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A DOLL HOUSE : la liberté comme une porte de sortie dont nul ne possède la clé
Un court métrage fiction de Hary Joël, Madagascar
critique
rédigé par Aina Randrianatoandro
publié le 04/08/2023
Aina RANDRIANATOANDRO, Rédacteur (Tananarive) à AFRICINÉ MAGAZINE
Aina RANDRIANATOANDRO, Rédacteur (Tananarive) à AFRICINÉ MAGAZINE
Hary Joël, réalisateur et scénariste malgache
Hary Joël, réalisateur et scénariste malgache
Lausanne 2023
Lausanne 2023

Les Rencontres du Film Court (RFC) sont l'unique festival de cinéma à Madagascar. En 2022, il a été renommé Madagascourt Film Festival (MFF). L'évènement malgache a été depuis ses premières éditions une plateforme de diffusion d'œuvres expérimentales. Le jury de la 17è édition (27 novembre - 04 décembre 2022) a primé une oeuvre issue de la filmographie malgache.

A Madagascar, des cinéastes nationaux se sont exercés dans le cinéma expérimentales, un genre peu exploité. Ils ont ainsi pu projeter leur court-métrage au RFC (désormais MFF). On peut notamment citer Fifa Randrianasolo (La naissance de la mort), Rina Ralay Ranaivo (Rompre le silence) ou encore Linda Volahasiniaina (Œuf).

Tel est également le cas de Hary Joël, révélé en 2021 par son court-métrage The unusual kinky quaint peculiar weird strange rum queer odd and bizarre day of a shadow man. Ce premier film remporta le Zébu d'or Animation panafricaine 2021. Il a été nominé au 19è Festival de Cinéma africain de Tarifa-Tanger (FCAT 2022, Espagne - Maroc).

Son court-métrage suivant porte un titre tout aussi long. Il s'agit de A Doll House In The Memory Of The Men And Their Dreams Of Ash Buried Under The Sight of Midnight For The Sweet Rods Of The Warren Farm Cover The True Lord Of The Cage And The Lullabies Lies (21mn, 2022). Cela se traduit en français par Une Maison des Poupées À la Mémoire des Hommes et de leurs rêves de Cendre Enterrés Sous le Regard De Minuit Pendant que les Douces Barres Du Dédale Animal Couvent le Vrai Maitre de la Cage et des Mensonges du Bercail.
Ce nouveau court métrage, en plus d'être lauréat du Zébu d'or dans la catégorie fiction de la compétition panafricaine s'est vu décerner le Poulain d'argent de la 28ème édition du FESPACO en mars 2023.


Illust. 1 (DR)

Une consécration pleinement méritée

A Doll House… (Tranom-Bakoly..., en malgache) raconte l'histoire de Cid. C'est un jeune homme qui remet en cause les idéaux de réussite érigés par la société (servir le "pays", arriver au sommet, être aimé, être apprécié, être riche). Sa petite amie Mira tente de dissuader son anticonformisme en lui disant "Nous sommes ici pour nous battre pour nos rêves, pour ce qu'on veut, avoir une maison à nous, de l'argent, vivre normalement comme tout le monde", mais rien n'y fait. Il veut définitivement vivre une autre vie en dehors des normes, voire des structures sociales, métaphoriquement représentées comme un immeuble sans fin. La liberté quant à elle est métaphoriquement représentée comme une porte de sortie dont il lui faudra rechercher la clé.



La quête de la liberté est un thème que Hary Joël a déjà abordé dans son précédent court-métrage The unusual kinky quaint racontant l'histoire d'un personnage de fiction qui se rebelle et qui ne veut pas agir conformément au scénario. Mais cette quête s'avère illusoire vu que la rébellion de ce protagoniste a été elle-même prédéterminée par le scénariste démiurge.

Philosophie de la liberté

Dans A Doll House, la recherche de la liberté non moins illusoire se double d'une question existentielle, sur le sens de la vie, dont Cid n'a pas la réponse lorsqu'interrogé par Mira "Mais qu'est-ce que tu veux à la fin ?", il rétorque "Je ne sais pas ! Mais je veux partir !".
Une clé permet de sortir de l'immeuble. Cid va devoir la rechercher. Pour cela, il nous entraîne chez divers occupants, des personnages symboliques. Il y a ainsi The Slave (un fou du travail), The Mother (une jeune mère entièrement dévouée à son enfant), The Ghost (un être qui se dit maître et prisonnier de sa propre prison), The Blues Man (un désespéré qui pleure pour supporter sa condition). Cette clé existe-t-elle vraiment ?



D'un point de vue philosophique, Hary Joël est ainsi davantage plus proche de la posture d'un Baruch Spinoza ("La liberté n'existe pas") que de celle d'un René Descartes, d'un Emmanuel Kant ou d'un Jean-Paul Sartre ("La liberté existe"). Deux voix off (masculine et féminine) qui se répondent proclament le constat : "La quête de la liberté n'est que vanité pour ceux qui aiment. Car le désir est la racine de toute souffrance. La vraie prison de notre âme. / Nul ne peut aimer et être libre. / Mais finalement la cage n'est pas si mal. Nous ne sommes pas libres. Mais au moins sommes-nous loin des dangers, dans ce confort et cette harmonie."
L'échange a lieu lors d'une scène chez Cid où il se confronte à Mira. L'occasion pour le cinéaste de composer un plan qui est un savoureux clin d'œil au tableau "Les Amants" (1928) du peintre surréaliste belge René Magritte.



Ce moment de confort et d'harmonie est intempestivement interrompu par la foudre qui tombe sur l'immeuble et sème la panique générale au sein des occupants.
Selon les propos de Hary Joël : "La foudre représente une catastrophe "soudaine" qui d'un coup pourrait réduire en cendres, déconstruire tout ce système ultra complexe qu'est la société humaine. Nous pensons vivre dans un monde que nous avons totalement colonisé, conquis et contrôlé, un monde où on se sent en sécurité derrière nos murailles. Mais en vrai, un tout petit coup suffirait à faire tomber notre monde comme une pyramide de carte (comme les grandes civilisations qui ont disparu au fil des âges). Les gens peuvent paraitre civilisés, respectueux et altruistes dans un tout. Mais, une seule catastrophe comme une pénurie, une pandémie ou une crise économique ou politique, selon moi, suffirait à les faire oublier toutes les valeurs sociétales, humaines qu'ils ont si bien développées et qu'ils ont si bien respectées jusque là (temporairement ou indéfiniment). C'est comme si on avait érigé des murailles tellement hautes que nous avions pensé qu'elles ne s'effondreront jamais, que tout est bien. Mais en réalité, il n'y a jamais de risque zéro. Et c'est parfois la grandeur des empires qui les a fait tomber."



Côté réalisation, A Doll House est une œuvre globalement cohérente. Les choix artistiques du réalisateur sont au service du film tel que le parti pris d'adopter un format 4:3. Le cadre apparait ainsi comme une lucarne à travers laquelle nous observons les occupants de l'immeuble mais il renforce aussi l'atmosphère kafkaïenne de chaque appartement.

Si son premier court-métrage The unusual kinky quaint est presque composé exclusivement d'animation et emploie des cartons pour les dialogues comme au temps du cinéma muet, A Doll House mélange davantage animation et prise de vue réelle, avec des comédiens d'une compagnie de théâtre.
La performance de l'acteur Sarobidy Razafimanantsoa qui joue le rôle de Cid, le protagoniste, est moins solide que celle de Tsimijaly Irina (The Mother) et de Toavina Andriantsitohainamalala (The Slave). Zolalaina Tabitha, quant à elle qui incarne Mira, ne parvient pas à être authentique dans son jeu d'actrice. Son désarroi et sa tristesse (lorsque son copain Cid la quitte pour chercher la clé) sonnent faux et n'émeuvent pas.

Une partie de l'animation est délibérément chaotique, au point d'être déconseillée pour les personnes atteintes d'épilepsie photosensitive. Mais ce choix sert encore une fois l'intention de Hary Joël d'exprimer la perte de repère de Cid qui déambule dans l'immeuble sans fin et labyrinthique.
La musique du film est composée essentiellement de titres libres de droit minutieusement choisis par le cinéaste pour traduire l'ambiance irréelle, cauchemardesque de l'univers qu'il veut représenter. Enfin, les voix off masculine et féminine qui ponctuent le court-métrage sont parfois redondantes lorsqu'elles narrent l'histoire que les images montrent déjà. Elles apportent néanmoins une plus-value à l'œuvre car Hary Joël s'en sert également pour exprimer de manière poétique sa vision du monde.

A Doll House… (Une maison de poupées, Tranom-Bakoly...) est sélectionné au 17è Festival Cinémas d'Afrique à Lausanne (17-20 août 2023). La première projection est prévue le samedi 19 août, à 10h, salle Paderewski. La seconde a lieu le lendemain, dimanche 20, Salle des fêtes, à 16h30.

Aina Randrianatoandro
Critique de cinéma
Membre fondateur et membre du bureau de l'Association des Critiques Cinématographiques de Madagascar (ACCM)
Membre individuel de la FIPRESCI

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