé-yo qui veut dire caresser-vous. C'est une musique utilisée dans les soirées bélé pour que les jeunes femmes et hommes se séduisent. Elle dit : "regardez-vous dans les yeux, bouche dans la bouche, main dans la main". Il s'agit d'une musique de séduction que j'ai utilisée dès le début du film. J'ai aussi travaillé avec un compositeur qui s'appelle Noss Dj. C'est un dj qui s'inspire de notre musique ancestrale et de l'électro.

Quels sont les obstacles que vous avez rencontrés avant, pendant et après la réalisation du film ?
C'est mon premier film qui a été produit dans un schéma classique où il fallait un producteur. Il fallait écrire des lettres pour trouver des financements. C'était nouveau pour moi. Avant on avait l'idée, les acteurs et on tournait. Mais cette fois, il fallait attendre les financements.
Je ne me rappelle pas d'un obstacle majeur. J'ai eu l'idée de ce film en 2018. J'ai tourné le film en décembre 2019. On s'est bien entendu lors du tournage. Avec les acteurs et tous ceux qui étaient impliqués, il y avait une bonne ambiance, une belle énergie. L'obstacle majeur a été le covid-19.
Après le tournage, la post-production s'est faite en 2020. On a été confrontés à la pandémie. Cela a retardé beaucoup de choses dont l'étalonnage, le montage et le mixage. A chaque fois, il fallait que je me déplace avec le film chez les techniciens. Malheureusement, on ne pouvait pas toujours voyager à cause des restrictions. Il y a aussi la partie festival parce qu'elle se faisait en ligne. Dakar court est l'un des derniers festivals où le film est en compétition. Il a déjà deux ans de parcours.

Selon vous, quel est le rôle des hommes dans la lutte pour les droits des femmes ?
La chose qui me semble importante, c'est qu'il y ait un espace pour que les hommes discutent entre eux. Ces dernières années, les femmes se sont rassemblées pour parler. Il y a des sororités où elles se retrouvent pour discuter entre elles. Le fait qu'elles en parlent fait qu'elles trouvent des solutions. Cela fait avancer le débat. Il n'y a pas cet espace pour les hommes. La masculinité implique certaines choses. La virilité fait qu'on ne peut pas parler des émotions entre hommes. C'est le premier pas à faire.
Je parle des hommes martiniquais.

Nous sommes issus d'une histoire post-coloniale, post-esclavagiste. Donc dans notre ADN, qu'on le veuille ou pas, qu'on le sache ou non, il y a plein de choses qui bloquent ce processus qui est de se mettre ensemble et parler de nos émotions. D'ailleurs, je n'utilise pas le terme de "combat". Il faut qu'on se mette ensemble pour construire la société.
Quand je dis que je veux parler aux hommes, je veux surtout parler à ceux des générations futures, parce que je crois que les hommes de ma génération sont un peu foutus. J'espère que les hommes et les femmes de ces générations ne subiront pas ce que nous, on a subi. Qu'ils auront un avenir plus radieux.

Comment est-ce que le film a été accueilli dans les festivals précédents ?
Toujours avec beaucoup de débats. Les festivals auxquels j'ai assisté étaient souvent ceux de l'afro-diaspora. Même si on vient de différents endroits, il y a quand même un socle commun. La question de la vulnérabilité des hommes revient souvent. En faisant ce film je ne prétends pas être un meilleur homme que les autres. J'ai participé activement ou passivement à ce genres de situations parce qu'on vit dans une société construite pour les hommes. Il faut de l'énergie pour déconstruire des choses qui ont été littéralement faites depuis notre naissance pour nous. C'est de notre devoir d'artistes d'avoir cette utopie de changer les choses.

Si on vous donnait la chance de refaire le film, que voudriez-vous améliorer ?
Plein de choses, surtout d'ordre technique, mais c'est sans regret. Cela fait partie du cheminement. Ce qui me saute aux yeux, c'est qu'étant donné que c'est mon premier film et que je n'étais pas sûr d'en refaire un autre, j'ai abordé plein de sujets. Par exemple le cas de la fuite des cerveaux. Je pense que mon film est un peu bavard. Si j'avais la chance de le refaire, il le serait moins.

Votre dernier mot ?
Je suis ravi d'être sur le Continent pour présenter le film. J'ai hâte d'être à la projection pour voir l'accueil qu'il recevra.

Propos recueillis par Samirah Bationo, Abdoulaye Barry et Petra Assogba

Article rédigé dans le cadre de l'Atelier Dakar Court 2022 / FACC.
Un atelier de formation en critique cinématographique dirigé par Olivier Barlet et Baba Diop, organisé à l'occasion de la 5è édition du Festival de Dakar Court (05-10 Décembre 2022) par l'Association Cinemarekk et la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique (FACC, Dakar), avec le soutien de Vivendi Create Joy.

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