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CLASSIFIED PEOPLE. Contrer l'apartheid en Afrique du Sud
Film restauré en 4K.
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 18/09/2023
Michel AMARGER, Rédacteur (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE
Michel AMARGER, Rédacteur (Paris) à AFRICINÉ MAGAZINE
Yolande ZAUBERMAN, réalisatrice française
Yolande ZAUBERMAN, réalisatrice française
Scène du film CLASSIFIED PEOPLE
Scène du film CLASSIFIED PEOPLE
Scène du film CLASSIFIED PEOPLE
Scène du film CLASSIFIED PEOPLE
Scène du film CLASSIFIED PEOPLE
Scène du film CLASSIFIED PEOPLE
Scène du film CLASSIFIED PEOPLE
Scène du film CLASSIFIED PEOPLE
Scène du film CLASSIFIED PEOPLE
Scène du film CLASSIFIED PEOPLE
Affiche du film CLASSIFIED PEOPLE (sortie le 02 Nov 1988 en France et dans 13 pays)
Affiche du film CLASSIFIED PEOPLE (sortie le 02 Nov 1988 en France et dans 13 pays)

LM Documentaire de Yolande Zauberman, France, 1987
Nouvelle sortie France : 20 septembre 2023
Distribution : Shellac Distribution

Avec le temps, on aurait tendance à oublier l'oppression engendrée par l'apartheid, imposé en 1948 dans l'Afrique du Sud, aboli tardivement en 1991 par le gouvernement de Frederik De Klerk. La restauration en 4K de Classified People, réalisé en 1987 par Yolande Zauberman, dans les dernières crispations du système ségrégationniste, vient à point pour rafraîchir les consciences. Cette production française avait fait forte impression dans les festivals internationaux. Elle permet aujourd'hui une évaluation distanciée de la violence d'un système aux échos écrasants.
Yolande Zauberman débutait dans la réalisation avec ce film plein d'émotions, tourné en Afrique du Sud. Une entrée dans le monde du cinéma confirmée par Caste criminelle, 1989, puis un virage vers la fiction avec Toi Ivan, moi Abraham, 1993, Clubbed to Death, 1996, La Guerre à Paris, 2002. Des récits pour libérer la parole, retourner les tabous, comme dans d'autres essais documentés tels Paradise Now : journal d'une femme en crise, 2004, ou Would You Have Sex with an Arab ?, 2011, qui précédait M, 2019. Un parcours transgressif au-delà des cultures comme le confirmait la cinéaste française en défendant Classified People : "Ce qui me touchait le plus, c'étaient les frontières, ce qui s'y passait".



Elle nous rapproche de Robert et Doris, un couple de Sud-africains âgés et unis. Robert, né de mère allemande et de père noir, est étiqueté métis quand il intègre une brigade de gens de couleur pendant la première Guerre Mondiale. Le jugement du tribunal administratif le relègue ainsi en marge alors que sa femme et ses enfants sont classés Blancs. Tous le rejettent, refusant de l'accueillir, tandis que Robert rencontre Doris, une femme noire qu'il épouse et avec qui il vit depuis 25 ans au moment du film. Leur histoire, leur amour, leurs rires, leur lutte pour résister à la haine entretenue par l'apartheid, s'impose au quotidien devant la caméra de Yolande Zauberman. En contrepoint, un personnage raciste, éméché, justifie la loi en vigueur jusqu'au délire surréaliste.
La réalisatrice s'est immergée en Afrique du Sud pendant plus de trois mois pour tourner un projet sur les Blancs puis elle s'est intéressée à une famille plusieurs fois déclassée pour questionner son statut. Le sujet est basé sur un script précis mais l'équipe est dénoncée et le film compromis. Yolande Zauberman se rapproche alors de Robert et Doris, "des gens que je voyais tous les jours, auxquels j'étais très liée", confie-t-elle. "On était clandestins, on n'avait pas le droit de filmer. Je ne voulais pas que ça se voit à l'écran." Avec son équipe sud-africaine, elle organise un tournage rapide et léger sur quelques jours : " La confiance, l'intimité qui existait hors-cadre a permis des tas de choses".

Elle se concentre sur la parole, les liens qui animent Robert et Doris comme un acte de résistance en affirmant : "Classified People, c'est surtout un film d'amour. Robert et Doris incarnaient un désir plus grand que la peur, plus grand que la haine. Il y avait l'apartheid, c'est dans son contraire, l'amour fou entre un homme et une femme, que j'ai trouvé la plus parfaite expression de son absurdité." La cinéaste évite ainsi la dénonciation politique d'un système ségrégationniste totalitaire pour faire surgir la puissance des sentiments : "L'important c'est de faire un film émouvant qui puisse toucher des gens à priori indifférents". 
Elle n'hésite pas à opposer l'amour qui surmonte les barrières des préjugés avec le point de vue des racistes, exprimé par un ivrogne qui vocifère en revendiquant les lois de l'apartheid. Yolande Zauberman cultive un style posé pour mieux capter le quotidien et ses éclats. Elle privilégie les plans fixes qui laissent affleurer les témoignages, les gestes, en éclairant ses scènes pour mieux les faire saillir. "Je ne voulais pas jouer au tournage clandestin", assure la cinéaste. "Je voulais montrer l'envers du décor : qu'est-ce qui se passe dans ce temps très long, ces vies qui s'écoulent sous l'apartheid."

Classified People capte ainsi l'atmosphère d'un pays corseté par des lois coercitives où les Noirs sont écrasés. "J'ai essayé de recréer l'Afrique du Sud telle que je la voyais", assure Yolande Zauberman. "A l'inverse de l'image très rapide qui est celle des informations, je voulais évoquer ces petites villes où il me semble que les choses n'ont pas changé depuis fort longtemps et ne changeront pas de sitôt, une espèce de douceur et de pesanteur, et une loi qui vient étouffer tout le monde."
Elle renforce l'attention sur ses personnages principaux pour valoriser leur couple exemplaire. "En déjouant toutes les lois, toutes les conventions, Robert et Doris déjouent aussi celles de l'amour. Ils sont vieux, mais ils résistent comme les émeutiers, à leur manière", estime la réalisatrice. Et plutôt que de dénoncer un système, celui de l'apartheid qui clive pour renforcer la suprématie des Blancs, elle suggère comment l'affronter pour s'épanouir en déclarant : "Le film dit que quand on est amoureux, on peut avoir tous les courages."

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / Médias France)
pour Africiné Magazine

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