AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
25 046 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
ENTRETIEN AVEC Narcisse Wandji (Festival Écrans Noirs, Yaoundé)
"Notre pari : réduire le nombre de films et mettre l'accent sur la qualité des projections"
critique
rédigé par Pélagie Ng'onana
publié le 11/09/2023
Narcisse WANDJI, Directeur Artistique du Festival Écrans Noirs (Yaoundé).
Narcisse WANDJI, Directeur Artistique du Festival Écrans Noirs (Yaoundé).
Pélagie Ng'onana (Yaoundé), Rédactrice à AFRICINÉ MAGAZINE
Pélagie Ng'onana (Yaoundé), Rédactrice à AFRICINÉ MAGAZINE
Ecrans Noirs 2023
Ecrans Noirs 2023

Le Directeur artistique du festival Ecrans noirs exprime avec enthousiasme les défis qui l'interpellent, ainsi que l'orientation qu'il compte donner à cette 27ème édition qui se tient du 14 au 21 octobre 2023 à Yaoundé, Cameroun.

Vous êtes le premier directeur artistique [1] du festival Ecrans noirs. Pouvons-nous savoir qu'est-ce qui a poussé le délégué général [Bassek ba Kobhio] à effectuer cette réorganisation et qu'est-ce qui vous a amené à accepter le poste ?

Je ne peux pas le dire véritablement, ce qui l'a motivé à reconsidérer les choses comme ça, au sein d'Ecrans noirs. Pourquoi j'ai accepté le poste ? Je l'ai toujours dit : nous devons être jaloux de ce festival. Donc, en tant que cinéaste tant qu'on m'appelle pour venir donner un coup de main et rehausser à ma manière le niveau du festival, je réponds présent. J'estime que c'est un patrimoine et qu'on gagnerait nous, à faire en sorte qu'il soit une véritable tribune, une carte de visite pour le Cameroun, mais vraiment une véritable plateforme de visibilité et de promotion des acteurs et cinéastes camerounais d'abord et africains en général.



Quel est le rôle d'un directeur artistique dans un festival comme celui-ci ?

C'est d'abord un manager, parce qu'il a toute une équipe à sa charge. Ensuite, c'est à lui de concevoir l'édition du festival, c'est-à-dire à quoi va ressembler le festival cette année. Il pense ça et il essaye de faire en sorte que tous les compartiments rentrent en musique avec l'idée. Exemple : cette année on fête le centenaire de Sembène Ousmane ; comment est-ce que cette célébration se décline dans les compartiments du festival ? Parfois même dans la programmation, on essaye de faire en sorte que cela fasse échos avec l'idéologie de Sembène Ousmane. Donc, le directeur artistique va réfléchir à tout ça et il va essayer d'implémenter les choses ; de la sélection des films jusqu'à la mise en œuvre des autres activités qui vont entrer en cohérence avec ce qu'il a mis en place.

Que pensez-vous apporter comme plus-value en occupant ce poste, en tant que jeune professionnel du cinéma ?

Ça fait plusieurs années que je prends part au festival Ecrans noirs, d'abord comme étudiant. Chaque édition, depuis 2006, je suis présent à ce festival, et j'ai pris la peine d'observer, de voir qu'est-ce qui marche, qu'est-ce qui ne marche pas, qu'est-ce qu'on peut améliorer. Et depuis 2020 j'ai quand-même eu l'opportunité de coordonner le marché du film de l'Afrique centrale qui est organisé dans le cadre du festival Ecrans noirs.
J'ai d'abord été coordonnateur du festival en 2020. Puis en 2021, j'ai coordonné uniquement le marché du film. Je suis venu avec une activité comme le Pitch par exemple. Ce sera la quatrième année qu'on va faire le Pitch. J'ai pris la peine de savoir plus ou moins certaines choses que je pense qu'on peut faire différemment.

Donc, moi en tant que directeur artistique, mon objectif d'abord c'est de consolider les acquis, c'est important. Ce qu'on a déjà il faut le consolider et faire en sorte que ça fonctionne mieux que les éditions antérieures. Maintenant je me suis dit il faut voir avec la taille du festival aussi. L'année dernière on a montré 81 films, ce n'est pas mal. Mais avec les salles de cinéma qui se font de plus en plus rares chez nous, à quoi bon d'avoir 81 films et ne pas avoir d'espaces pour les montrer ? Ensuite, il faut mettre l'accent sur la qualité de la diffusion. On ne peut pas diffuser des films dans de mauvaises conditions.
Ce sont les aspects sur lesquels je suis en train de travailler et aussi de faire en sorte que la planification du festival soit vraiment dans les délais. Par exemple au stade où nous en sommes, nous avons déjà fini jusqu'au programme général du festival. Je pense que mon rôle c'est simplement de faire en sorte que les choses qui se faisaient peut-être pas très bien, que j'essaye de dire est-ce qu'on ne peut pas faire différemment pour lui donner encore plus de force ? J'ai la chance de voyager ; je vois ce qui se passe ailleurs, et j'essaye de voir si on peut l'appliquer au festival Ecrans noirs.

Avez-vous le sentiment d'être écouté, que vos propositions sont prises en compte ?

Jusqu'ici tout ce passe plutôt bien. Vous allez vous-mêmes voir quand le festival va se passer et peut-être avoir la réponse à votre question. Mais je peux déjà vous dire que j'ai la chance d'être écouté par le délégué général, on discute énormément et bien sûr que ce n'est pas facile parce qu'il faut pouvoir convaincre. Les habitudes ont la peau dure, lui il a une certaine vision une certaine façon de voir le festival. En même temps, il peut arriver que je vienne et détruise ce qu'il a bâti en 27 ans, tout comme je peux amener cela à un niveau plus élevé, j'espère que c'est ce que je suis en train de faire. On opère des choix, on valide ensemble les éléments et j'essaye de les implémenter.

Depuis quelques années les Ecrans noirs ont connu une baisse de régime, rareté du public, mauvaise qualité de diffusion des films, films d'ouverture problématiques… Vous qui rejoignez l'équipe, pensez-vous que le festival peut dépasser, sinon retrouver, son succès d'antan ?

La réponse c'est oui, mais il faut travailler pour ça. Je pense que, et je suis d'avis avec vous là-dessus, le festival était devenu monotone, on avait comme une espèce de stagnation. Maintenant moi je suis là, j'essaye de faire voir les choses différemment. Après, la question du public ça reste quand-même une question cruciale, parce que ça ne dépend pas forcément de nous. On aura beau communiquer, il faut aller progressivement pour que ce public là commence encore à se fidéliser au festival, parce qu'il y a comme une espèce de désaffection qui s'est installée, donc il faut encore aller le draguer.
Je ne suis pas sûr qu'avec cette édition on va réussir tout de suite comme ça. C'est sur deux, trois éditions avec moi à ce poste que je pourrais mieux évaluer. Mais c'est une tâche fastidieuse, c'est difficile. Ce que je veux dire c'est qu'il faut retravailler à vendre la marque Ecrans noirs à ce public, et pour ça il y a beaucoup de sacrifices qu'il faut faire, il y a des images qu'il faut polir pour redonner confiance au public.



En tant que directeur artistique, est-ce que votre film [Sadrack, NDLR] peut être en compétition aux Ecrans noirs ?

Non, ça ce n'est pas possible, je ne peux pas être juge et partie. À la limite, il peut faire l'ouverture, il peut faire la clôture. Mais, il ne peut pas être en compétition.

Hormis les activités classiques qui meublent le festival, y a-t-il cette année des innovations ?

Oui, par exemple là on va faire ce qu'on appelle les assises de la production nationale indépendante. C'est un cadre où on va essayer ensemble de faire une espèce de diagnostic, un état des lieux de la production nationale indépendante, ensuite questionner les rapports que les maisons de production ont entre elles-mêmes. Comment est-ce que dans un pays comme le nôtre où on fait en moyenne 100 films par an, qu'on ait que 10 films qui parviennent à sortir du lot, alors que les producteurs mettent de l'argent, même si c'est 3 millions, par exemple, c'est quand-même de l'argent et c'est de l'énergie et du temps que vous dépensez.
Comment est-ce qu'on ne peut pas ensemble réfléchir et faire en sorte qu'on ait des coopérations ou alors des coproductions camerouno-camerounaises vraiment de factures. Moi j'ai une maison de production qui a pignon sur rue, j'ai mon voisin qui a une maison de production qu'on ne connait pas pourtant il dépense de l'argent, comment est-ce que lui et moi on peut se mettre ensemble ? Il capitalise sur mon carnet d'adresses et ensemble on réussit à mettre en place un produit capable d'aller beaucoup plus loin.

Il faut aussi questionner les rapports entre les maisons de production et la télévision nationale. Je ne comprends pas comment tu vends un film à la CRTV (Cameroon radio and television) et c'est un, deux ans après que tu es payé. Ça n'encourage pas la production locale. Il faut plutôt que les procédures au sein de la télévision nationale soient allégées pour les producteurs indépendants, que quand tu vends un film à la CRTV, au bout de trois mois on te demande de passer à la caisse, parce que quand tu vas récupérer cet argent-là, tu pourras maintenant le réinjecter dans un autre projet. Autre sujet de réflexion : comment mettre en place un fond de financement de l'industrie cinématographique et audiovisuel camerounais. Comme innovation, il y a également les ateliers Ecrans noirs, c'est désormais comme cela que ça va s'appeler.

C'est quoi la finalité avec ces ateliers et pourquoi se limiter uniquement à l'Afrique Centrale ?

Il fallait d'abord au moins qu'on commence avec l'Afrique Centrale qui est la zone géographique qu'on maîtrise le mieux, au fur et mesure que le projet grandira on l'ouvrira aux autres pays de l'Afrique. On a des formateurs qui viendront d'ailleurs, c'est six jours de formation donc c'est assez intense. Nous mettons un accent sur la qualité des participants et cela commence au niveau de la sélection.
On prend des gens qui ont un certain parcours parce qu'on voudrait qu'aux prochains Ecrans noirs les projets qui ont bénéficié de cette formation aient fini leurs scénarios et peuvent passer au Pitch. Ainsi, les bailleurs de fonds et diffuseurs qui sont présents aux séances de Pitch peuvent être intéressés et donner la chance au film de voir le jour. Je pense que le résultat, c'est au bout de trois éditions qu'on peut véritablement le mesurer.

Vous avez lancé un appel à participations pour la confection d'un nouveau trophée, pourquoi vouloir changer celui que le festival utilise jusqu'ici ?

Je pense que l'Ecran d'or qui est le grand prix du festival, son trophée devrait avoir une singularité. Pour moi, il devrait comporter des éléments ou motifs qui donnent des indications sur l'endroit où se tient l'évènement. C'est bien le trophée qu'on a actuellement qui a la forme de l'Afrique, c'est le cinéma africain ; mais je pense aussi qu'il faut quand-même être davantage jaloux du Cameroun. Le créateur devrait s'inspirer du monument de la réunification pour confectionner ce trophée. Je veux simplement donner une empreinte identitaire et prestigieuse au trophée qui remporte le grand prix.

On note également un changement au niveau du slogan du festival qui passe de "Les films faits par nous vus par les nôtres" à "Les films par nous faits pour tous"…

Je crois que c'est venu d'une erreur en fait, au moment où on concevait les supports de communication. J'ai fait une proposition comme ça, parce que je me perdais un peu à retrouver la formule exacte. Le délégué général a vu ça et il m'a dit "tiens ! Cette formulation est nettement meilleure que l'autre". Il a donc reformulé pour donner "Les films par nous faits pour tous".

L'année dernière le festival comptait cinq espaces de projection, vous comptez les réduire ou les accroitre ? Tout comme le nombre de spectateurs qui était de 12 000 ?

Comme je le disais, les salles de projection se font rares. Donc, mon pari avec l'équipe s'était de mettre un accent sur la qualité des projections. On s'est rendu compte qu'il n'y a que deux salles qui peuvent nous aider à atteindre cet objectif, Canal Olympia et l'Institut Français de Yaoundé. Il y a la salle Sita Bella aussi, elle a un souci d'équipement mais elle est bien configurée, nous avons notre matériel qui peut nous permettre de faire de bonnes projections. Seulement, la salle Canal Olympia est un peu reculée de la ville, ce qui pose aussi des questions de sécurité. Et avec toute l'équipe on est d'accord qu'il faut concentrer les choses au même endroit. En réfléchissant comme ça il n'y a que l'Institut Français et Sita Bella qui sont propices pour la diffusion. La conséquence directe c'est que ça réduit considérablement le nombre de films. Donc, on réduit la quantité de films et on met l'accent sur la qualité des projections. La sélection officielle compte 35 films au total toutes catégories confondues.



Que représente le film d'ouverture pour un festival de cinéma comme Ecrans noirs ? Je pose la question parce qu'on note un manque de rigueur pour ce qui est du choix de ces films. On a même déjà eu droit en ouverture aux épisodes d'une série qui avait déjà été largement diffusé…

Je pense que le film d'ouverture est capital mais encore une fois, ça répond aussi à la cohérence de la directive que donne le festival selon l'édition. Cette année par exemple est sur le centenaire de Sembene Ousmane, ce serait logique de montrer un des films de Sembene en ouverture, ou alors un film qui exprime l'idéologie de ce qu'était Sembene. Il peut aussi avoir d'autres facteurs qui n'ont rien à voir avec la direction artistique, par exemple choisir le film africain qui était au festival de Cannes. Il y a aussi des facteurs géopolitiques qui peuvent amener à choisir un film pour l'ouverture du festival. Après il faut aussi tenir compte du public qui vient et aimerait regarder un film qui le transporte.
Mais moi, personnellement, tant que je serai là je militerai pour qu'à chaque fois ce soit un film camerounais qui fasse l'ouverture des Ecrans noirs. Pour moi c'est important. Bien sûr il faudrait que le film ait la facture nécessaire pour ouvrir le festival, et même s'il est en compétition il n'y a pas de problème à ce qu'il fasse l'ouverture.

Cette édition encore le festival propose un colloque. À quoi servent les colloques, si les actes ne sont jamais rendus publics ?

Les colloques sont importants parce qu'un festival n'est pas seulement le lieu de diffusion de films, de promotion, de visibilité, c'est aussi un cadre de réflexion sur la pratique cinématographique. Pourquoi les actes ne sont pas rendus publics ? Je ne peux pas le dire, peut-être aussi la qualité des articles et des communications est tellement faible qu'on se dit ça ne sert à rien de rendre public les actes du colloque, soit c'est les questions de budget, parce que faire éditer ce n'est pas évident. Je ne sais pas mais je milite pour que cette plateforme de réflexion demeure. Parce que le festival doit toujours avoir cette dimension réflexive qui permet d'être au fait de ce qui se fait en matière de cinéma, de contenu, de thématique etc. de consigner tout ça. Et je pense que donner la parole aux chercheurs, toutes les personnes qui font le métier et qui voient les choses différemment c'est capital.

Il y a eu cette polémique concernant le traitement deux poids deux mesures en défaveur des cinéastes locaux…

C'est une plainte légitime. Pour cette année, après le bilan, ce problème effectivement était sur la table et le délégué général a décidé que désormais tous les professionnels, étrangers comme locaux seront logés dans le même hôtel. Mieux encore, pour ce qui est des longs métrages camerounais, le festival prend en charge le réalisateur ou le producteur et deux acteurs, donc trois personnes par film.
Après pour revenir à ce problème les personnes qui ont émis des plaintes n'avaient pas le droit d'être à l'hôtel. On vous dit : on prend en charge le producteur, par exemple, pour un ou deux jours, lui il vient avec une autre personne. Ils se retrouvent dans une situation où on met le festival dos au mur. On a eu des cas comme ça où les gens ont pris des chambres, au moment de payer ils attendaient que ce soit le festival qui paye.

Propos recueillis par Pélagie Ng'onana

[Note 1] C'est la première fois que l'appellation "Directeur artistique" est formulée ainsi par le festival Ecrans noirs. Auparavant, Marcel ÉPÉE était Directeur du festival et de la Formation (2009-2019). Quant à Françoise ELLONG-GOMEZ, elle a contribué au festival comme Responsable de la programmation, à partir de 2016. (NDLR)

Films liés
Artistes liés
Structures liées
événements liés